C'est parce que le système de pouvoir algérien a voulu exercer sa domination sur la société pour son intérêt exclusif, les contenus idéologiques avec lesquels il a accompli son hypothèque de l'Etat sont nécessairement tombés en désuétude à force d'usure. Devant son impuissance à les renouveler, pas seulement il entre dans un processus d'agonie interminable, mais il emporte toute la société avec lui vers une impasse tragique. De l'agonie du pouvoir et des tâches à accomplir Telle une tempête qui a balayé les espoirs de libération des Algériens, depuis le tournant de la fondation de leur Etat le premier novembre 1954, le système de pouvoir algérien s'est autoneutralisé, faute de pouvoir s'adapter aux impératifs du changement de notre temps. Agonisant dans ses derniers atermoiements, par des diversions en des «réformes» au conditionnel par ci, des distributions stratégiques de parts de la rente par là, des effets d'annonce prometteurs tous azimuts et des considérations d'auto-gratification prétentieuses et invraisemblables de réalisations économiques et sociales (un million d'emplois créés en une année !) En continuant à user comme toujours, faute de mieux, du même discours démagogique et auto légitimant à la fois, qui enflammait autrefois les passions populaires, dans une tonalité qui devient de plus en plus folklorique à force d'usure, et qui par son autisme, continue à croire d'être affable. Délaissés par ce pouvoir devant leur sort jusqu'à leur néantisation, les perdants de ce système, qui sont au nombre de la grande masse des Algériens, ne manifestent plus de signes d'adhésion à son affabulation. Ils sont arrivés à cette méfiance et à ce scepticisme, qui précipitera la rupture, après avoir été alertés par la rue arabe qui gronde, dont les malheurs sont autant de néantisations identiques, et par les échos incessants de révoltes et de contestations qui se manifestent en Europe et en Afrique, contre la précarité de la vie, suite à la démission des pouvoirs publics face à leurs responsabilités. Et tout d'abord, alertés par leur propre lassitude de ne voir dans leur vécu aucune détermination, ni de sens à lui donner. Les perdants de la société algérienne sont devenus totalement indifférents à ce pouvoir, d'autant que celui-ci affiche sans état d'âme son illégitimité, et envers qui leurs sentiments sont entrés dans un processus allant du rejet à la récusation, jusqu'à la négation de sa substance même. Lui contestant le moindre acte, le moindre signe de sa manifestation, allant jusqu'à lui disputer la moindre jouissance, fut-elle celle de l'acquisition d'un parc à voitures. Cette prise de conscience, qui d'évidence est irréversible, se détermine de plus en plus dans l'action de contestation, délaissant la fuite en avant caractérisée autrefois par un pessimisme et une résignation généralisés, dans des actions suicidaires qui alimentaient, il y a si peu de temps encore la chronique, par les immolations à répétition et les noyades. Le recours à la contestation et à la résistance s'affirme désormais de plus en plus, chez eux, comme l'unique culture de réaction contre leur sort. Devant ce processus politique larvé, les élites, les intellectuels, les médias aussi bien publics que privés, qui sont enchaînés dans ses plis pour des causes dont il est difficile à s'en sortir, (1) qui veillent tant bien que mal sur son agonie, ne pourront lui être d'aucun secours. Tellement la rupture est profonde et irrémédiable entre le pouvoir et la grande masse du peuple, que toutes les sensibilités et les particularismes qui la composent, et qui autrefois s'opposaient violemment les uns aux autres pour leurs intérêts respectifs en empêchant l'émergence d'un consensus pour faire front commun dans la résistance, sont aujourd'hui affectés dans cette rupture par le même état d'esprit, caractérisé par ce trait d'union, propre à l'expression populaire, singulière et sans concessions, «fakou», résumant à elle seule, aussi bien les processus de prise de conscience, que ceux menant à la rupture et ouvrant la voie aux hostilités. Atrophié par son autisme à la limite du pathologique, le pouvoir continue à sévir dans son entreprise de prise en otage du politique et du destin collectif, par la conviction de son invulnérabilité et de