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Tant qu'il y aura des Beni Yalla…
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 22 - 04 - 2010

...Les forteresses identitaires résisteront aux coups de bélier de la dépersonnalisation et de la perdition intellectuelle. Guenzet, chef-lieu de daira et commune des Ith Yalla est plus fébrile que d'habitude ; il s'y tient, du 15 au 17 avril, le deuxième colloque culturel commémorant la Journée du Savoir (Youm El Ilm) célébrée le 16 avril,date anniversaire de la disparition de Cheikh Abdelhamid Benbadis.
Le thème de cette édition avait pour intitulé : «Savoir et développement». Rattachée administrativement à la wilaya de Sétif à 85 km, elle accède plus facilement à celle de Bordj Bou Arreridj dont elle n'est séparée que d'à peine 42 km. Partagée par cette bipolarité, sa population cogite entre deux sentiments, celui de l'appartenance territoriale et celui de la commodité de la proximité. Elle aura donc à faire son choix selon la nature de la problématique. Elle donne, du côté nord, le dos à la wilaya de Bejaia relativement proche, mais d'accès difficile de par l'escarpement du relief.
L'agglomération étirée en conurbation longe la route montagneuse et s'il fallait schématiser la configuration, elle prendrait la forme d'un Y interminable prolongé par ses trois chemins d'accès. Cernée par un impressionnant cirque montagneux, elle semble tenir en équilibre au milieu du vide environnemental. La nuit tombée, l'aire géographique ravinée est constellée d'une multitude de lueurs montantes des 19 villages et hameaux. La plupart des groupements humains, disposent d'une mosquée surmontée d'un minaret, comme pour signaler de loin, l'appartenance religieuse. Sa population en basse saison ne serait que de 4000 habitants, elle triplerait en haute saison avec le rush des vacanciers. Mme Naima Kermiche de l'Association «Ith Yalla», parle elle, sans connotation péjorative, d'expatriés. Les belles demeures individuelles et apparemment encore inhabitées en cette période de l'année, appartiennent à la diaspora installée momentanément ailleurs. L'attache culturelle, trop forte pour être rompue, a généré cette transhumance urbaine.
Ce flux migratoire, qui a toujours existé entre le village et Mezghena (Alger) est séculaire ; de vieilles familles algéroises, tirent leur origine des Béni Yalla. En plus des grandes figures de la pensée islamique, dans le sillage de Cheikh Fodil El Ourtinali du voisinage, tels que cheikh El Hachemi Bentayeb ou Cheikh Arezki Salah, des personnalités issues de la région, ont été des figures de proue du mouvement national et lors de la lutte pour le recouvrement de la souveraineté nationale.
Il y a lieu d'en citer à titre illustratif : Si M'hamed Bougara, commandant de la wilaya IV historique, Malika Gaid, Debbih Chérif, M'Hamed Zekkal, morts pour la cause nationale ou ceux qui ont survécu aux affres de la guerre, tels que Youcef Yaloui, Smail Hamdani et d'autres encore issus de la matrice généreuse de ce Haut lieu de la résistance à l'effacement identitaire. Lalla Sadouda, est cette Yallaouia non voyante qui a pris son bâton de pèlerine pour lutter contre l'obscurantisme dans les foyers. Disparue en 1977, elle avait consacré sa vie à la prédication en inculquant les versets coraniques et les préceptes édictés par la Sunna. Elle donnait avant l'heure, des leçons de probité religieuse aux prosélitiques nouveaux prophètes. Le village d'apparence paisible, garde jalousement le vieux bâti, constitué de locaux commerciaux et d'échoppes. La langue arabe, en bonne place sur les écriteaux des devantures, à une ou deux exceptions cependant, celle de la pharmacie en français et celle du siège de l'Assemblée populaire communale écrite dans les trois langues usuelles, ne semble déranger personne.
La mosquée principale, du nom du village, est un joyau architectural dans le plus raffiné des styles arabo islamiques. La salle des ablutions en sous sol, très aérée et fonctionnelle rendrait pâle de jalousie, de nombreux hauts lieux du culte.
