Synthèse de Hassan Gherab Mi-avril dernier, le volcan islandais Eyjafjöll est entré en éruption, crachant de la lave qui, entrée en contact avec un glacier tout proche, a dégagé le fameux nuage de cendres et de poussières auquel nous avons dû la paralysie du trafic aérien mondial pendant une bonne petite semaine. Et Eyjafjöll remet ça. Un autre nuage de cendres s'élève dans le ciel et commence à se propager. Poussé vers le sud de l'Europe par de forts vents de nord-est, il cloue les avions au tarmac et perturbe à nouveau le trafic aérien. Dans la soirée de lundi dernier, l'aviation civile nationale irlandaise (IAA) a ainsi annoncé qu'aucun avion ne devait décoller ni atterrir en Irlande hier matin, entre 7h et 13h (heure locale). La fermeture d'une partie de l'espace aérien écossais a également été annoncée, mais les vols au-dessus de l'Irlande n'ont pas, eux, été perturbés. Selon un communiqué de l'IAA, «l'Irlande se trouve dans une zone où l'on prévoit une concentration en cendres qui dépasse le niveau de tolérance acceptable fixé par les constructeurs de moteurs». Cependant, l'IAA a rappelé que cette fermeture «est fondée sur le risque que représente pour les passagers et les équipages la dérive vers le sud du nuage de cendres causé par des vents de nord-est». Les aéroports de Dublin, Shannon, Galway, Sligo, Ireland West (Knock), Donegal, Cork et Kerry étaient concernés par cette mesure, entrée en vigueur hier matin à 6h GMT. D'ailleurs, les autorités irlandaises de l'aviation civile n'ont pas tardé à annoncer la reprise des vols à l'arrivée et au départ des aéroports irlandais. Petit nuage peut devenir grand Toutefois, il n'est pas exclu que le nuage fasse encore parler de lui dans les jours à venir. Les vents, en effet, ne sont pas favorables à une dispersion rapide de ce nouveau nuage. Selon un vulcanologue du centre d'observation de Clermont-Ferrand, la météo joue en défaveur des pays européens, car «un vent d'est ramène les cendres vers l'Europe». La bonne nouvelle est que l'émission de cendres de cette nouvelle éruption est 20 fois moindre que celle enregistrée mi-avril dernier, ce qui fera dire au vulcanologue qu'il y a «une tendance à l'accalmie» de l'activité volcanique. Mais bien que moindre, elle a tout de même provoqué une nouvelle fermeture d'une partie de l'espace aérien qui handicapera de nombreux voyageurs et grèvera encore les bénéfices des compagnies aériennes déjà mises à mal avec des pertes se chiffrant à 1,7 milliard de dollars, selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), suite à la paralysie d'avril dernier. De plus, il faut souligner que le volcan est toujours actif et que l'éruption n'a jamais cessé. Le vulcanologue Jacques-Marie Bardintzeff explique dans le journal français le Parisien-Aujourd'hui que «le volcan continue à être actif et il suffit qu'une poche d'eau ait explosé au contact du magma pour que le nuage reprenne de la vigueur». «La tendance devrait durer toute la semaine […]. Changement à partir de vendredi, avec l'arrivée d'un système dépressionnaire et de pluies qui auront pour effet de laver le ciel et de repousser le nuage vers l'Atlantique», explique Eric Mas, directeur technique de Météoconsult dans le quotidien français le Figaro. Mais cela n'a pas empêché les ministres des Transports européens de prendre leur précaution pour ne pas être pris au dépourvu comme la première fois. Ils se sont ainsi réunis en urgence hier pour examiner les moyens de parer à la situation si jamais le nuage décide de faire des siennes comme son prédécesseur. Même si le principe de précaution ayant prévalu lors de la première éruption et qui, en application de la «tolérance zéro» a mené à la paralysie des transports aériens, a fait l'objet de critiques. Le président de l'Association internationale du transport aérien (IATA), Giovanni Bisagni, a d'ailleurs clairement signifié que les modèles théoriques invoqués pour fermer l'espace aérien européen étaient inadaptés. S'insurgeant contre la suspension des vols, il écrira dans un communiqué que «ces décisions ont été prises sans consulter adéquatement les transporteurs aériens. C'est un procédé inacceptable, surtout si