La Librairie algéroise des Beaux-arts, Librairie de l'Empire aux temps de ses premières splendeurs culturelles, va fermer. La décision de la justice, légale au demeurant, est tombée comme naguère la lame de la guillotine à la prison Barberousse d'Alger. Au 28 rue Didouche-Mourad, les livres sont en larmes. Entendez-vous leurs pleurs, nos sanglots et nos cris de douleur, monsieur le président de la République algérienne, démocratique et populaire mais, de moins en moins, culturelle ? Oyez-vous monsieur le président de la RADP nos exclamations sur le Web et dans les colonnes de journaux exprimées au sujet de la mort de ce qui ne fut jamais une simple librairie ? Monsieur le Président, vous le savez bien, la Librairie des Beaux-arts fut un creuset de civilisation, un lieu de communion humaine. Cette petite boutique, jadis celle de Mme Lazerges, toujours militante du livre à Aix-en-Provence, a toujours été le cœur spirituel, palpitant de millions de mots, d'une capitale en mal de livres. Aujourd'hui, ville du mal-vivre et de la malbouffe qui bouffe inexorablement les livres et les libraires. La Librairie des Beaux-arts est une chapelle ardente du bouquin, une bibliothèque, une galerie d'art et un salon littéraire. Le 28 rue Didouche-Mourad, dont l'ancien nom Michelet renvoie à l'imprimerie, l'Histoire, la philosophie et la littérature, abritait, jusqu'à la décision de fermeture, l'Association algérienne pour la sauvegarde du patrimoine archéologique de l'Algérois. Elle a accueilli hier Giono, Kessel, Gide, Bernanos, Emmanuel-Roblès, Garcia Lorca, Achard, Audisio, Hadj Hammou et Camus. Le fils de Belcourt y avait même rédigé les quelques pages de l'Etranger. La Librairie de l'Empire fut aussi le phare littéraire de l'algérianisme que l'auteur de la Peste a appelé dès 1937 «la nouvelle culture méditerranéenne». Ses murs sont hantés par les mânes et les esprits de Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Jean Sénac, Abdelhamid Benhaddouga, Youcef Sebti, Tahar Djaout et Vincent Grau. Grau, ce très cher Vincent, moudjahid du livre, martyr des mots, assassiné par un terrorisme qui n'était pas seulement islamiste. Au 28 rue Didouche-Mourad, chahid de la Révolution d'émancipation algérienne, une librairie a été condamnée à mort. Elle risque de disparaitre à jamais. Comme celle du 37 rue Michelet, la librairie A Notre Dame. Comme celle du numéro 43, la Librairie Ferraris. Comme la Librairie Gévaudan, au 57. Comme au 73, Mon Triangle d'or. Comme Aux Etoiles d'or, au 77. Au 92, la Librairie Rivages. Et, au 110, la Librairie Michelet. A la rue Didouche-Mourad, la chaussure, la fripe, la chawarma et la pizza achètent et achèvent le livre ! Monsieur le Président, François Maspero que vous connaissiez et appréciez, avait dit qu'il «s'est fait libraire en reprenant une boutique à l'abandon qui sentait le pipi de chat». Ce fut, non loin de la Sorbonne, à Paris, la librairie La Joie de lire. A Paris, le livre occupe le vide. A Alger, la chawarma lipidique et le beggarisme qui pue le dinar malodorant vident les librairies. Alors, monsieur le Président rappelez-vous, à la suite de Denis Diderot que «la condition d'un peuple abruti est pire que celle d'un peuple brute». Enfin, en guise d'espoir, voici une solution pour que vive toujours la Librairie des Beaux-arts : constituer une association d'intérêt public qui demanderait le droit de préemption pour l'achat du fonds de commerce, ce qui ne léserait pas les droits légitimes du propriétaire. La librairie serait alors considérée comme relevant du «patrimoine et du secteur sauvegardés» par la République dont vous êtes le président, ami du livre. N. K.