Ils devaient répondre des chefs d'inculpation de pêche illicite de thon rouge, corruption, faux et usage de faux et trafic d'influence. Après une audience qui a duré jusque tard dans la nuit avec le réquisitoire du représentant du ministère public pour la confirmation des 3 années de prison ferme assortie de fortes amendes, le jugement a été mis en délibéré. Dans ce dossier, tous les ingrédients d'un polar sont réunis sauf que ce n'est pas une fiction. Plus d'une année après, il s'agit pour la justice de limiter les dégâts d'une affaire à broyer les destins, particulièrement celui des deux hauts fonctionnaires du ministère. Avec une prudence sans précédent, la juridiction d'appel a donc mis en délibéré son jugement. Elle rendra son verdict le 14 juillet prochain en se prononçant à la fois, sur la forme et sur le fond du dossier auquel le magistrat instructeur avait arrimé son intime conviction. Il a déjà coûté son poste au 1er magistrat chargé de juger l'affaire au tribunal correctionnel d'Annaba. Parce qu'ayant mal étayé sa décision de renvoyer l'affaire pour complément d'informations, il avait fait l'objet d'une procédure de dessaisissement. Le premier épisode de l'affaire du thon rouge de Annaba avait conduit le juge d'instruction à mettre sous contrôle judiciaire les 5 Turcs dont l'armateur, le SG et le DPMO ainsi que les 2 armateurs algériens. «Charges accablantes, même si des interrogations se posent toujours sur l'implication directe ou indirecte des deux fonctionnaires», avait confirmé le chambre d'accusation avant de transmettre le dossier au tribunal correctionnel de Annaba. Selon l'arrêt de renvoi, les faits reprochés aux neuf mis en cause ont été consignés par les enquêteurs de la police maritime. Instruits, ils ont été considérés par le magistrat instructeur comme étant troublants, sérieux et suffisants pour prononcer des sanctions pénales à l'encontre des neuf mis en cause. «Faits troublants», car dans le lot des personnes impliquées, il y a le secrétaire général du ministère de la Pêche. A l'instigation de son DPMO, il a alerté par correspondance, faxée en mai 2009, les gardes-côtes sur des opérations de pêche illicite du thon rouge dans les eaux territoriales algériennes, au large d'Annaba. Sur les lieux, les policiers maritimes avaient surpris 3 thoniers turcs en flagrant délit de pêche illicite. Dans leurs filets, il y avait 200 tonnes de thon rouge. Dénoncés par un des 2 armateurs algériens comme étant à l'origine de l'autorisation verbale de pêche accordée à l'armateur turc moyennant contrepartie, ces deux fonctionnaires furent inculpés. «Faits sérieux» du fait que les Turcs avaient déjà effectué une première opération de transbordement de 200 tonnes de thon sur des thoniers japonais. Il s'agissait de l'équivalent de plusieurs centaines de millions d'euros. Le Trésor public n'en récupérera pas un seul centime. Comme il perdra les 200 autres tonnes de thon relâchées en haute mer. «Faits suffisants» en ce sens que les témoignages des inspecteurs de contrôle du ministère, les documents présentés par l'armateur turc et les quelques aveux exprimés par les deux opérateurs économiques algériens confirmaient le détournement du quota national du thon au profit de tiers étrangers. C'est pourquoi, siégeant en 1re instance en avril 2010, le tribunal correctionnel de Annaba a reconnu coupables les 9 accusés des faits qui leur étaient reprochés. Il les avait tous condamnés à la même peine de 3 ans de prison ferme assortie de deux amendes. L'une de 78 millions de dinars et l'autre de 8 milliards de dinars devaient être versées solidairement aux deux victimes du préjudice à savoir le Trésor public et les Douanes algériennes. Le tribunal avait également décidé de la saisie des 3 thoniers turcs et de leurs armements. C'est la même peine de 3 années de prison ferme assortie des mêmes amendes à l'encontre des 9 accusés qu'a requise le représentant du ministère public. Dans ce dossier, revenait sans cesse le nom de Saâdouni Maâmar, un des deux armateurs algériens. Selon l'arrêt de renvoi, son embarcation n'étant pas équipée pour la pêche du thon et du fait du contrat signé avec les Turcs pour la fourniture de l'équivalent de plusieurs centaines de millions de dinars de thon rouge, il avait sollicité un autre thonier algérien. Pour des considérations qu'il était le seul à connaître et qu'il s'est refusé à livrer aux enquêteurs et aux magistrats, Saâdouni abandonna le projet. Le même document précise qu'il aurait dénoncé les deux hauts fonctionnaires du ministère comme étant à l'origine du détournement du quota algérien du thon rouge. Il est démenti par une correspondance signée le 26 août 2009 par le ministre de la Pêche qui atteste que son SG et son DPMO ont agi dans la légalité. Selon le ministre, ces deux hauts fonctionnaires n'ont commis aucun acte délictuel dans l'exercice de leurs fonctions. En tout état de cause, l'Algérie a perdu deux quotas. Celui de 2009 à la suite de cette affaire impliquant des armateurs algériens dont la vénalité ne prête à aucun doute, ainsi que des thoniers turcs et japonais. Ces derniers semblent avoir été encouragés par la corruption tous azimuts sévissant à tous les niveaux décisionnels des institutions de la République. Faute de moyens adéquats pour la pêche du thon, malgré les aides financières sans intérêts à hauteur de 60% du coût total accordées par l'Etat pour l'acquisition d'un thonier équipé, notre pays a également perdu les 1 100 tonnes de l'année 2010. Et si en 2011 ce problème de thoniers équipés n'est pas résolu, l'Algérie perdrait définitivement son droit de pêcher et de commercialiser la quantité permise de ce type de thonidés. Les nouvelles dispositions de l'Organisation mondiale des thonidés imposent à chaque pays intéressé par ce type de pêche de disposer de sa propre flotte et armements spécifiques. Et dire que toute cette affaire a résulté d'un armateur qui serait un corrupteur et corrompu invétéré. Selon les avocats de la défense s'exprimant au prétoire, le même armateur auteur de la dénonciation serait un repris de justice. Il avait été condamné par le tribunal de Béjaïa à une peine de prison ferme de 10 années qu'il n'a pas purgée totalement à la suite d'une mesure de grâce présidentielle.