l'illusion de puissance qu'il en tire en renforçant son sentiment d'impunité. Allant jusqu'à la neutralisation dans la transparence absolue et au grand jour de la justice, par l'emprisonnement de l'élu maire de Zeralda, qui a eu le courage et l'audace de l'affronter dans ses retranchements et ses sévices. Et comme par un défi à l'apesanteur, pour se rassurer de sa puissance dissuasive, dans la perspective d'une virtuelle bataille à mener contre un ennemi aussi virtuel, en achetant toutes sortes d'armes de guerre très coûteuses, aériennes, amphibies et sans doute bientôt sous-marines, si cela n'est pas déjà acquis. Alors qu'il doit assumer en millions de couffins le nombre de ses nécessiteux, et aussi en millions de logements à ses sans abri ou ces tassés en surnombre dans l'unique logement de la famille élargie. À qui sont-elles destinées ces armes en fait ? Ses ennemis se sont-ils démultipliés depuis que ses alliés de la région ont déserté leurs postes malgré eux ? La course à l'armement, avec notre voisin bouillonnant et expansionniste (le Maroc), est-elle une menace réelle ? ou est-ce une diversion possible pour les deux belligérants à simuler une guerre pour sauvegarder leurs trônes respectifs, depuis que l'alibi du terrorisme ne fait plus recette ? Signalons à l'occasion, le cynisme avec lequel les marchands d'armes sont en train d'alimenter implicitement la tension entre ces deux peuples frères, par le statu quo qu'ils imposent au règlement de la crise du Sahara occidental, pour écouler leurs machines de mort et de destruction, afin de faire face à la faillite de leur système économico-politique, d'une part, et par l'objectif inavoué de la neutralisation d'un peuple qui a toujours été jaloux pour son autonomie et son indépendance, d'autre part. Le pire à craindre serait que la tempête, en agonisant, ne se transforme en cataclysme qui risquera de tout anéantir sur son passage. À l'image de cet autre voisin inconsistant par ses sursauts d'humeur, agonisant à son tour sous les décombres de sa forteresse (la Libye), ou cet autre, qui est en train de s'enliser, et même d'y prendre goût, dans un carnage dont on ne peut prévoir quand et jusqu'où cela peut-il aller (la Syrie). Tout en sachant que le pouvoir algérien a les moyens de faire durer son agonie indéfiniment par le pire des moyens, il est cependant condamné à ne le faire par d'autres choix, que dans la rupture avec la société. Devant le constat suffoquant de cette rupture irréversible, tant les probabilités de réconciliation sont nulles, par autant d'écart entre les aspirations des uns et les intentions des autres, et devant le constat, que le processus d'agonie de ce système politique est également lui aussi irréversible, et qu'il est devenu si obsolète et si inopérant en ayant atteint ses limites idéologiques, qu'il en est devenu irréformable, - Et même si cela était possible, force est de constater, que le pouvoir ne peut réformer un système qui le fait exister, car, le réformer, cela signifie pour lui précipiter son anéantissement instantanément, et il ne semble pas près de faire ce sacrifice - nous nous trouvons en face d'une impasse tragique, où notre destin commun est en train de se jouer. Dans cette situation, il sera plus utile pour le débat de se focaliser sur le possible, qui puisse ouvrir le champ de l'espoir. Disperser notre énergie à relater son agonie apparaît a priori sans pertinence. Enfermer le débat dans les plis de sa rhétorique cela ne pourra que renforcer son illusion de pouvoir durer encore un peu plus. C'est le parti pris responsable qu'ont pris les partis politiques et les personnalités nationales ayant refusé de participer à l'ultime diversion sous la forme de consultations par une commission nationale chargée de préparer la plate-forme à un «projet de réforme». Ce que l'opinion libre, qui se veut engagée dans la perspective de reconstruction de la société, meurtrie par tant de gâchis et de retards, au-delà des calculs partisans, peut verser dans le débat, c'est d'apporter sa contribution à la tâche essentielle de comptabilisation et d'évaluation de l'échec de notre expérience d'Etat émergeant de la très longue nuit coloniale, et à l'élaboration de réponses efficaces. Evaluer en quoi le système de pouvoir ayant