l'on considère l'ampleur des conséquences en termes de sécurité et d'économie». Pourtant, si les gouvernements européens ont pris la décision d'appliquer la tolérance zéro, c'est un peu à cause de l'IATA. Des risques connus et ignorés Mais il faut toutefois rappeler que les certitudes sur la résistance des avions aux cendres volcaniques, qui auraient évité aux pays de se baser sur des modèles théoriques, ne sont toujours pas établies. Cependant, selon le Post, dès 2007, acteurs de l'aviation et constructeurs d'avions étaient au courant des risques. En effet, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), qui est liée aux Nations unies, appelait dans son rapport en 2007 à plancher sur la question des taux de concentration minimaux de cendres volcaniques, permettant, ou plutôt n'empêchant pas les avions de décoller. «Il n'y a aucune définition d'une ‘‘concentration acceptable'' de cendres pour les différents avions, moteurs ou paramètres d'alimentation. Afin de pouvoir donner, de façon sûre et justifiée, le ‘‘feu vert'' une fois qu'une colonne de fumée s'est suffisamment dispersée pour être indétectable, des limites claires sur le taux de cendres sont requises de la part des industriels comme des autorités de l'aviation», peut-on lire dans ce rapport. Et un représentant de l'IATA siège au sein du groupe de travail qui a émis cette recommandation. Cela n'a pas pour autant fait bouger les choses du côté transporteurs aériens. La mise en pratique des modèles théoriques ne joue pas. Mars 2010, le groupe de travail revient à la charge lors d'un sommet tenu quelques jours seulement avant l'éruption du volcan islandais et rappelle mot pour mot les conclusions de son rapport 2007 : «Il n'y a toujours aucune définition d'une ‘‘concentration acceptable'' de cendres pour les différents avions, moteurs ou paramètres d'alimentation. Afin de pouvoir donner, de façon sûre et justifiée, le ‘‘feu vert'' une fois qu'une colonne de fumée s'est suffisamment dispersée pour être indétectable, des limites claires sur le taux de cendres sont requises de la part des industriels comme des autorités de l'aviation.» Etayant les affirmations du groupe de travail, deux scientifiques présenteront lors de ce sommet une étude quasi visionnaire sur le risque pour le ciel européen d'une éruption en Islande. Les résultats étaient clairs. L'Europe serait touchée dans les 24 heures suivant l'éruption, et totalement recouverte sur sa partie nord 48 heures plus tard, précipitant ainsi la suspension des liaisons transatlantiques. Réaction tardive et menace présente L'alerte par deux fois donnée a fini par se faire entendre. Cette fois, les constructeurs semblent plus réceptifs et se disent même disposés à prendre en compte les conclusions des deux rapports. Airbus, notamment, affiche sa volonté de coordonner les efforts des motoristes sous l'égide de l'IATA, pour enfin parvenir à définir cette fameuse «concentration minimale de cendres» tolérée par les réacteurs d'avions. Cet engagement est écrit noir sur blanc : «Airbus s'engage à écrire aux fabricants de moteurs [motoristes] pour leur demander s'il existe une réponse concernant la taille et la concentration de particules de cendres acceptables pour ces appareils. Airbus transmettra ses résultats à l'IATA qui en rendra compte auprès du groupe de travail», déclare le constructeur dans le rapport du sommet. Mais c'était déjà trop tard. Le congrès de mars 2010 à peine clôturé, les transporteurs affrontaient un nuage, non plus en images de synthèse mais bel et bien de cendres et de poussières. Aussi, les conclusions définitives sur la capacité de résistance des moteurs aux particules volcaniques faisant toujours défaut, les autorités ne pouvaient-elles qu'appliquer la tolérance zéro. Mais à quelque chose malheur est bon, dit le proverbe. Le 1,7 milliard de dollars évaporés abattra probablement les dernières résistances des transporteurs qui se décideront peut-être à mener, enfin, ces fameux tests de résistance des réacteurs aux poussières volcaniques. Airbus le confirme en annonçant dans son dernier communiqué qu'une position concertée des industriels sur le sujet était en cours d'élaboration.