La mort de Chadli survient au lendemain de l'anniversaire des évènements du 5 Octobre qui avaient précipité son départ en janvier 1992. Âgé de 83 ans, le troisième président de l'Algérie indépendante s'en va au moment où le pays commémorait, presque dans l'indifférence, les douloureux “évènements" d'Octobre 88, l'une des plus importantes explosions sociales et politiques vécues par le pays, alors que Chadli présidait aux destinées de l'Algérie. Provoqués ou récupérés ? Ces évènements, expression d'un malaise et d'un ras-le-bol généralisés, allaient donner au défunt président l'occasion d'entamer l'ouverture démocratique, à travers la révision par référendum de la Constitution et l'instauration du multipartisme. Arrivé presque par hasard au pouvoir, au lendemain de la mort de Houari Boumediene, celui qui était le plus vieux gradé à son poste a été préféré à Mohamed Salah Yahiaoui, du FLN, et à Abdelaziz Bouteflika, l'homme de la diplomatie algérienne. Une “trouvaille" que les militaires de l'époque ont dû invoquer pour départager la vieille garde et donner une nouvelle image au pays. Mais Chadli arrive en pleine crise : les cours du baril de pétrole étaient en chute libre et le pays était obligé de recourir au FMI. C'était l'époque de la crise économique, du plan anti-pénurie (PAP) et du libéralisme qui commençait à pointer timidement son nez. Peu loquace, le défunt président aura survécu à de nombreux soulèvements populaires, à commencer par le Printemps berbère en 1980, suivi de ceux de Sétif, de Constantine et de La Casbah d'Alger. Il finira par lâcher du lest suite aux “évènements" d'Octobre 88 qui, eux, avaient un caractère national. Militaire de carrière, celui qui était présenté comme un libéral par les “caciques" du FLN, a dû livrer une bataille en sourdine à l'appareil du parti-Etat, notamment depuis 1986, où les prémices des réformes économiques commençaient à faire leur apparition. Les partisans du “socialisme de la mamelle" l'accusaient de vouloir brader l'économie algérienne et le tissu industriel, alors que lui, par le truchement de jeunes loups, à l'instar de Mouloud Hamrouche, affirmait que le pays était dans l'impasse et qu'il fallait trouver d'autres moyens pour s'en sortir. Le 5 Octobre 88 lui donnera une occasion en or pour se débarrasser des caciques du FLN. En ouvrant le champ politique au multipartisme, Chadli laissera un cadeau empoisonné à ses successeurs : le FIS. En pleines émeutes populaires, les dirigeants islamistes se voient offrir sur un plateau les clefs du pouvoir, eux qui n'ont pris part, ni de près ni de loin, à ces douloureux “évènements". Comme Ennahda en Tunisie, le FIS a fait un hold-up parfait de la révolte des jeunes d'Octobre et s'est vu propulsé au-devant de la scène politique. La gestion de ce dossier lui vaudra, d'ailleurs, son éviction de son poste en 1992, après la fameuse grève insurrectionnelle des islamistes et l'arrêt du processus électoral. En quittant le pouvoir, il laissera un pays surendetté, une économie presqu'à l'arrêt, mais surtout une indescriptible instabilité qui a, tout de suite, donné naissance aux premiers groupes terroristes. Chadli a, certes, ouvert des “soupapes" pour l'expression des courants politiques activant dans la clandestinité, depuis le milieu des années 80, même si les arrestations et les tortures étaient toujours de mise, mais le danger des extrémistes était déjà là depuis l'envoi de volontaires en Afghanistan, mais aussi, l'insurrection de Bouyali and co. Bien avant le “Printemps arabe", Chadli a dû gérer son propre printemps qui a conduit à la décennie noire dont on continue à subir les conséquences. Alors que ses mémoires étaient attendues pour le dernier Salon international du livre, Chadli Bendjedid s'en va, non sans avoir parlé, ou essayé de se disculper des faits qu'on lui reproche. Mais force est de reconnaître que l'homme, depuis son éviction du pouvoir, ne s'est jamais comporté en revanchard, ni en donneur de leçons. Il est resté humble et discret. Qu'il repose en paix ! A B