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Mekhloufi, Amara et Rouaï : Des vérités et des non-dits
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 20 - 11 - 2013

Ce n'est pas tous les jours que des personnages historiques décident spontanément d'aller rendre visite à un journal. Le «Quotidien d'Oran» a obtenu ce rare privilège samedi après- midi avec la visite de trois membres de la glorieuse équipe du FLN, Rachid Mekhloufi,
Amara Saïd et Rouaï Amar.
Sans aucun plan établi au préalable, nous les avons écoutés. Ce fut une discussion à bâtons rompus autour de sujets importants, tels l'histoire de l'équipe du FLN, la Fondation FLN et, bien sûr, l'équipe nationale et le football algérien.
Le sérieux de l'entretien n'a pas empêché nos illustres visiteurs d'être tout à fait « cool », prouvant qu'ils ont gardé intact le sens de l'humour et de la répartie. Le temps de cette visite fut trop court, et il faudrait beaucoup plus de place pour relater en détails cet entretien car le contenu, de par la qualité des intervenants, a été très riche. Nous résumerons l'essentiel de cette rencontre à laquelle a assisté l'ancien attaquant international du MCO Belkedrouci.
ACTE FONDATEUR
Il y a plus de 55 ans, le 15 avril 1957 éclatait en France une « bombe ». Dix joueurs professionnels algériens ont répondu spontanément à l'appel du FLN en quittant leurs clubs respectifs en plein championnat, abandonnant leurs carrières, une situation financière aisée et même pour deux d'entre eux, Zitouni Mustapha et Mekhloufi Rachid, la Coupe du monde 1958, car ils étaient des titulaires indiscutables en équipe de France où leurs prestations avaient conquis le public et les médias. Ce sont ces mêmes médias qui, les premiers, furent surpris pour cet acte, et il a fallu du temps pour qu'ils comprennent sa portée et sa signification. Mekloufi : « Si le FLN a formé cette équipe, ce n'était pas uniquement pour jouer au football, mais pour montrer à l'Europe et même au monde que se déroulait depuis quatre ans en Algérie une guerre qui était étouffée. Après, bien sûr, il a fallu jouer. Nous étions dix, plus un amateur (ndlr Khaldi). On nous a donné un ballon et la possibilité d'être les « globe-trotters » du football. Nous n'oublierons jamais les quatre merveilleuses années que nous avons passé ensemble ». Ce 15 avril 1958, l'acte fondateur de la plus belle odyssée sportive au siècle venait d'être signé. Le monde a alors appris que le peuple algérien combattait comme un seul homme pour recouvrer sa liberté, dont il était spolié depuis 1830. Rouaï : « Avant le coup d'envoi du premier match, le 3 mai 1958 contre l'équipe de Tunisie, les onze joueurs, à la levée du drapeau, ont versé des larmes, car l'émotion était trop forte en raison de cet instant historique. Je peux dire, qu'aujourd'hui encore, nous éprouvons des frissons lorsque l'équipe natioinale joue ». Deux de nos visiteurs, Mekhloufi et Rouaï, ont inscrit les buts, imités par Kermali et Brahimi (deux réalisations, score final, équipe FLN 5- Tunisie 1). On rappellera que Amara et Mekhloufi ont drivé l'équipe nationale à plusieurs reprises avec la même ferveur et la même conscience professionnelle. Amara a chiffré à quarante ans ce périlleux exercice.
C'est Rouaï, dont la mémoire est intacte, qui a tenu à apporter des précisions sur la création de l'équipe du FLN. « Un responsable du FLN a proposé à Abdelaziz Bentifour de faire partie de l'équipe de football qui a représenté l'Algérie au festival mondial de la jeunesse à Moscou en 1957. Bentifour a fait une autre proposition : mettre sur pied une équipe de professionnels algériens opérant en France. C'est donc lui l'initiateur de cet acte fondateur auquel a pris part le regretté Boumezrag ». Il y a lieu de rappeler que cette délégation a été conduite par Mohamed Khemisti qui deviendra plus tard ministre des Affaires étrangères.
LA FONDATION FLN
«Les fondateurs viennent d'abord, les profiteurs viennent ensuite » (Péguy).
Lors de sa création en 2009, la fondation de l'équipe du FLN a été présidée par Soukhane Mohamed qui s'est retiré de ce poste.
Il y a eu ensuite un consensus sur Saïd Amara qui était considéré par tous comme la personne idéale pour cette responsabilité. Or, et à l'étonnement général, cette élection pourtant unanime a été « invalidée » par trois anciens joueurs de l'équipe du FLN sous le prétexte que cette cérémonie s'est déroulée en l'absence d'un huissier. Le 23 avril dernier, Rouaï Amar avait dénoncé cette manœuvre, reprochant à ses trois compagnons de s'être procuré des procurations auprès des familles de Doudou (Annaba) et Kermali qui étaient alités. « Ils ont procédé à une nouvelle élection en l'absence des joueurs de l'Est et de l'Ouest. Comment est-ce possible ? Devant notre étonnement, il nous a été répondu « que pour présider la fondation, il faut résider à Alger. Je trouve ce procédé parfaitement illégal puisque cette élection s'est effectuée sans notre présence. Je crois que l'équipe du FLN, c'est un collectif et non trois personnes », a-t-il asséné. Cette mainmise sur la fondation prouve qu'il existe une inquiétante cassure au sein des derniers représentants de l'équipe du FLN. En créant la fondation et en déterminant son rôle - créer des écoles viviers dans les 48 wilayas du pays -, les membres de la glorieuse équipe ont voulu laisser un « héritage » appelé à être un des facteurs du renouveau du football algérien.
