La prévention de la grippe H1N1 ou les conséquences d'une éruption volcanique s'entoure d'un luxe inouï de précautions. Les gouvernants font preuve d'une bien moindre énergie pour préserver les populations des excès du libéralisme financier. Un volcan islandais fait des siennes et le ciel européen est soudain devenu vide d'avions. Des centaines de milliers de voyageurs se sont retrouvés bloqués dans des aéroports improbables ou obligés de prolonger des vacances exotiques, qui se sont alors avérées fort coûteuses. De minuscules particules pouvant éventuellement bloquer les réacteurs, les flottes des grandes compagnies aériennes sont restées à quai. Certes, les états-majors des mêmes compagnies et les voyageurs ont trouvé que c'était beaucoup de désagréments (et beaucoup de manque à gagner) pour un risque très sérieux mais statistiquement improbable. Les « experts » des Etats n'ont-ils pas pris à la va-vite des décisions aux conséquences économiques et pratiques notables ? « Il vaut mieux un excès de responsabilité qu'une absence de précaution » rétorquaient à juste raison tous les partisans du « principe de précaution ». Les gouvernants font en effet valoir que la demande de sécurité croissante dans les populations leur interdit tout pari hasardeux. Ainsi, sous la menace d'une épidémie de grippe H1N1 à la dangerosité peu connue, les Etats, et le gouvernement français en particulier, ont commandé aux laboratoires pharmaceutiques des centaines de millions de coûteuses doses de vaccin qui sont tranquillement restées inutilisées dans des hangars de stockage. Mais, après que l'on est constaté que l'épidémie redoutée du H1N1 avait fait beaucoup moins de morts qu'une épidémie de grippe classique, pouvait-on tenir rigueur aux pouvoirs publics de leur excès de prudence? Pas de principe de précaution pour les banques Il est pourtant un domaine où la vigilance des Etats, leur souci de la sécurité de leurs citoyens, semblent bien plus hésitants : celui des garanties économiques données aux populations. L'affaire grecque en constitue un épisode, « beau comme de l'antique ». Rappelons les quelques grandes dates de cet opéra-bouffe. Octobre 2008, le système financier international s'effondre par sur-excès de spéculations cupides. Les établissements financiers, tous menacés de faillite, voient avec soulagement les Etats (la solution ! Pas le problème !) bondir immédiatement à leur rescousse, quitte à grever lourdement leurs budgets. Les contribuables paieront. 8 décembre 2009 : les agences de notation s'inquiètent de l'aggravation de la dette de l'Etat grec et dégrade une 1ère fois leur « note d'appréciation ». « Agences de notation » ? Ce sont trois ou quatre sociétés privées internationales, qui fort de leurs compétences se font payer par les grandes entreprises pour qu'elles obtiennent une « note d'appréciation » sur leur robustesse financière et sur leur dynamisme boursier. Une entreprise très bien notée (triple A) pourra trouver des concours financiers sur le marché international avec des taux très privilégiés. Notons au passage qu'aucun de ces petits génies de la notation n'a su prévoir l'immense catastrophe financière de 2008. Mais qu'importe, a-t-on besoin d'être honnête, neutre et compétent pour spéculer habilement ? A peine sauvées par les Etats, les grandes sociétés financières en cheville avec les agences de notation ont trouvé une bonne occasion de se « refaire du gras » : spéculer justement sur les Etats qui les avaient sauvées, c'est-à-dire pour les grandes places financières, parier sur la faillite à terme des Etats ! La Grèce en fut la 1ère victime, le Portugal est dans la ligne de mire, l'Espagne et l'Italie ne sont pas loin de partager le même sort. 11 janvier 2010, soit quatre mois après les 1ères déstabilisations de l'Etat grec, l'Union européenne, après beaucoup d'hésitations et d'âpres disputes internes, arrête quelques vagues principes de sauvetage de l'Etat grec naufragé. Avec le concours du FMI La recette ébauchée repose