La Serbie vient de subir une nouvelle défaite, cette fois diplomatique, devant la Cour internationale de justice de La Haye, à propos du Kosovo. Mais cette défaite pourrait bien se révéler à terme comme une bénédiction pour un pays qui a du mal à se sortir des oripeaux de l'ex-Yougoslavie. Et ce ne serait pas la première fois dans l'histoire serbe qu'une défaite devient une grande date nationale. La bataille du Champ des merles au cours de laquelle le prince Lazar a vu en 1389 ses armées étrillées par les Ottomans n'est-elle pas entrée dans l'histoire de la Serbie en tant que mythe fondateur ? Le Champ des merles, Kosovo Polje: c'est pourquoi le Kosovo est considéré par les Serbes comme le berceau de leur nation et c'est pourquoi ils ne veulent pas reconnaître son indépendance. «Jamais», a redit leur président, Boris Tadic, après l'avis de la Cour de La Haye. L'indépendance du Kosovo n'est pas illégale Dans leur avis rendu le 22 juillet, les quinze juges, élus par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l'ONU, estiment que la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo le 17 février 2008 ne contrevient pas au du droit international ni aux résolutions des Nations unies. Ils ne vont pas jusqu'à affirmer que l'Etat kosovar est légitime ; ils disent que son indépendance n'est pas illégale. Cet avis n'a pas force de loi. Sa première conséquence devrait être cependant d'encourager les pays qui hésitaient à reconnaître Pristina à franchir le pas. Jusqu'à maintenant, 69 Etats ont reconnu le Kosovo, dont 22 appartenant à l'Union européenne (cinq ont refusé pour ne pas encourager les tentations sécessionnistes sur leur propre territoire). En revanche, il ne changera rien pour les adversaires déterminés de la reconnaissance, outre les Serbes : les Russes et les Chinois. Tous ceux-ci considèrent que le Kosovo est une création «par le fer et par le sang» des Occidentaux qui ont mené en 1999 la guerre à la Serbie de Milosevic, en soutenant la rébellion albanaise de l'UCK. Slobodan Milosevic, l'autocrate national-communiste de Belgrade, avait mis fin en 1989 à l'autonomie du Kosovo au sein de la Fédération yougoslave puis réprimait durement les nationalistes kosovars. En mars 1999, l'OTAN était intervenue en bombardement les forces serbes au Kosovo et des objectifs en Serbie même, forçant Milosevic à accepter la mise sous tutelle de l'ONU de la province rebelle. «Moment de vérité» Aujourd'hui, le Kosovo compte une population d'origine albanaise d'environ 2 millions d'individus, pour la plupart des musulmans modérés, et 120 000 Serbes orthodoxes, surtout concentrés dans le nord de la région, autour de la ville de Mitrovica, qui est coupée en deux. La sécurité est assurée par 10 000 soldats de la KFOR (essentiellement l'OTAN) et par 2 800 policiers et juges de la mission Eulex, déployée par l'UE. Comment cette situation pourrait-elle évoluer ? Le jeune ministre des Affaires étrangères serbe, Vuk Jeremic, a qualifié l'avis de la Cour internationale de La Haye de «moment de vérité». Quoiqu'il espérât alors que les juges donneraient satisfaction aux deux parties, il ne croyait pas si bien dire. Il est temps pour la Serbie, et en particulier pour la partie de sa classe dirigeante se réclamant de l'Europe et de la démocratie, de repenser une politique intransigeante. Le jugement de La Haye leur en fournit le prétexte. Personne ne peut attendre du gouvernement de Belgrade qu'il se rallie à l'indépendance du Kosovo. La Constitution le lui interdit. Et s'il lui en venait l'idée, il serait vite renversé par une coalition de tous les nationalistes, modérés et radicaux. Mais sans reconnaître le fait accompli, le président Tadic et ses partisans devraient accepter l'évidence que le retour du Kosovo dans le giron serbe n'est pas pour demain et qu'ils ont tout intérêt à trouver un modus vivendi avec les dirigeants de Pristina. Les formules de compromis ne manquent pas. Elles avaient été proposées lors des négociations internationales qui ont précédé la déclaration d'indépendance du Kosovo tout au long de l'année 2007. Elles avaient toutes été refusées par le gouvernement de Vojislav Kostunica, avec l'appui de Moscou.