Le souci d'économie de l'eau, est perceptible à travers des robinets à poussoir. Le sermon du vendredi, délivré par un jeune imam, est une anthologie dans le prêche. Libéré du généralisme unanimiste, le jeune prêcheur fait cadrer son discours à l'événement du jour : le Savoir dans sa portée universaliste. L'Islam, disait-il en substance, incite à l'acquisition du savoir sans restriction, à ce titre, il s'agira autant de physique nucléaire que de gamme musicale. La nation musulmane qui a été à l'avant-garde des découvertes scientifiques de l'humanité, n'est même pas capable de se construire l'avion qui la transbordera aux lieux saints de l'Islam. Et là, tout était dit ! Il continuera pour dire : «Préservons la langue arabe, conservons le français comme butin de guerre, développons par les sciences de la linguistique, tamazight, apprenons l'anglais qui est la langue du futur scientifique et enfin le chinois, pour la fulgurante ascension économique de cette nation». Merci, pour cette leçon de clairvoyance et d'ouverture sur la modernité ; en dépit de votre jeune âge, vous êtes déjà un Cheikh. Cette ambiance culturelle et cultuelle à la fois, ne date pas assurément d'aujourd'hui, elle tire son essence de ce qu'à rappelé l'historien le Pr M'Hand Arezi Ferrad dans sa communication intitulée : «Le mouvement réformateur chez les Béni Yalla». Le sanctuaire des martyrs, au cœur même de la ville, abrite près de 660 victimes dont les noms sont tous gravés, sur un imposant mémorial en marbre. S'il fallait rapporter ce nombre impressionnant à la population d'alors, le ratio serait probablement de 20%. Ombragés et bien gardés, les lieux baignent dans la quiétude.
La route qui mène à Guenzet à partir de Sétif, est celle qui mène en même temps à Béjaia sur quelques kilomètres, elle bifurquera sur la gauche au niveau de Ain Abbassa. Elle traversera respectivement Bougâa, Guergour célèbre par sa station thermale, Bouferoudj, Kordjana, Harbil, Ain Roua, Dar El Hadj pour aboutir à la plate forme en nid d'aigle de Guenzet. L'étymologie du toponyme serait d'origine berbère et voudrait dire selon toute vraisemblance : «Là, où l'eau a jailli». Tourmentée et relativement dangereuse, elle n'est pas sans risque pour le profane. Son caractère tortueux, prive le conducteur de jouir du sublime panorama à deux facettes : le précipice d'un coté ou le contrefort montagneux de l'autre. Le couvert végétal est agrémenté de plages vertes des champs cultivés et de l'arborescence verdoyante printanière des vergers. Le maquis clairsemé de genets flamboyants et de bouquets d'essence forestière, couvre harmonieusement le relief ascensionnel. L'olivier séculaire et le figuier règnent en maîtres des lieux. Cette région de la Kabylie orientale a été jadis le grenier oléicole des Hauts plateaux sétifiens.
La paupérisation de la campagne a fait expurger l'économie rurale de ses principes fondateurs dont celui : s'y suffire pour pouvoir y vivre. Et si à chaque chose malheur est bon, le dénuement de Guenzet en établissements d'accueil hôtelier a permis de conserver, encore vivace, la chaîne de solidarité, c'est ainsi que la localité accueille ses convives du moment, dans des demeures mises gracieusement à disposition par leurs propriétaires. Qu'ils en soient remerciés. Le centre de formation professionnelle et d'apprentissage, à l'autre bout de la ville, a été mis à contribution pour recevoir la conférence et dresser la table. Il a été remarqué dans cet établissement aussi que l'écriture arabe, est encore celle de l'orientation. L'hôte et maître de séant n'est autre que le Dr Ammar Benadouda, maire de la cité. Revisiter l'itinéraire de cet humaniste, reviendrait à réduire son combat à un quelconque C.V. Il nous suffit de dire que ce monstre sacré de la santé publique, a été de toutes les luttes dont celle, combien exaltante, menée contre le dénuement socio sanitaire du pays au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale. Il a fait, au crépuscule d'une vie bien remplie, le vœu de rejoindre les siens à l'effet de les accompagner un bout de chemin, dans leur lutte contre l'adversité. On ne peut s'empêcher de faire le parallèle, entre cette forte personnalité et Santiago le pêcheur cubain d'Ernest Hemingway.