succédé à la domination coloniale avait échoué dans la construction d'un Etat qui devrait garantir prospérité et liberté à toutes les sensibilités et à tous les particularismes qui constituent la richesse de la société algérienne par sa diversité, tel que promis par les idéaux de novembre 1954. Nous pensons pour notre part, que la raison principale à l'échec de notre société, dans ses différentes manifestations, ne pouvait être imputée principalement à autre chose, qu'à l'évacuation du principe des droits de l'homme, au sens le plus large, de l'entreprise d'édification des institutions de l'Etat. Nous pensons que ce principe devrait être au centre des préoccupations de toute entreprise de mise en œuvre d'un processus d'élaboration d'une constitution, et également d'un quelconque amendement de celle-ci. Il devrait présider à toute initiative de réformes, aussi bien à celles qui devraient être apportées aux législations organisant la compétition et la vie politique : code électoral, législations sur les partis politiques et les associations, sur la presse et les médias, ou à celles qui sont relatives à l'indépendance du pouvoir judiciaire, et qui devraient permettre la mise en place des règles de répartition des pouvoirs et de répondre aux aspirations démocratiques, de prospérité et de liberté de la population. À cette occasion, les grands principes fondateurs d'un nouvel ordre politique et juridique, et principalement celui des droits de l'homme, devraient être débattus dans l'espace public, qu'il faudra à priori conquérir. Il s'agit en fait de remédier à l'entreprise de dépolitisation des masses, qui conduit souvent les révoltes à des revendications fondées sur des causes fragmentaires et décentrées, dans des expressions souvent violentes et sans lendemain. Débattre notamment, autour des sources du droit, par la place de la Chari'a et le poids des normes du droit international, les fondements du récit national ainsi que les composantes de l'identité nationale (les langues pratiquées par la population, le statut de la religion, etc.), les droits et la représentation politique des femmes, la décentralisation et la régionalisation du pouvoir, la place des partis fondés sur la religion, la nature du régime constitutionnel (son caractère présidentiel ou parlementaire), et surtout l'établissement d'un véritable contrôle de constitutionnalité des lois, etc. Je propose ici, ma modeste contribution autour de la question des fondements du récit national, car, il me semble que cette question occupe une place centrale dans tout projet d'édification des institutions d'un Etat. En tant que référence à l'établissement d'un accord national, qui déterminera notre personnalité, où chaque citoyen pourra s'y reconnaître, sans qu'il ait le sentiment qu'on le lui impose. C'est du moins ce qui semble être le fondement même des droits de l'homme. Sur les fondements du récit national 1) La schizophrénie comme mode de domination L'assertion de l'islamologue algérien Mohamed Arkoun que «les Algériens choisiront plus qu'ils ne subiront la religion islamique»(2), qu'il prononça du reste avec très peu de conviction, est insoutenable, si on l'opposait aux différents récits de résistance à l'invasion arabo-islamique, volontairement ignorés de l'historiographie officielle nationale. Car, au moment de la renaissance de l'Etat algérien en 1962, l'idéologie, qui s'est emparée du pouvoir, a préféré imposer un autre récit orienté par la référence arabo-islamique contre toute évidence scientifique et fondé essentiellement sur des références mythologiques, qui couraient depuis l'antiquité, et qui seront reprises, telles quelles par des idéologues de ce pouvoir. À commencer par celui de Saint Augustin, qui rapporte au IVe siècle ap. J.-C. que les Amazighs avaient comme origine les «Chanani», c'est-à-dire des Cananéens, de la ville de Cana, en Galilée, dans le nord de l'actuelle Palestine. Ibn Khaldoun, lui emboîtant le pas, et se référant à la mythologie biblique, affirme au XIVe siècle, que les Amazighs étaient les «enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé». Ces assertions légendaires ont fait leur chemin avec bonheur, jusqu'au XVIIe siècle, où elles seront réactualisées par l'historien égyptien Mohamed Al-Bakri, qui en s'appuyant à son tour sur des légendes bibliques avance que les Amazighs descendaient de peuples chassés par les Hébreux après la mort de Djalout (Goliath), aux environs des XIe-Xe siècle av. J.