En ce mardi 20 juillet, il est dixneuf heures trente passées. Sous le regard comme impressionné d'une foule agglutinée autour du jet d'eau de la célèbre ex-place Carnot en quête d'un brin de fraîcheur en cette journée caniculaire, le convoi, composé de pas moins de six véhicules 4x4 de la police judiciaire, s'ébranle de devant le siège du service de wilaya de police judiciaire en direction d'un des quartiers réputé pour être l'un des plus «chauds» de la ville : Oued Tolba. Se greffant à la ville comme une laide excroissance, le quartier de Oued Tolba constitue, de l'avis unanime des Tiarétiens, la véritable «plaie ouverte» de l'antique Tihert, conséquence «non dissimulable» d'une politique d'urbanisation peu maîtrisée, voire carrément bâclée initiée à la fin des années quatre-vingt-dix. Dans une sorte de juxtaposition de baraquements de la misère, des familles vivent «ghettoïsées», d'où les nombreux problèmes en tous genres que vit cette «favela», comme daucuns l'appellent ici. Oued Tolba est probablement le quartier le plus sale de tout Tiaret, tant des monticules de détritus en tous genres sont visibles aux quatre coins du quartier. La trentaine de policiers en tenue pervenche, embarqués à bord de solides 4x4 et agissant sous le commandement du commissaire divisionnaire Tahouri Omar, fusent comme des feux follets des véhicules pour aller interpeller des jeunes qui squattent des kiosques commerciaux achevés mais non encore attribués. Dégradés par l'usure du temps et les déprédations de l'homme, les kiosques, construits dans le cadre du programme du Président de la République, ont vu leur première vocation honteusement détournée : servir de repaires à la pègre du quartier. Cinq jeunes seront arrêtés en possession d'armes blanches et aussitôt embarqués pour être conduits par un véhicule-balai, c'est-à-dire une fourgonnette, placée à l'arrière du convoi, et qui est chargée de conduire les personnes arrêtées vers les sûretés urbaines les plus proches avant de rejoindre aussitôt le cortège des 4x4, lancé dans une saisissante chasse aux hors-la-loi. En traversant le quartier de Oued Tolba jusqu'à Zaâroura, cette partie de la ville semble comme vivre à l'écart du vieux Tiaret où la citadinité n'est tout de même pas un vain mot. Alors que le véhicule à bord duquel nous nous trouvons crapahute sur une chaussée accidentée, soudain, le chef du convoi reçoit une communication par radio qui paraît linquiéter au plus haut point. Le chef de service de police judiciaire venait d'être informé de l'agression par huit hommes encagoulés d'un citoyen, originaire de la wilaya de Médéa, à hauteur de la forêt récréative dite du «Plateau», à une encablure de Tiaret. Son argent, la fille qui se trouvait avec la victime et sa voiture ont été «emportés» par les assaillants dans leur retraite. Le métier du chef du SWPJ le laisse de facto soupçonner une éventuelle complicité de la fille qui aurait été utilisée comme appât par les agresseurs. Mais comme la zone où l'agression a eu lieu étant en dehors du périmètre urbain, le chef de la police judiciaire se contentera d'informer ses collègues de la gendarmerie. A Zaâroura, un autre quartier populeux, les choses semblent logées à meilleure enseigne tant cette cité populeuse a été métamorphosée en relativement peu de temps grâce aux nombreux projets de requalification urbaine qui ont donné un visage plus amène à cet ensemble d'habitats où végète encore une centaine de familles dans un bidonville comme surgi d'un autre temps. A travers les dédales de ce quartier, la situation paraît bizarrement calme, à rebours de la réputation peu glorieuse de cette cité, réceptacle de tous les maux de la ville. Avec un langage tout ce qu'il y de «diplomatique», le commissaire-divisionnaire Tahouri Omar nous gratifie d'une leçon sur le «miracle» du téléphone portable et son côté maléfique en ce sens qu'il rend le travail des services de sécurité plus compliqué, nous