Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien, est un habitué des formules à l'emporte-pièce où, bien souvent, le populisme démagogique s'appuie sur des approximations peu en ligne avec un pays qui compte autant d'hommes et de femmes de grande culture. Beaucoup ont été choqués, avec une pointe de tristesse pour tous ces Italiens pétris d'histoire, par des sorties qui relèvent davantage du registre des brèves de comptoir que de propos de leader politique responsable. C'est dans l'air de ces temps de libéralisme de boutiquiers, où la vulgarité et le clinquant ont pris le pas sur la hauteur de vue et la profondeur d'analyse. Pourtant, pour une rare fois, le chef du gouvernement péninsulaire a exprimé un point de vue digne de considération. Mardi dernier, devant la presse, Silvio Berlusconi, justifiant le renvoi vers la grande Jamahiriya d'immigrés clandestins interceptés en haute mer, a déclaré en substance que les camps de rétention, où sont parqués les candidats illégaux à l'entrée en Europe, étaient comparables à « des camps de concentration ». Le propos est à mettre en parallèle avec une déclaration datant de quelques mois, où il estimait que les immigrés détenus dans l'île de Lampedusa étaient libres à tout moment d'aller boire une bière et que la situation du camp de rétention était très bonne. A l'époque, des émeutes et des protestations avaient éclaté à Lampedusa. «Ce n'est pas un camp de concentration», avait alors déclaré Berlusconi. Entre-temps, l'homme a visiblement changé d'avis. L'opinion aura ainsi appris qu'un pays européen très civilisé, et gouverné par une coalition où figurent des « postfascistes », entretient sur son sol des camps de concentration. Personne dans l'Europe officielle qui, comme chacun sait, a le monopole des valeurs humanistes, n'a cru bon de relever ce terrible aveu. C'est que c'est tendance. On assiste, pas seulement en Italie d'ailleurs, à une franche banalisation d'un discours xénophobe et de pratiques que l'on croyait révolues avec la fin de la République de Salo. La polémique entre le Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU et le ministre italien de la Défense, un « postfasciste », illustre exactement la dérive du discours. Laura Boldrini, représentante en Italie du HCR, a critiqué en termes mesurés et diplomatiques le renvoi d'immigrés clandestins capturés en haute mer. Il s'agit bien d'une violation caractérisée du droit international - en l'occurrence la Convention de Genève de 1951-, perpétrée par la marine de guerre italienne. Le ministre de la Défense, Ignazio de la Russa, a tout simplement traité de « criminelle » la représentante du HCR et l'a accusée de manquer d'humanité. La violence injurieuse, typiquement « postfasciste », accompagne harmonieusement une politique concentrationnaire et raciste parfaitement assumée. Haro donc sur les basanés outre-méditerranéens ! Berlusconi ne veut pas d'une « Italie multiethnique ». La pureté raciale n'est-elle pas l'obsession majeure du fascisme européen ? L'histoire semble bégayer. La différence entre « postfasciste » et fasciste pur et simple est de plus en plus difficile à cerner. Cela s'appelle, paraît-il et sans guillemets, La civilisation...