Pourquoi Albert Ebossé est-il mort ? Cette fausse question de très nombreux Algériens se la posent avec une affliction profonde. Pourquoi est-il mort n'est pas une question, elle est juste l'expression d'un énorme désarroi. Et d'un lourd sentiment de honte. Aucun mot ne sera suffisant pour dire l'injustice de cette vie volée par la déraison de la foule. Albert Ebossé était un travailleur immigré, chez nous. Il apportait son talent et donnait de la joie. Nous avons tous, même ceux qui ne s'intéressent aucunement au football voire le détestent, le sentiment de n'avoir pas été à la hauteur, d'avoir failli à la parole donnée. Il était notre hôte et il n'a pas été mis à l'abri de nos dérèglements. Des Algériens ont tellement mal à l'âme qu'ils ont lancé la formule choc : c'est le championnat du Daech qui se déroule en Algérie, ce n'est plus une compétition sportive. Des supporters qui décident de punir leur équipe à coups de caillasses, cela n'a rien de nouveau, mais c'est à chaque fois l'expression achevée de l'échec national à tous les niveaux. Même la répression - qui ne fonctionne bien que pour les oppositions politiques - est un échec quand il s'agit d'assurer le minimum du fonctionnement de la vie en cité. Pendant qu'on concocte une équipe nationale - à plus de 80% formée dans les écoles sportives de France - qui permet d'assurer une belle devanture, le football national est, lui, en totale déshérence. Niveau médiocre, galeries de supporters violentes incarnant parfaitement la monumentale régression des sentiments de la nation vers le quartier - ce n'est plus el-watan, c'est el-houma - et un encadrement institutionnel totalement aspiré par la représentation rentière. Non, ce n'est pas une exagération de parler du championnat du Daech. La presse sportive en Algérie - comme d'ailleurs dans beaucoup de pays du monde - n'est pas vraiment un modèle. Et si le ministre de la Communication lui prête une « part de responsabilité» - elle existe -, il sera absurde de s'y arrêter. Pourquoi Albert Ebossé est-il mort n'est pas une question, mais un cri, une plainte. En 2012, à Saïda, un envahissement de terrain avec attaque à l'arme blanche contre l'équipe visiteuse - l'USMA encore - s'est miraculeusement terminé sans mort d'homme. Mais l'avertissement était donné : les stades sont devenus un coupe-gorge et il fallait prendre des mesures drastiques et radicales pour remettre de l'ordre. En fait, il y a eu un limogeage et puis plus rien. Les adultes qui continuaient à aller aux stades ne pouvaient manquer d'observer avec inquiétude cette manière qu'ont les autorités de gérer de loin les jeunes qui y affluent pour déverser leurs frustrations, leur haine, leur mal de vivre et leur violence. Ces adultes s'alarmaient : le drame est annoncé. Albert Ebossé est mort aussi à Saïda en 2012. On peut incriminer tout le monde, les journalistes, l'école, les parents Mais il ne faut pas trop diluer les choses. Il y a des responsables directs dans cette tragédie. Les dirigeants du football algérien, les services de sécurité, le gouvernement qui n'a pas pris les mesures, élémentaires, que dictait le terrible avertissement de Saïda. Et s'il faut à tout prix sortir un enseignement général, il faut le faire clairement, politiquement : ce qui arrive est la conséquence d'un système où la reddition de comptes n'existe pas. C'est bien cela qui nous fait honte en tant qu'Algériens : nous n'arrivons pas à sortir du système de l'irresponsabilité.