LES REBELLES
En 2012, la chaîne française France 2 a chargé le célèbre journaliste Bernard Pivot de suivre pas à pas Rachid Mekhloufi, choisi pour illustrer ce reportage unique aux côtés des autres rebelles d'autres continents, ceux qui ont eu le courage de ne pas reconnaître et de se révolter contre l'autorité. Ces insurgés sont ressortis de la masse des sportifs dociles parce qu'ils étaient conscients de la situation de leurs pays respectifs.
Dans ce CD, Bernard Pivot, dont la notoriété est mondiale, était visiblement fier et heureux d'avoir un cicérone nommé Mekhloufi. On sait que ce dernier a fait l'objet d'allégations malveillantes qui ont touché son amour-propre. Il déplore ces coups fourrés venus d'anciens compagnons et, après avoir observé une certaine retenue, a fini par réagir : « J'ai en ma possession les documents judiciaires de la justice française qui attestent mon passé, c'est-à-dire ma désertion de l'armée française et mon départ de St-Etienne. Certains compagnons peuvent-ils en faire autant ? Par ailleurs, invité à une cérémonie à Toulouse, j'ai pris langue avec Just Fontaine, qui m'a affirmé qu'avant le 15 avril, il était au courant du projet du départ des joueurs vers la Tunisie. Il a préféré se taire, car mon départ faisait son affaire en équipe de France qui allait se distinguer en Coupe du monde 1958 en Suède. Qui l'a mis au parfum ? ».
Aujourd'hui, il a sa petite idée, mais il n'en dira pas plus. On précisera qu'en reconnaissance à sa contribution, au riche palmarès de l'ASSE, la direction du club l'a nommé ambassadeur à vie. Récemment, il est intervenu auprès du président pour que ce dernier ne poursuive pas en justice un correspondant d'un hebdomadaire algérien, ce dernier ayant accusé l'entraîneur Galtier de « raciste ». Enfin, pour qu'un « rebelle » qui s'est révolté contre l'ordre établi français, pénalisant sportivement et financièrement son club, devienne l'ambassadeur de ce dernier, il faut reconnaître que de facto les dirigeants stéphanois ont reconnu le bien-fondé du choix de Mekhloufi au mois d'avril 1958.
DERNIER COMBAT
Mekhloufi a bouclé ses 77 printemps tandis que Amara et Rouaï sont des octogénaires. On se souvient qu'ils avaient soumis il y a quelques années un projet simple et viable. Il n'y a pas eu de suite. Et pourtant, à leur âge, ils n'ont qu'une seule ambition : que l'on suive leurs conseils et leur immense expérience. Pour les avoir écoutés à maintes reprises, nous pouvons vous assurer que leurs suggestions méritent d'être prises en considération car elles sont pertinentes et toujours d'actualité. Ce dernier combat, ils veulent le gagner comme ils en ont gagné tant d'autres. Et pas pour leur satisfaction personnelle, mais pour la bonne cause, celle du football national. Mekhloufi encore : « L'Etat doit s'immiscer dans cette œuvre car il y a la planification et des objectifs à atteindre.
Les dirigeants ne pensent qu'à l'EN, mais je crois qu'il y a une autre démarche : c'est organiser le football au sein des clubs et des régions.
Notre drame, c'est de vouloir aller très vite. En 1982, les dirigeants ont utilisé des joueurs que nous avons formés et mis sur rails. Après 1990, il n'y avait plus rien. Ils ont cherché et ont trouvé les tiroirs vides. Je suis heureux que l'Algérie aille en Coupe du monde au Brésil et mes amis Amara et Rouaï sont du même avis. Mais après ? C'est ça la question ! Le bon sens voudrait que la planification devait être faite sur dix ans » a-t-il martelé.
Pour sa part, Amara, en authentique orateur, est intervenu sur tous les points de cet entretien, répétons-le, trop bref en raison des engagements de nos visiteurs et de l'heure tardive. Amara, en parfait technicien, a évoqué la situation de la DTN, reconnu les qualités de Saïd Haddouche qu'il connaît fort bien, mettant cependant l'accent sur le rôle de la pédagogie, les stages d'entraîneurs, sans oublier un coup de chapeau aux artistes yougoslaves. Amara, et comme à son habitude, a convaincu l'auditoire dont nous faisons partie. Il est vrai que son immense expérience, son riche vécu et ses grandes connaissances font encore de lui un interlocuteur incontournable. «Nous avons servi le football algérien pendant quarante ans et je crois que nous avons fait le tour de la question. A notre âge, nous n'avons aucune ambition si ce n'est que l'on veuille bien tenir compte de nos recommandations », a-t-il affirmé. Pour notre part, nous restons admiratifs par la disponibilité de cet octogénaire, qui malgré le poids de l'âge et la maladie n'hésite jamais à se déplacer pour la bonne cause, le football. Président de la ligue de Saïda dont chacun loue le fonctionnement exemplaire, Hadj Amara fait constamment face aux responsabilités. Peu de sportifs contemporains ou plus jeunes peuvent en dire autant. Il faudrait croire que sa passion pour le football l'accompagnera tout au long de son existence. Et c'est tant mieux ainsi…
MEKHLOUFI ET LE BARÇA
« Je suis l'évolution du football mondial et surtout le Barça qui est l'image type du football que tout le monde devrait pratiquer. Ce que les Barcelonais font sur le terrain est simple et valable pour n'importe quelle équipe. Le Barça s'appuie sur trois principes : 1) L'occupation du terrain, 2) La récupération rapide du ballon, 3) La circulation du ballon. En outre, le phénomène Messi apporte le plus, surtout dans les moments difficiles. Actuellement, ils jouent sans Messi et ils gagnent toujours.
C'est parce que le « fond » existe et a son origine au sein des formations des jeunes. Tout le secret est là.


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