Pierrette Lacroix est morte à Aix-en-Provence. Pour ceux qui l'ont connue, comme pour moi c'est une bien triste nouvelle que la disparition de Pierrette. Avec elle c'est tout un pan de la vie culturelle urbaine d'Alger des années 60, 70, et 80 qui disparaît. Pour ceux qui ne l'ont pas connue, ni la Librairie des Beaux Arts ces quelques lignes lues dans Libération de juillet 2012 : «La librairie des Beaux-Arts, située dans le centre, est l'une des plus anciennes d'Alger. Elle est minuscule, sur deux étages unis par un vieil escalier de bois. On dit que Camus venait s'installer sur les marches pour corriger ses articles. Elle a été fondée par Pierrette Lazerges, qui créera plus tard, à Aix-en-Provence, la librairie Vents du Sud. Elle laisse les Beaux-Arts après l'indépendance au catalan Joaquim Grau, que tout le monde appelait Vincent. Des islamistes le descendent sur le pas de la porte le 21 février 1994». Pierrette Lazerges, elle était une petite nièce du peintre orientaliste. Vincent qui garda précieusement le lieu quand Pierrette quitta l'Algérie fut assassiné. Pour nous la mort approchait, nous habitions l'immeuble d'à côté. Nous obligeâmes ma mère, espagnole comme Vincent et passionnément Algérienne comme lui, à quitter la Rue Didouche, et l'Algérie. L'exil fut une blessure dont elle ne se remit pas.Pour moi qui arrivais à tout encadrer par la pensée et l'analyse c'est la goutte qui fit déborder le vase et qui me conduisit au bord de la rupture avec l'Algérie. Je suis revenue de cette colère mais pas du chagrin. Tous les jours en rentrant de mon bureau, je faisais une halte dans la librairie. Pierrette était une passeuse. Elle me donna le gout de la littérature et de la musique. Eric Satie et Thomas Mann. Mahler et Musil, et tant d'autres merveilles. Je retrouvais là quelques habitués qui comme moi ne pouvaient se résoudre de voir la journée se terminer si tôt. Nous résistions aux mœurs agraires de la ville où dès la tombée de la nuit les rideaux des magasins étaient descendus, et dans le bruit sinistre des rouleaux métalliques nous échangions la passion des livres et les bienfaits d'une complicité qui pour une heure ou deux masquaient l'immense solitude que l'on pouvait vivre dans cette ville aussi belle que cruelle. Pierrette présidait avec délicatesse à la vie de ces réfugiés que nous étions loin des grands mouvements collectifs qui réglaient la vie de la capitale du Tiers Monde Libéré. Il y avait là, tous les fins d'après midi Géromini, le Dr Géromini qui avait rejoint la résistance algérienne dans les premières heures et qui accompagna Frantz Fanon dans sa révolution psychiatrique : l'hospitalisation de jour. Et aussi Jean-Marie Boeglin le déserteur ; collaborateur de Roger Planchon au TNT, il rejoint le FLN, pour créer le thâtre algérien. Que sont nos amis devenus. J'ai revu Pierrette à Aix où elle m'accueilli pour présenter « Une éducation algérienne ». Quand nous nous sommes embrassées elle pleura. Puis lentement, à voix basse elle évoqua son départ d'Alger, le temps qui passe, ma mère. Et Vincent. Elle m'avoua qu'elle fut en quelque sorte obligée de partir, les tracasseries administratives prenaient des allures de persécutions. Elle avait appelé sa librairie à Aix « Vents du Sud ». Il n'y a pas eu un jour sans qu'elle ait pensé à Alger m'avait-elle confié. Adieu Pierrette les vents, même du Sud, n'emportent pas tout.