Mohamed Ghrib, ancien PDG de l'ENIE, ancien ministre de l'Industrie lourde et ex-ministre du Travail, a été l'hôte, jeudi dernier, de l'IDRH, dans le cadre du cycle de conférences qu'organise cet établissement à l'intention de ses étudiants. Le conférencier, présenté par Mohamed Bahloul comme étant le bâtisseur de l'industrie algérienne, a pratiquement tenu en haleine l'assistance. Pour preuve, les débats se sont prolongés au-delà de huit heures du soir. Intitulée «Parcours d'un manager,» la conférence de M. Ghrib a porté sur la mise en place de la défunte Sonelec et de l'ENIE aux débuts des années 70. Elle a aussi évoqué la parenthèse des réformes introduites sur le plan de l'entreprise publique au lendemain du séisme d'octobre 88. M. Ghrib rappellera qu'au début des années 70, le marché du travail des cadres était encore ouvert, au point où la Sonatrach qui offrait les meilleurs salaires n'attirait pas les cadres «parce que jugée trop off shore». Donc, avec une vingtaine de personnes, dont la plupart des ingénieurs, il devait mettre en place la Sonelec. Autrement dit, les bases d'une industrie électronique en Algérie. Pour signifier «le volontarisme politique» de l'époque, il rappellera que le projet initial décidé par les bureaucrates au niveau central devait «fabriquer aussi bien le radar que le petit poste de radio». Dès le départ, il fallait batailler sur son emplacement. Au lieu de Médéa, sur un terrain glissant, le choix a porté finalement sur Sidi-Bel-Abbès, plus proche d'un centre universitaire. Le conférencier détaillera toutes les difficultés rencontrées pour réussir cette entreprise. Il fallait à la fois faire face au dirigisme outrancier des bureaucrates d'Alger, négocier avec le fournisseur étranger imposé par la tutelle et ne cherchant que ses propres intérêts et surmonter le handicap de la formation des cadres et techniciens que le projet nécessite. Ghrib indiquera que le manque se chiffrait à 300 ingénieurs et 700 techniciens. L'autre challenge à réussir était d'apprendre à travailler en équipe. Contre vents et marées, et rejetant l'option d'envoyer des cadres aux USA pour des formations longues et coûteuses, Ghrib, avec l'appui de son équipe, ouvrira le CFTE (Centre de formation des techniques électroniques). En huit ans, ce centre a formé 2.500 techniciens, dira-t-il avec fierté. Aussi, le père de l'industrie électronique en Algérie réussira à envoyer pour formation une vingtaine d'ingénieurs à la Silicon Valley, berceau des innovations technologiques américaines. Il fallait mener une autre bataille concernant les infrastructures d'accueil des cadres de la nouvelle entreprise. Prenant un raccourci, il dira qu'à l'époque, «l'ENIE, en matière de prouesses technologiques, a été au niveau de Thompson», un des actuels leaders mondiaux. Résumant son challenge, il ajoutera : «Nous avons réussi un projet sur 7 ans sans un dollar de plus que le budget initial alloué». Dans ce sens, il rappellera le défi qu'il fallait relever après le retrait des Américains qui avaient exigé 35 millions de dollars pour une assistance de six mois sans le moindre engagement de leur part. Il expliquera les raisons de toutes ces prouesses. Chemin faisant, M. Ghrib et son équipe découvriront l'importance du volet de la maintenance industrielle. Pour cela, il n'hésitera pas à monter trois centres qui étaient en mesure d'assurer des prestations de service même à la clientèle de l'ENIE. Ces centres vont assurer des prestations de service à toute la clientèle de l'ENIE, notamment les hôpitaux. Sur le plan de la formation, M. Ghrib dira que grâce à l'ENIE, tout le personnel qui était employé à Sidi-Bel-Abbès, y compris dans les administrations, avait suivi une formation au niveau de l'entreprise qu'il dirigeait. Dans ce sens, il citera le CFTG (le Centre de formation des techniques de gestion) qu'il avait mis en place. Evoquant les raisons de l'échec de l'expérience de l'ENIE, il insistera fortement sur «l'étroitesse du marché national». Et d'expliquer : «Il fallait un milliard de dollars par an juste pour la recherche» afin de rester au niveau des innovations mondiales. Après la chute du prix du baril de pétrole en 1986 et l'intermède d'Octobre 88, M. Ghrib a été nommé à la tête du ministère des Industries lourdes. «Mon bref passage au niveau de ce département a consisté à gérer les conflits et les grèves», notamment celle de la SNVI de Rouiba, dira-t-il. Une expérience enrichissante puisqu'elle lui a servi quand il a été nommé membre de la commission chargée de produire des textes sur la réforme économique. Cette commission, composée de 2.000 cadres, a élaboré les textes sur l'autonomie de l'entreprise. Et en tant que ministre du Travail, il a élaboré le fameux Code du travail, mettant fin à l'emprise du GSE (Gestion socialiste des entreprises), consacrant la priorité du politique sur l'économique. Concernant la commission, il dira que «c'est la première fois que le pouvoir a manifesté sa confiance à des élites se trouvant à sa périphérie». L'autre volet grave relevé par M. Ghrib est l'absence totale d'un engineering national. Ni la SNS, encore moins la Sonatrach, habituées au «produit clefs en main», n'ont réalisé une accumulation dans ce domaine, signale-t-il. C'est ce qui l'a motivé pour se lancer dans une entreprise privée dans ce domaine. Ayant démarré avec un million de dinars comme capital social, l'entité qu'il dirige, qui emploie 300 ingénieurs, est devenu une référence dans le domaine pharmaceutique, où les normes en vigueur sont anglo-saxonnes. Il tiendra à préciser que tous les ingénieurs de sa boîte ont démarré sans la moindre expérience professionnelle.