explique-t-il. L'on comprendra vite que le téléphone portable a fonctionné à merveille pour «passer le mot» en un tour de main à tous les quartiers de la ville pour les informer de la descente menée par les services de la police judiciaire. Même si des collègues journalistes n'ont pas manqué de faire pertinemment remarquer le côté impressionnant du cortège policier qui n'a pas échappé à l'attention d'une ville où un brin de b'khour encense toute une ville selon un bon vieux adage local En direction de la route de Aïn Guesma, nous tombons, par un heureux hasard, sur une bagarre rangée entre taxieurs clandestins, arrivés aux mains pour se disputer une misérable place. En état d'ébriété, les deux belligérants seront priés d'embarquer à l'intérieur de la Toyota 4x4 pour être aussitôt conduits aux locaux de la sûreté de wilaya, à un jet de pierre de la station de taxis, sur la route de Aïn Guesma, sur laquelle pèse une épée de Damoclès : une ligne électrique de 30.000 volts. Rien que ça ! Rahma Sonatiba, un autre quartier «coupe-gorge» où la loi des «Zaârirs» impose sa force, le quartier de Teffah, de l'autre côté de la ville, tout donne la troublante impression d'un calme trop beau pour être vrai. La preuve que le «miracle» du téléphone portable a fonctionné à merveille nous rappelle encore une fois le chef de la patrouille policière, un homme rompu aux arcanes et aux «techniques» toujours de plus en plus imaginatives du monde de la pègre locale pour avoir passé plus de quinze ans à la tête du service de police judiciaire à Tiaret. A la cité des «405 logements», il fait un noir de caverne. Renseignement pris, l'on saura qu'une coupure d'électricité prive ce quartier de lumière depuis plus de cinq heures. Le commissaire-divisionnaire Tahouri Omar fait usage de son talkie-walkie pour informer qui de droit de «l'anomalie». Des jeunes seront interpellés et embarqués pour examen de situation selon le jargon policier. Et alors que le convoi s'ébranle vers la cité Bouhenni, sur les hauteurs nord de la ville, le chef de la patrouille reçoit sur son portable une deuxième «info» inquiétante : deux camionneurs, originaires de la wilaya de Relizane, et dont les services venaient d'être sollicités par deux faux nomades pour un soi-disant transport de leurs cheptels, sont agressés et leurs camions dérobés à l'entrée de la Rechaïga, à une soixantaine de kilomètres de Tiaret. Aussitôt prise en charge par la gendarmerie nationale, le commissaire-divisionnaire Tahouri Omar se contente d'instruire ses subordonnés pour l'envoi d'un «message chiffré» urgent à la DGSN et aux sûretés des wilayas environnantes. A la cité «Bouhenni» jusqu'au lieudit «Chara», dans les profondeurs de la forêt des pins, l'ambiance est plutôt calme, intriguant davantage et les policiers et les journalistes invités à couvrir cette «sortie» nocturne. Il est près de 23 heures et le convoi policier continue sa progression vers les quartiers de «Lala El-Abdia», Sidi Khaled, Ibn-Khaldoun, l'ex-village espagnol et toujours rien à signaler, à part quelques jeunes embarqués pour avoir résisté au contrôle d'identité exigé par les policiers. Il est presque minuit lorsque l'imposant cortège policier fait route vers le siège du service de wilaya de police judiciaire. Bilan d'une longue et calme soirée à travers quinze quartiers de la ville : quarante (40) personnes arrêtées, nous informe le commissaire divisionnaire Tahouri Omar. Une procédure judiciaire a été engagée à l'encontre de cinq jeunes pour port d'armes blanches, trois autres pour transport clandestin et deux ressortissants étrangers, l'un congolais et l'autre libérien, arrêtés pour séjour illégal. Avant de prendre congé des valeureux hommes en tenue bleue un peu avant minuit, une étrange sensation nous saisit à la gorge : la ville paraissait si calme ce soir-là, à moins que ses démons, les vrais mais aussi les faux, aient décidé, eux aussi, de prendre des vacances, en attendant