, Après Naplouse en 2009, Jénine est la seconde ville de Cisjordanie à rouvrir une salle de cinéma. Un signe de détente dans une ville marquée par deux décennies d'Intifada et d'occupation israélienne. Jénine a inauguré le 20 août 2010 son premier cinéma depuis 23 ans. Le cinéma de Jénine renoue avec les grands soirs. La salle rénovée de 350 sièges affiche complet. À l'affiche, l'une de ces comédies burlesques égyptiennes qui inonde les écrans du monde arabe. Inauguré en 1957, le cinéma, aux portes du souk de la ville, n'avait plus accueilli de projections depuis 1987 et le déclenchement de la première Intifada. L'écran noir a duré 23 ans. «Pendant l'Intifada, l'armée israélienne rentrait tous les jours dans la ville. C'était impossible d'aller au cinéma. Maintenant la situation a changé et les gens ont envie de sortir», explique Abdelrahman, 21 ans, devant le guichet. «J'espère qu'ils passeront des films d'action, comme Rambo ou des films indiens avec Amitabh Bachchan», renchérit Jamal qui l'accompagne. «Tout le monde nous demande des comédies, sourit Marcus Vetter, le co-directeur, à l'origine de cette renaissance. Ce n'est pas mon genre préféré, mais quand j'entends les rires dans la salle, je me dis que c'est le moyen de faire revenir les gens au cinéma», concède-t-il. C'est en tournant son film phare Heart of Jenin (Le cœur de Jénine), que ce cinéaste allemand a voulu restaurer le cinéma de la ville. Le film retrace l'histoire d'Ismaël Khatib et de son fils Ahmed, 12 ans, tué en 2005 par un soldat israélien ayant confondu le pistolet en plastique du jeune garçon avec une vraie arme. Dans un geste de réconciliation, le père a fait don des organes de son fils à six enfants israéliens en attente d'une greffe. Cette histoire poignante a amené Marcus Vetter en Israël, puis à Jénine. «Le co-réalisateur israélien du film refusait que j'aille à Jénine. Il me disait que c'était trop dangereux». Jénine est alors qualifiée de «capitale du terrorisme» par l'armée israélienne, en raison du grand nombre de kamikazes palestiniens issus de la ville. Marcus Vetter ignore l'avertissement. «Après deux heures dans la ville, j'avais perdu toute inquiétude. J'ai réalisé que Jénine était une petite ville très intéressante avec des gens extrêmement chaleureux, bien loin de l'image donnée par les médias.» En marchant dans la ville, Marcus Vetter remarque un cinéma à l'abandon dans lequel des milliers de pigeons ont élu domicile. Le cinéaste décide de le remettre en état. «Je voulais aider les gens de Jénine à retrouver de la dignité», explique-t-il. Pendant deux ans, une équipe de Palestiniens et de volontaires internationaux nettoient, restaurent et agrandissent l'ancien bâtiment pour en faire un complexe de deux mille mètres carrés. Les sièges sont rénovés par un artisan de la ville en conservant le style d'origine. La salle est équipée d'un projecteur numérique et il est possible de diffuser des films en relief 3D. Roger Waters, le chanteur du groupe Pink Floyd, fait don d'un équipement stéréophonique dernier cri. La cafétéria, la cinémathèque et la salle de plein air ont été en partie financées par le gouvernement allemand. Mais les sceptiques sont nombreux. «Personne ne voulait financer un cinéma. La rénovation a coûté un million d'euros. Toutes ces difficultés ont donné un film Cinema Jenin qui sera projeté en ouverture du festival de Jénine, l'an prochain.» Pour Jénine, le retour du cinéma est d'abord le symbole d'un retour à une relative normalité dans la ville que Yasser Arafat surnommait «Jeningrad», en référence à la féroce bataille d'avril 2002 qui a opposé l'armée israélienne aux combattants palestiniens retranchés dans le camp de réfugiés (55 Palestiniens et 23 soldats israéliens tués). Le souvenir des combats est encore vif, mais l'atmosphère s'est apaisée. Dans les rues, les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne en uniforme ont remplacé les «shebab» (jeunes) en armes. «La fermeture du cinéma, en 1987, était le signal du début des hostilités. Sa réouverture sera peut-être celui de la fin de la guerre», veut croire Fakhi Hamad, le directeur palestinien du cinéma. L'homme, âgé d'une trentaine d'années, voudrait faire de Jénine un «centre culturel» et ouvrir une école de cinéma. «Ce serait une façon de faire de la résistance pacifique».