-C. Ils auraient, selon lui, été conduits au Maghreb par le fils de Djalout Ifricos. Beaucoup d'idéologues algériens considèrent à leur tour, aujourd'hui encore, que les ancêtres des Algériens sont d'ethnie arabe et d'origine yéménite. Cette version mythologique du récit national sera, en concurrence permanente avec l'autre version sur le récit des ancêtres des Algériens, soutenue par la science historique, et qui aura comme conséquence une réelle perturbation schizophrénique dans l'imaginaire des Algériens aujourd'hui. Voir à ce propos les travaux de l'historienne Malika Hachid(3) sur les origines du peuplement de l'Algérie pour celui qui veut s'instruire sur la question. En fait, selon l'historienne Malika Hachid et un large consensus de la science historique, l'origine du peuplement de l'Algérie remonte bien loin dans le temps, approximativement à deux millions et demi d'années d'après les découvertes de vestiges remontant à cette période, tels, des galets taillés. Ce qui fait de l'Algérie, l'un des premiers berceaux de l'humanité. Pour l'assertion de Mohamed Arkoun, il est évident que les Algériens n'ont pas accueilli l'invasion arabo-islamique à bras ouverts. Une résistance opiniâtre et organisée s'est déroulée aussi longtemps dans le temps, et dont les échos sont parvenus jusqu'au mouvement national durant le XXe siècle, dans sa version politique, et jusquà ce jour, à travers les partis politiques laïques. Parmi les plus célèbres et les plus populaires des récits de résistance à l'invasion arabo-islamique, il y a celui de la reine Kahina, que les constructions idéologiques lui avaient endossé plusieurs griefs de traîtrise, à commencer par son appartenance au judaïsme et son anti-algérianisme tout court. Alors qu'elle a défendu son territoire aux commandes de son armée avec courage et détermination, jusqu'à épuisement. Ou encore, la résistance de Koceila, à la progression de la conquête arabo-islamique vers l'ouest de l'Algérie, par son combat acharné contre Okba Ibn Nafih, qu'il poursuivit dans sa fuite, après avoir décimé son armée, jusqu'aux confins du territoire Gétule, actuelle Biskra, lequel territoire appartenant de droit au royaume de ses ancêtres les masæysiles, où La Kahina régnait sur une confédération de tributs Gétules, et où il finit par l'abattre. Il sera tué à son tour quelque temps plus tard, dans un ultime combat dans lequel il aurait mis toute son abnégation. L'ironie de l'histoire dans cette affaire a fait du conquérant un héros, occupant une place importante dans le récit fondateur de l'Etat algérien, alors que le résistant Koceila, qui a défendu l'intégrité de son territoire avec tout le sens du patriotisme qui convient, fut relégué au statut de traître. Exactement, comme si, en transposant ces faits dans l'histoire contemporaine, à supposer que l'Algérie n'ait pas obtenu son indépendance, et que les Français ont réussi à faire de nous des Gaulois (sic !), on aurait considéré les partisans de l'Algérie française, y compris les harkis, comme des authentiques patriotes, et les combattants de l'ALN des traîtres à la patrie ! Ou alors, cet autre récit, aussi aberrant que les précédents, que celui de Saint Augustin, qui sous son conseil furent massacrés les donatistes, une dissidence chrétienne Amazigh, qui a voulu s'émanciper du christianisme dominant, qu'ils considéraient asservi aux puissants Romains, en lui donnant une coloration locale Amazigh plus adéquat à leurs conditions. L'idéologie religieuse chrétienne retiendra de cet épisode l'héroïsme de Saint Augustin et l'hérésie pour les donatistes. Dans une logique de patriotisme et de traîtrise, Saint Augustin pourrait être considéré, dans ce cas, comme un précurseur de la psychologie du harki, car il a trahi ses compatriotes, des Amazighs comme lui, en les dénonçant aux colonisateurs Romains, alors, que les donatistes passeront plutôt pour des martyres patriotes ayant résisté à l'idéologie coloniale romaine par la contestation de leur indépendance. Outre le fait, que ces aberrations et ces anachronismes amputent le récit