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Le Premier ministre assure l'intérim: Ben Ali prend la fuite
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 15 - 01 - 2011

Le Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a quitté hier le pays après 23 ans de pouvoir. Intervenant hier soir à la télévision, le Premier ministre tunisien Mohammed Ghannouchi a annoncé qu'il assurait l'intérim de la présidence. Selon des sources citées par Al Jazeera, Ben Ali se serait dirigé vers Malte, alors que d'autres sources parlent de la France comme destination.
« Ben Ali dégage ». Sur l'avenue Bourguiba, le message des Tunisiens est sans équivoque. Les promesses de démocratisation annoncées la veille par le président, à la télévision et en arabe dialectal, n'ont eu aucun effet. Le décalage entre le pays réel qui exigeait le départ de Ben Ali et l'Etat officiel est total. Les Tunisiens, si pondérés, sont pris d'une radicalité démocratique remarquable. Ils rouvrent une brèche démocratique dans un Maghreb sous gouvernance autoritaire.
Ben Ali avouant avoir été « trompé » par ses collaborateurs, promettant de ne pas se présenter en 2014, ordonnant de cesser de tirer sur les manifestants et promettant des réformes démocratiques, la liberté de la presse, la fin de la censure sur Internet. C'était jeudi soir, en direct à la télévision. Immédiatement après, des manifestations filmées de près, organisées vraisemblablement par le RCD au pouvoir, saluaient le président tunisien. Image trompeuse d'une fausse liesse car en d'autres lieux de Tunis, on réprimait sans quartier, 13 morts selon des sources médicales. Image réelle néanmoins d'un autocrate acculé par une colère irrépressible des Tunisiens bien décidés à en finir avec la dictature. Depuis le 17 décembre, le jour où le jeune Mohamed Bouazizi, diplômé chômeur devenu vendeur ambulant, s'est immolé à la suite d'une hogra policière, c'était le troisième discours de Ben Ali. Mais c'est bien la première fois qu'il a semblé avoir pris la mesure de l'ampleur de la contestation politique. Après la fausse liesse filmée dans une ultime tentative de manipuler l'opinion, la Tunisie réelle a commencé à débarquer, vendredi matin, sur l'avenue Bourguiba, au cœur de Tunis. Son message est simple et court : « Ben Ali, dégage ! ». Car le discours de la veille annonçait implicitement quelque chose dont les Tunisiens ne veulent plus : Ben Ali veut rester au pouvoir jusqu'en 2014.
«Libres» pour la première fois
Dans les milieux de l'opposition, de nombreuses réactions immédiates de rejet ont été enregistrées, certaines paraissaient plus conciliantes. La grande manifestation de vendredi au cœur de Tunis a montré que les Tunisiens ne veulent pas d'une transition démocratique sous la supervision de Ben Ali. « Comment peut-il annoncer le jugement des corrompus alors que c'est sa propre famille et celle de sa femme qui sont mis en cause », se disent les Tunisiens. Beaucoup de ces Tunisiens qui se sentaient « libres » pour la première fois ne veulent pas prendre le risque de laisser le régime retourner la situation en sa faveur. « Ben Ali, dégage » exprime à la fois le rejet d'un régime ultra-policier qui a imposé une chape de plomb aux Tunisiens et aussi un refus de l'associer au nouveau cours. Le régime lâche du lest pour essayer de sauver les meubles. La situation était devenue intenable depuis que la révolte a atteint Tunis, à deux pas du palais de Carthage et que même les stations balnéaires, comme Hamammet, basculaient à leur tour. L'image saisissante de Tunisiens décollant un immense portrait de Ben Ali à Hammamet était édifiante. Et surtout des signaux manifestes d'une fraternisation entre manifestants et militaires, qui ne se sont pas impliqués dans la répression contrairement à la police, montraient que le régime s'affaiblissait et s'effritait.
Point de non-retour
Les Tunisiens ont atteint un point de non-retour. Ils ont payé un lourd tribut avec près de 70 morts. Le discours de Ben Ali ne pouvait suffire à renverser la vapeur. Il a montré surtout aux Tunisiens que, pour la première fois en 23 ans, le régime a peur. Les Tunisiens s'étant débarrassés de la peur, la répression policière, seul véritable argument du régime, a cessé de fonctionner. Le président Ben Ali a fait preuve du formidable aveuglement des systèmes fermés qui au lieu de se donner le moyen d'écouter la population s'appuient sur la police. Cela peut fonctionner, bien entendu, mais avec une grande fragilité. Personne n'aurait cru que les Tunisiens si pondérés et qui, par certains côtés, ont appris à avoir « un flic dans la tête », se révolteraient avec une détermination aussi farouche. Il a fallu la conjonction d'un geste désespéré d'un jeune homme avec une extraordinaire exaspération nationale… De la révulsion à l'égard d'un régime qui songeait encore à une rallonge à Ben Ali en 2014 à la révolution, il n'y a qu'un pas. Il a été accompli par les Tunisiens qui ouvrent une brèche dans le glacis autoritaire au Maghreb. En début d'après-midi, la police a chargé à coups de gaz lacrymogène, les manifestants rassemblés devant le ministre de l'Intérieur, baptisé « ministère de la terreur ». Les Tunisiens, sans aucune aide extérieure, l'appui de Paris allant constamment au régime, sont en train de rouvrir du champ pour la démocratie au Maghreb. Car la contamination aura lieu. A n'en pas douter.


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