Chadli Bendjedid est parti, pour la dernière fois. Cet homme, ce moudjahid, cet ancien militaire que rien apparemment ne prédestinait à prendre les rênes du pays, n'a jamais laissé indifférents les Algériens. Jusqu'aux blagues les plus infâmes. Président atypique, il a eu le privilège et le courage de prendre des décisions que d'autres avant lui n'avaient pas eu le courage ou la volonté de prendre. Fort du soutien de la grande muette, il avait particulièrement mis fin au supplice de feu Ahmed Ben Bella, mis en résidence surveillée à la suite de sa destitution en 1965. Il a levé également, sur le plan politique, les 'interdits'' qui empêchaient les opposants politiques depuis l'époque Ben Bella, comme Boudiaf, Aït Ahmed, Benkhedda ou Saïd Sadi, de revenir non seulement au pays mais de faire de la politique. A cette époque, il avait en fait ouvert le jeu politique en permettant à tous les courants de l'opposition de sortir de la clandestinité. Certains affirment qu'il y a été contraint par l'appel d'air des Algériens. C'était un peu les grands fruits des réformes politiques sur le sillage de la révision de la Constitution qu'il avait décidée après les événements dramatiques du 5 Octobre 1988. Pour autant, Chadli n'avait pas que des « amis », ni son passage aux plus hautes fonctions de l'Etat dénué de dérapages, de tâtonnements et d'errements. Bien au contraire. Le début de la rapine et des prédations avait également marqué son passage à la présidence de la République au milieu des années 1980, au point où il a été poussé à trancher dans le vif pour faire taire les critiques les plus acerbes concernant sa gestion des affaires de l'Etat. Et tenter de recadrer l'action publique. Trop tard: les événements d'Octobre arrivent et charrient avec les manifestations de jeunes durement réprimées l'appel pressant au changement. Chadli Bendjedid ne s'est pas trompé à ce moment-là, et là surtout, il faut reconnaître, contrairement à certains dirigeants arabes de l'époque, qu'il a bien compris l'appel de détresse des Algériens. Cette formidable demande d'oxygène d'une jeunesse otage des politiques type 'fast-food''. Il faut lui reconnaître aussi cette faculté d'avoir entendu et compris les appels de la rue, même si cela s'est passé dans le sang et la répression des manifestants, avec officiellement 189 morts. Fallait-il en arriver là pour que des changements politiques radicaux soient enfin consentis par le pouvoir qu'il incarnait ? Pour la classe politique actuelle, c'était alors le printemps algérien, à l'issue duquel il a réussi à reprendre la main sur les affaires de l'Etat, en s'appuyant sur une partie des caciques du FLN. Il a poursuivi dans cette démarche en ouvrant le jeu politique avec le multipartisme, la liberté d'expression et donnant le feu vert aux organisations de la société civile qui évoluaient jusque-là dans une semi-clandestinité, comme les ONG des droits de l'homme. Par contre, ses hésitations et ses zones d'ombre sur la gestion des premières élections législatives, avec l'apparition du FIS et l'arrêt du processus électoral, seront ses grandes erreurs politiques qui ont mené le pays vers l'abîme. Mais, pour les historiens, c'est là où commence la véritable analyse critique des 13 années de présence de Chadli Bendjedid à la tête de l'Etat. Bien après sa retraite politique, les critiques continuent sur sa gestion jugée catastrophique des premières élections pluralistes. Bien plus, le fait qu'il ait devancé quelques figures emblématiques de l'époque, comme Mohamed Salah Yahiaoui ou Mohamed Cherif Messadia, et même Abdelaziz Bouteflika, était déjà un pied de nez à l'histoire de l'Algérie indépendante. MAIS, QUELS QUE SOIENT LES CRITIQUES OU LES AVIS DES UNS ET DES AUTRES, CHADLI BENDJEDID RESTERA LE PRESIDENT QUI A OUVERT LE JEU POLITIQUE EN ALGERIE ET L'INSTIGATEUR, PEUT-ETRE MALGRE LUI, DU PRINTEMPS DEMOCRATIQUE ALGERIEN. IL A, LA EGALEMENT, DEVANCE LA VAGUE DE CHANGEMENTS QUI ALLAIENT BOULEVERSER LA CARTE POLITIQUE EN EUROPE, AVEC LA CHUTE DU MUR DE BERLIN, LA PERESTROIKA EN URSS ET LA FIN DE LA DICTATURE DE MOSCOU SUR LES REPUBLIQUES DE L'EUROPE DE L'EST ET DE LA MER BALTIQUE.