national de la société de sa véritable identité, et d'affecter son imaginaire et ses représentations de soi par une schizophrénie handicapante, le citoyen se trouve même privé d'attribuer des prénoms de son choix à ses enfants, car, les autorités en charge de l'état civil le lui refusent en évoquant l'inexistence de ceux-ci dans le lexique national des prénoms. Une autre histoire, celle-là, qui est en train de défier la chronique de nos jours. À l'évidence, non pas seulement, que l'Algérie subira la domination arabo-islamique avec violence, et qu'elle lui imposa son idéologie comme unique source de son récit national et de son identité de base, avec la conquête des armées arabo-islamiques depuis le VIIe siècle de l'ère chrétienne. Mais elle va la subir encore une deuxième fois, par la même méthode violente, avec la conquête idéologique du système de pouvoir cette fois, qui présida à la renaissance de l'Etat algérien depuis 1954, et qui perdure à ce jour, toujours en usant de la même méthode ; Violence et instrumentalisation à des fins de domination, par l'exclusion ou la soumission. De ce fait, l'Algérien sera en permanence, privé d'accès aux véritables composantes de son récit national, et sera forcé à endosser une identité qui le contraindra à subir une situation psychologique schizophrénique, l'empêchant de pouvoir élaborer une assise à sa personnalité et d'en jouir intégralement. 2) L'Algérie, haut lieu du cosmopolitisme universel La richesse du peuple algérien se mesure à son fort taux de métissage et de multiculturalisme, qui fait de lui l'un des plus hauts lieus du cosmopolitisme universel, depuis l'antiquité. Ainsi, les Egyptiens, les Hébreux, les Grecs, les Phéniciens, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Espagnoles, les Ottomans, les Français, et autres Maltes, Portugais, Africains subsahariens , ont contribué à l'élaboration de ce haut lieu de la culture cosmopolitique universelle. « à partir de l'antiquité, le destin du peuple des Imazighen se trouve au confluent de toutes sortes d'interférences physiques, politiques, économiques, culturelles et cultuelles avec l'ensemble des populations méditerranéennes, en particulier celles qu'il rencontra, de gré ou de force, à l'occasion de leur passage en Algérie, sur fond de convoitises permanentes.» (4) La conquête arabo-islamique, de l'avis des historiens, n'a pas déplacé de nombreuses populations, et l'invasion hilâlienne s'avère être plus une exagération mythique au service de l'idéologie, qu'une réelle colonisation de peuplement. Au plus, les Arabes de souche se trouvaient surtout au commandement, à la tête de ces armées conquérantes, secondées par des hordes de mercenaires, à qui, étaient promises une part de butin des razzias qu'entreprenaient systématiquement ces conquérants sur leurs passages destructeurs et meurtriers. Il conviendrait de considérer les Algériens d'aujourd'hui, pour être plus plausible, comme étant majoritairement des Amazighs confrontés en permanence au dialogue interculturel(5), par leur position géostratégique au confluent entre méditerrané, proche orient et Afrique, et fortement acculturés par la culture arabo-islamique, que de les assimiler à des Arabes, ce qu'ils ne sont pas en réalité. 3) Le récit national ne peut s'acheter au «supermarché» de l'histoire Le récit dominant imposé par le pouvoir algérien, qui fait coïncider le début de l'histoire de l'Algérie et le point de départ de la constitution de son Etat avec l'avènement de l'Islam, est une interprétation absurde et anachronique ! «Dans l'antiquité, il n'y avait certes pas d'Etat algérien, parce que les nations et les Etats modernes n'existaient pas tout simplement, pour des raisons qui relèvent, non de l'histoire, mais des préoccupations de pouvoir s'articulant sur l'idéologie.» (6) Alors, que les Etats et les Nations n'ont commencé à se former que bien plus tard. En France, ce n'est qu'à partir du XVe siècle que commença à se cristalliser l'idée de la Nation française, les Etats-Unis d'Amérique en 1776 et plus récemment encore l'Italie qui réalisa son unification qu'en 1870. Cependant, selon l'avis du grand géographe et spécialiste du Maghreb Yves Lacoste, les frontières du Maghreb entre l'Algérie, le Maroc et la Tunisie sont les plus anciennes frontières des Etats du monde. En fait, c'est aux environs des IVe-IIIe siècles av. J.