La presse italienne s'offre un véritable festin. Même avec les scandaleuses bamboulas d'El Cavaliere, elle n'aurait pas pu vendre autant de papier. Les éditeurs peuvent se frotter les mains, le colonel El Kadhafi est là pour doper les ventes. Que les rotatives tournent à plein régime, le maître de la Jamahiriya est de retour en Italie, chez son ami Berlusconi. Des retrouvailles qui, de tradition, ne sont pas faites pour passer inaperçues. Il ne faut pas insister pour que les deux hommes tiennent leur parole. Show garanti surtout qu'il s'agit de souffler les bougies du deuxième anniversaire du traité d'amitié qui a mis fin, le 30 août 2008, au contentieux colonial opposant les deux pays. Mais ce qui fera les gros titres des médias locaux, c'est évidemment les frasques du président Mouammar El Kadhafi qui ont mis la classe politique italienne en ébullition. Au point que déplier une tente bédouine dans le jardin de l'ambassade de Libye à Rome ou passer une soirée en compagnie de cinq cents jeunes femmes paraissent comme des faits anodins. Ce qui a mortifié les politiques italiens, ce sont les déclarations renversantes de leur hôte. Particulièrement une que l'orateur a sortie devant un auditoire féminin, voilé et sélectionné par une agence d'hôtesses. Le guide de la Jamahiriya ne s'est pas contenté de défendre la construction de minarets sur la place Saint-Pierre, histoire de rappeler son bras de fer juridique avec le gouvernement de Berne. Non loin du Vatican et des appartements privés du pape Benoît XVI, l'homme qui vient du désert a donné froid dans le dos à 450 millions d'Européens. A reprendre son discours, l'Islam doit devenir la religion de toute l'Europe ! Rien que cela. Le guide libyen ne dira pas de qu'elle manière il compte s'y prendre pour «islamiser» le vieux continent. Car hormis une nouvelle guerre des croisades ou une colonisation à sens inverse, l'entreprise de reconversion s'avère plutôt irréalisable. Insensé ou non, toujours est-il que le colonel a craché le morceau et pas des moindres. Décidément, il a fait mieux que le président Ahmadinejad qui, lui, avait demandé aux Européens de trouver une parcelle de terre aux Israéliens pour ne pas avoir à recourir à la solution finale, rayer l'Etat hébreu de la carte. Aux yeux des Italiens, ce n'est plus de la provocation spectacle à laquelle Mouammar El Kadhafi les a habitués. Celui-ci n'ayant pas choisi par hasard le berceau de la chrétienté pour provoquer un pareil tsunami verbal. Même les proches alliés du président du Conseil italien ont conseillé à ce dernier de se méfier de son invité qui n'aura rien perdu de sa «philosophie de marchand de tapis», dans une allusion aux contrats, la clé de sa visite en Italie. Une manière de rappeler à El Cavaliere que son hôte n'a pas perdu le nord et compte bien tirer profit du traité d'amitié qui prévoit 5 milliards d'euros d'investissements italiens en Libye en compensation des horreurs de la colonisation. Ne pouvant plus reculer sur les engagements pris en 2008, Silvio Berlusconi osera-t-il titiller son ami sur la question des «graves violations» des droits de l'homme en Libye ou sur le sort des candidats africains à l'immigration qui auraient eu la malchance de transiter par le territoire de la Jamahiriya afin d'équilibrer la balance ? Peu probable que les deux hommes en parlent à bâtons rompus. En bon catholique tolérant, Berlusconi offrira à son invité le repas de fin de jeûne musulman. Après quoi, les deux hommes assisteront à une parade équestre à laquelle participeront trente pur-sang berbères et leurs cavaliers acheminés par avion spécial de Tripoli. Pourvu qu'ils n'aient pas un jour à défiler en conquérants dans les rues de Rome, ce à quoi doivent songer les 450 millions d'Européens.