sur un fondement éternel : c'est aux citoyens grecs, autant comme salariés que comme contribuables, de régler la note très salée de ce mouvement spéculatif d'un rare cynisme des « très riches ». Les trois mois qui suivirent furent surtout l'occasion de vifs tiraillements dans l'Union européenne elle-même. Les pays riches de la zone euro, Allemagne en tête, ne voulaient surtout pas trop mettre la main à la poche pour des Etats adhérents à la zone euro qu'un autre chancelier allemand, Helmut Kohl, désignait sous le vocable un peu méprisant de « Club Med » : Espagne, Italie, Grèce, Portugal Bref, tous ces Latins suspectés, par nos bons Teutons à l'orthodoxie budgétaire légendaire, d'être laxistes, incontrôlables, menteurs, fraudeurs Au résultat, aucune mesure concrète n'a été prise sur la dette grecque et le feu s'est répandu dans la plaine. Le 26 avril, la notation de la dette grecque a été déclassée par une agence de notation, Standart and Poor's, entraînant un nouveau mouvement spéculatif baissier sur la solidité financière des Etats européens de la Méditerranée et une attaque sérieuse sur le cours de l'euro. Si la situation sent nettement le brûlé, les gouvernants de l'UE donnent encore du temps au temps : ce n'est que le 10 mai qu'ils valideront éventuellement les mesures techniques de sauvetage de l'économie grecque. On pourra tirer trois leçons de cet épisode : - Les Etats riches de l'Union européenne ont été beaucoup plus rapides à sauver leurs amis banquiers qu'à porter secours aux pays frères adhérents à l'UE, moins cossus et en difficulté. - La « gouvernance économique européenne », idée longtemps caressée, chérie et applaudie à tout rompre depuis des années par toute notre « élite », le gratin du monde politique, économique et médiatique, a pris un sacré coup dans l'aile. L'Union européenne repose d'abord sur une solidarité sans faille entre les Etats membres, la crise grecque montre que dans la zone euro, elle n'a rien de spontané. Et c'est sans évoquer la difficile situation des pays membres de l'Union européenne qui ne font pas partie de la rigueur budgétaire de la zone euro, et qui traversent une passe très difficile, notamment dans les pays de l'est de l'Europe. - Alors qu'aux lendemains de la secousse financière qui a failli faire basculer l'économie mondiale, tous les gouvernants juraient, la main sur le cœur, réformer rapidement un système financier incontrôlable, on constate, un an et demi après, que rien n'a été fait. Barack Obama vient ainsi de se faire retoquer au Sénat américain son programme ambitieux de contrôle accru des organismes financiers sous la pression croisée de tous les sénateurs républicains et d'innombrables lobbyistes. On est bien obligé de constater que dans le monde de l'argent sacro-saint de la finance internationale, le principe de précaution s'applique aux « possédants », une poignée d'actionnaires et de dirigeants, mais surtout pas à tous ceux qui comme salariés, comme clients, comme contribuables doivent subir les dérives internationales d'une cupidité spéculative, errements rarement atteints dans l'histoire mondiale. Pour un retour salvateur au servage Dans ces périodes particulièrement inquiétantes, un écrivain, Percy Kemp, a donné à Libération, le 27 avril, une chronique particulièrement jouissive. Qui est Percy Kemp ? C'est un auteur notamment de polars, écrivain de nationalité britannique, écrivant en français, né à Beyrouth en 1952, de père britannique et de mère libanaise. Il est par ailleurs consultant pour une société spécialisée dans le renseignement stratégique, Middle East Tactical Studies. Il s'était déjà signalé en mai 2006, après les feuilletons ubuesque des référendums sur une éventuelle « Constitution européenne » en proposant une roborative et originale division du travail européen par nationalités : « En Europe, tous les fonctionnaires seraient français, tous les ingénieurs allemands, tous les architectes italiens, tous les routiers hollandais ». Hélas, cette