-C. (7) qu'apparaissent nettement des entités politiques avec des frontières distinctes en Afrique du Nord. Elles peuvent être ramenées à trois royaumes : à l'Ouest, le royaume des Maures (le Maroc actuel) approximativement dans ses frontières contemporaines ; Le royaume des Masaesyles partageait ses frontières à l'Ouest avec celle des Maures, et à l'Est avec celle du royaume des Massyles, qui représentait le territoire de la Numidie, qui partageait de son côté ses frontières à l'Est avec les territoires contrôlés par Carthage, qui deviendra la Tunisie actuelle. Certes, les frontières entre ces Etats n'ont pas cessé de connaître des fluctuations au gré des rapports de forces qu'ils exerçaient les uns contre les autres, tout le long de l'histoire. Néanmoins, la configuration globale héritée de cette époque ne cessa de tendre vers leur stabilisation au cours de l'histoire jusqu'à leur tracé actuel. Cette logique ne s'appliquera pas, cependant, à la frontière qui sépare les royaumes Massyle et Massaesyle. L'évolution de ces deux royaumes connaîtra un sort particulier. La frontière, qui les sépare et que l'on situe à l'embouchure d'oued El-Kébir, disparaîtra souvent à l'occasion d'unifications provisoires de ces deux royaumes, au profit de l'un ou de l'autre, par l'annexion du territoire du vaincu au cours de guerres fratricides interminables entre eux. C'est ainsi, que le royaume Massaesyle sous le règne de son roi Syphax, qui recouvrait la plus grande partie du nord de l'actuelle Algérie, incluant le Sud constantinois, appelé le pays des Gétules, s'étendit à la fin du IIIe siècle av. J.-C sur la totalité de son territoire, suite à la conquête qu'il réalisa du royaume Massyle de Massinissa. Le royaume Massaesyle eut pendant cette période deux capitales, l'une à l'Ouest Siga et l'autre à l'Est Cirta, toutefois en gardant le siège du pouvoir central en Oranie. À son tour, le roi Numide Massinissa, annexa une grande partie du territoire Massaesyle vers la moitié du IIe siècle av. J.-C, après avoir pris le dessus sur son rival Syphax. Peu après, lorsque Scipion, à la tête de l'armée romaine écrasa l'armée carthaginoise commandée par Hannibal, une longue période de dépendance politique de l'Afrique du Nord commence. Mais l'imaginaire, les représentations de soi et de l'espace, les constituants de la mémoire collective des Algériens seront sensiblement structurés autour de l'unité réalisée au cours de sa période de formation initiale, dans la rivalité entre ses deux versants Massaesyles et Massyles. Leur culture, leur langue et leurs traditions ont subsisté jusqu'à nos jours. Cependant, ils continueront à s'enrichir un peu plus, à chaque fois, par l'apport des civilisations qui se sont succédé sur leur territoire, particulièrement par la culture de la civilisation arabo-islamique, qui a duré le plus longtemps, et dont l'influence sera la plus significative. On ne peut dans ce cas, à la lumière de son évolution historique, se permettre de réduire le récit national du début de l'histoire de l'Algérie et le point de départ de la constitution de son Etat avec l'avènement de l'Islam, et renvoyer la période antérieure de son passé à une quelconque jahiliya, selon la terminologie du lexique arabo-islamique. «Il ne saurait y avoir, quoi qu'imaginent certains, de supermarché de l'histoire où chacun remplirait, plus ou moins gratuitement, son couffin de sa part d'histoire, pour en priver d'autres, les culpabiliser, les humilier, les agresser ou les soumettre.» (8) Youcef Benzatat Références : (1). Notre article, Demain la Révolution, Le Quotidien d'Oran, 04 Août 2011. (2). Mohammed Arkoun, Essais sur la pensée islamique, Maisonneuve et Larose, Paris, 1984. (3). Malika Hachid, Les Premiers Berbères. Entre Méditerranée, Tassili et Nil, Ina-Yas / Edisud, Aix-en-Provence,2000. (4). Smail Goumeziane, Algérie, l'Histoire en héritage, Alger, Edif 2000, 2011 (5). Notre article, En finir avec la culture des préjugés, Le Quotidien d'Oran, 14 Juillet 2011 (6). Gilbert Meynier, L'Algérie des origines, de la préhistoire à l'avènement de l'Islam, Paris, la Découverte,2007 (7). Gilbert Meynier, op. cit., (8). Smail Goumeziane, op. cit.