«Le plus grave n'est pas de perdre la mémoire mais de la trahir ». Auteur inconnu. La dernière révision de la constitution a bien consacré l'écriture de l'Histoire de l'Algérie comme l'une des priorités nationales et chacun pourra se prévaloir de cette exigence devenue désormais un droit constitutionnel. Le droit de savoir et pas seulement celui de faire absorber des mots alignés dans un ordre incohérent tel que pratiqué par l'unicité de pensée. Il reste à régler une question fondamentale : l'Histoire de l'Algérie n'est pas seulement celle de la guerre de libération et l'obstacle que celle-ci constitue pour une prise en charge sérieuse de l'écriture freine tous les efforts. Pourquoi ? Les derniers acteurs « libérateurs » sont encore vivants et leurs scènes changent de décors selon le narrateur, selon les coups bas faits par les uns aux autres. Les choses n'ayant pas été aussi simples aussi idéales qu'on a voulu nous le faire croire, le linge sale n'étant pas encore lavé en 62, le travail de recoupement ne peut qu'envenimer les choses et les vérités attendent toujours aux bouts des plumes. Les historiens semblent se débattre dans une éternelle polémique changeant de thème par moment, fouillant une mémoire qui oublie volontairement, ouvrant une chantier par-ci, proposant un consensus par-là et se retrouvent souvent dans une impasse. La nouvelle constitution proposera-t-elle une issue ou n'a-t-elle repris la question de l'Histoire que pour faire passer l'essentiel, la réélection de Bouteflika à un troisième mandat ? Arme à double tranchant que devra manipuler adroitement et dans le bon sens l'occupant d'El-Mouradia, durant son troisième quinquennat, faute de quoi la parole ne sera pas tenue et la confusion continuera. Les troubles de la mémoire aussi. Du côté des historiens la question est tranchée : il n'est plus possible d'attendre le feu vert pour faire le travail de restitution dans un monde qui bouge dans tous les sens. Advienne que pourra. Il n'est plus question de taire la marginalisation de leurs paires qui ont souffert de la confiscation de la parole pour la seule raison d'Etat, ni de continuer à se rendre complice d'une machination de glorification. Il s'agit d'accéder à la maturité et ne plus se suffire de promesses. Chaque peuple, chaque guerre ont eu leurs héros et leurs traîtres, le tout est d'en déterminer les contextes et les raisons. Tout est dans le décryptage des évènements maintenant que les esprits se sont quelque peu tiédi et que de nouvelles générations sont arrivées sur le marché du savoir. Maintenant que les symboles sont en train d'arracher leurs places et que les mensonges n'ont plus rien produit d'autre que du mensonge. Maintenant que la participation ou non à la révolution ne détermine plus la légitimation du pouvoir et que seule la compétence doit prévaloir. Les temps anciens sont désormais révolus et il est regrettable que le père de la nation, un certain Messali El-Hadj longtemps occulté par calculs politiciens ait été volontairement éjecté des livres scolaires, alors que sous d'autres cieux sa vie, sa posture et son _uvre confortaient une littérature des plus nobles. Il est regrettable aussi que notre Histoire se soit confinée à glorifier de moins importants personnages en tuant le père une deuxième fois, juste pour quelque héritage mal acquis. La réhabilitation de la mémoire collective est une �"uvre délicate mais combien passionnante et porteuse d'espoir. En dehors de quelques stèles érigées à la mémoire des hommes d'honneur ou de soldats inconnus, qu'a fait l'Etat indépendant pour révéler les vraies questions et dont la principale, pourquoi la guerre ? Pourquoi la guerre ? Parce que toutes les solutions n'ont mené qu'à la guerre et elle était inévitable. Depuis le traité de la Tafna. Depuis la chute de Syphax et de Hannibal. Depuis que l'Algérie même si elle n'existait pas sous cette forme géographique se faisait traversée par l'Histoire comme on traverse un fleuve de paix, de gens qui ont toujours rechercher en la paix une façon de vivre et une autre de mourir. Ceux qui sont morts ne reviendront pas mais on n'a pas le droit de leur faire dire ce qu'ils n'ont pas dit. Le travail de l'historien ne peut aller en sens unique et uniquement dans le sens dicté par le pouvoir. Il s'est bien sûr trouvé quelques plumitifs de service et au service de la « voix de son maître » mis au devant de la scène pour battre la mesure des tambours de guerre, prêtant allégeance en contrepartie de quelques costumes fripés pour occuper le vide créer par un silence imposé. Ce sont ceux qui ont fait le plus de mal à la vérité historique en prenant le bois pourri comme seule langue. L'arabisation appliquée dans l'urgence sans lui donner les moyens de la libre expression a servi de prétexte identitaire pour museler les quelques intelligences qui tiraient déjà à l'indépendance, la sonnette d'alarme. L'Histoire dans l'Histoire s'est écrite dans le silence et par lui. Des harraga de l'écriture ont alors pris les chemins de l'exil pour rétablir la maison Algérie dans ses droits à la vérité en nous cédant des textes gravés à jamais dans le parcours des générations futures. Hommage à leurs témoignages qui n'ont jamais été contredits. Parce qu'ils ont tout simplement refusé de trahir une mémoire encore vivante. Parce qu'ils ont suivi les chemin qui montent dans un pays qui les poussait à descendre toujours plus bas.