intuition humoristique n'avait pas été reprise par les autorités de l'UE. Percy Kemp revient à la charge avec une idée beaucoup plus révolutionnaire ; « une déclaration européenne du droit du serf », « susceptible de résoudre une fois pour toutes les problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés ». Serait mis fin « en un tour de main à la tragédie du chômage, du drame des sans-abri, à l'avancée de la précarité et de la pauvreté ( ) à l'effondrement de nos régimes de retraite et de santé » Comment ? En réintroduisant en Europe le servage. Notre génial et humoristique auteur part en effet d'un fait méconnu. Au Moyen Age, les serfs n'appartenaient pas à leurs seigneurs, ils étaient indissolublement liés à vie à une terre, bref, à un moyen de production qui lui appartenait à un propriétaire. En redevenant officiellement « serfs » à vie de leurs usines, de leurs bureaux, de leurs emplois, les salariés européens renverraient à leurs responsabilités sociales entières, les réels propriétaires de ces moyens de production : garantie donc pour les nouveaux serfs, de l'emploi à vie et des droits sociaux, le tout formalisé par une déclaration constitutionnelle. L'article est drôle à souhait, le pied de nez, allégrement provocateur. Mais, à la réflexion, le grotesque ne se niche-t-il pas dans la lecture quotidienne et atterrée de la «vraie actualité» ? Tragi-comique burka ! Après le feuilleton sentimental sur les mésaventures du couple présidentiel Sarkozy-Bruni, les Français ont le droit à la relance de la série policière « Burka and Co ». Le dernier épisode démarra sur un mode nettement comique. Leur sang n'a fait qu'un tour, deux pandores constatent qu'une conductrice nantaise circulait en burka : interpellation et amende de 22 euros « pour conduite gênée ». On s'interroge sur les fondements de cette amende puisque la classe politique est actuellement déchirée sur les fondements d'une loi qui viserait justement à interdire éventuellement le port de la burka dans l'espace public. La voiture, rappelons-le, est dans la législation française plutôt intégrée au « domaine privé ». Mais nos braves policiers ont dû vouloir bien faire Plus inquiétante est la montée au créneau d'Hortefeux, ministre de l'Intérieur, et de Besson, inénarrable ministre « de l'Immigration et de l'Identité nationale ». Selon eux, la « pauvre jeune femme astreinte » évidemment au port d'une burka, serait également la victime d'un époux polygame. Toutes déclarations qui s'avèrent au fil des dépêches, peu justifiées, au mieux imprudentes, au pire manipulatrices. Allons plus loin, le comique, c'est également, dans nos centre-villes, le choix fait par des militantes d'un islamisme très radical, du port d'un costume peu fonctionnel, aucunement religieux et qui relève beaucoup plus de l'anthropologie de la région afghane que du confort réclamé par les contraintes modernes. Comme la conduite automobile. Plus sérieusement, quand on habite un pays, on adopte en partie de ses coutumes et à défaut, on évite d'afficher des pratiques qui choquent outre mesure la population indigène. Mais dans tous les cas de figure, une nouvelle loi doit respecter les fondements de notre constitution républicaine. En l'occurrence, on impose à un citoyen (ou citoyenne) ou à une personne résident en France, des contraintes réduisant sa liberté individuelle que dans la mesure où sa conduite nuit à ses voisins ou à la collectivité. Le port volontaire d'une burka, aussi affligeant soit-il, peut être catalogué comme une nuisance volontaire pour la femme qui la revêt, plus difficilement comme une nuisance faite à la collectivité. Le Conseil d'Etat en France avait déjà fait part de ses réserves. La Cour de justice européenne sera certainement très critique. Les policiers eux-mêmes voient mal comment faire appliquer cette éventuelle loi dans le climat très tendu des banlieues. La classe politique est très divisée. Mais de tout cela Nicolas n'en a cure. Il veut à tout prix remonter dans les sondages.