Revenu dans sa région qui a, autant souffert des effets de la machine de guerre coloniale que des exactions lors des récentes turbulences qu'a subies le pays ;il fait de l'enfance son credo et de la jeunesse son objectif principal. Il s'attellera, dès sa prise de fonctions, à réhabiliter des écoles qu'il trouvait, selon sa vision, dans un état pas toujours satisfaisant. En plus des infrastructures préexistantes destinées aux jeunes, il mettra à leur disposition un complexe de proximité. Les autres axes de développement seront l'eau et le gaz naturel. Il vient d'apprendre par la voix du wali, venu pour l'ouverture officielle du colloque, que les travaux de raccordement au réseau de gaz, débuteront au plus tard en juin prochain. Les Guenzatis passeront, probablement, le premier hiver de toute leur existence, dans la chaleur ouatée des attributs de la modernité. En ouverture à la manifestation culturelle, les experts du Centre national d'études et d'analyses pour la population et le développement (CENEAP) ont rendu dans une communication, les résultats de l'étude relative au développement de la zone montagneuse nord de la wilaya de Sétif. Ne restera donc que la mise en place des ressources financières, à l'effet de concrétiser les différentes phases d'un programme de développement spécifique. La maison de jeunes devenue le point nodal des activités culturelles et récréatives de l'agglomération, a abrité en soirée, une conférence-débat thématique : «Islam et amazighité». Elle fut animée par l'historien M'Hand Arezki Ferrad, les universitaires Mohamed Saidi et Kamel Abdeslam. L'horaire était fixé après la prière du maghreb.
Et, c'est sans complexe aucun que les organisateurs ont confectionné toute la documentation du colloque de haute facture sérigraphique en arabe, des parenthèses latines étaient ouvertes de temps à autre pour expliciter la dénomination francisée de certaines institutions participantes. Le programme des journées, n'omettait jamais l'horaire des prières obligatoires. Sortie des sentiers battus, cette rencontre a visé principalement la jeune génération, par le rappel d'un glorieux passé culturel, un présent à débattre pour un avenir meilleur. Parmi la douzaine d'intervenants, la majorité avait moins de trente d'âge, notamment, les experts du Centre de recherche en études et analyse de développement (CREAD). Il a été question d'agriculture de montagne, de cuniculture (élevage du lapin), de chèvrerie et d'apiculture. Les programmes nationaux de développement de l'économie agricole, n'ont pas manqué d'être évoqués et les mécanismes de mise en œuvre portés à la connaissance des jeunes. La magistrale communication du vendredi matin de Ould Moussa, consultant et expert international en économie, a mis «le feu aux poudres».
Usant de pédagogie didactique, il a su faire «entendre les mouches voler». Le verbe haut et clair, il subjugua l'assistance par la netteté du propos perlé de métaphores pragmatiques du terroir paysan. Revenant sur les efforts de développement tous azimuts, il ne manquera pas de signaler les scories de plans sectoriels éclatés qui ne peuvent, en aucun cas, cerner tous les contours d'une problématique globale posée par le sous équipement local. Il serait même tenté de dire à ce titre : «On aurait pu réaliser ce projet ici ou là encore !». Il est clair que cette planification pêche par ses défauts de pertinence et même de cohérence. La règle dans ces contrées difficiles d'accès serait de : Produire localement pour vendre aux marchés nationaux et internationaux. La jeune industrie de l'agro alimentaire de la Soummam est là pour prouver, si besoin est, la pertinence des choix économiques. Kamel Bouchama, ancien ministre et diplomate était dans son élément. Son riche parcours de médersien dans le mouvement national juvénile, ses charges ministérielles dans le secteur de la jeunesse et son statut d'intellectuel, lui valent un capital- crédit dont une multitude de jeunes pourraient en faire un modèle accompli. Sa communication a consisté à dérouler les chroniques du Savoir dans l'Islam et sa prépondérance sur toutes les autres disciplines. Mohamed Saidi et Ammar Benadouda ont respectivement développé : «Culture et développement», «Santé et développement». Ainsi, s'achevait ce deuxième colloque consacré à l'acquisition des connaissances pour un mieux-être intellectuel et matériel à la fois, dans une dynamique intégrée de développement local global et durable.


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