Le roi d'Arabie Saoudite, Abdallah Ben Abdel Aziz, est mort hier vers 01 heures du matin (22heures GMT) à l'âge de 90 ans. Souffrant d'une pneumonie, Abdallah avait été hospitalisé depuis le 31 décembre dernier à Ryad. Grave, son état de santé avait nécessité la mise en place d'un tube pour l'aider à respirer. Le palais royal a annoncé dans le même temps la désignation de Salmane, son demi-frère, comme nouveau roi, et Moqren prince héritier. L'annonce de la mort du roi d'Arabie Saoudite a été largement commentée par les chefs d'Etat et de gouvernement dans le monde. Le président Obama a salué un ami précieux et un dirigeant «sincère» ayant pris des décisions courageuses dans le processus de paix au Moyen-Orient. L'Algérie a décrété un deuil de trois jours à la suite du décès du roi Abdallah et la prière de l'absent a été faite dans les mosquées du pays. Si le roi Abdallah d'Arabie Saoudite a gardé la première puissance pétrolière mondiale à l'abri des crises du monde arabe, il aura déçu les attentes des réformateurs, notamment sur la place de la femme dans la société. De fait, Abdallah s'est souvent trouvé tiraillé entre les ailes libérale et conservatrice de la famille royale, ce qui a certainement paralysé son action. Décédé à environ 90 ans (on ne connaît pas son âge exact), il avait accédé au trône à la mort en août 2005 de son demi-frère, Fahd, mais il dirigeait de facto le royaume depuis 1995. Après avoir subi plusieurs opérations ces dernières années, les apparitions publiques du roi étaient devenues de plus en plus rares et il se faisait représenter par le prince héritier Salmane Ben Abdel Aziz. Au plan interne, le défunt roi avait engagé un prudent processus de réformes en tentant de concilier les positions d'un establishment religieux ultraconservateur et celles d'une frange libérale de la population avide de modernisation. Et c'est en 2005 qu'il a organisé les premières élections municipales partielles et accordé aux femmes le droit de vote au prochain scrutin de 2015. Abdallah a aussi allégé l'emprise de la puissante police religieuse et introduit des réformes dans le secteur de l'éducation. Il a inauguré en 2009 la King Abdullah University of Science and Technology, le premier établissement mixte du pays. De son règne, on retiendra surtout qu'il a su surfer sur la vague des réformes du « printemps arabe », une tempête qui a ébranlé les pays de la région, notamment en Egypte, en Syrie et en Libye et Tunisie en 2011. Il n'a pas hésité à puiser dans le confortable matelas de devises du pays, estimé à plus de 750 milliards de dollars, pour des réformes sociales, dont 130 milliards de dollars consacrés à la création d'emplois, la construction de logements et des aides aux chômeurs. Et, surtout, éviter la contagion des réformes politiques dans le monde, avec un aperçu réprimé dans le sang à Bahreïn. En dépit de la chute des cours à la fin 2014, il a maintenu le rythme des dépenses dans le budget 2015 pour préserver la paix sociale. Et, surtout, il aura défendu un cours du brut bas, avec le maintien du plafond de production de l'OPEP, pour déstabiliser les producteurs non-Opep, quitte à provoquer des pertes collatérales. Né en 1923 à Ryad, Abdallah était le 13e fils du roi Abdel Aziz, fondateur du royaume d'Arabie Saoudite. SALMANE, TOUT NATURELLEMENT C'est tout naturellement que le prince Salmane Ibn Abdel Aziz, âgé de 79 ans, succède à son demi-frère. La succession était en fait réglée comme sur du papier à musique depuis la désignation en juin 2012 de Salmane comme prince héritier du trône. Considéré pour sa probité et son influence au royaume au sein de l'establishment, le nouveau roi d'Arabie Saoudite est considéré comme un arbitre respecté au sein de la famille royale. Il a été révélé après qu'il ait été désigné par le roi Abdallah, malade, pour présider le Conseil des ministres et son représentant à l'étranger. Numéro '2'' du royaume, le prince Salmane cumulait les fonctions: il était à la fois premier vice-Premier ministre, poste obtenu en même temps que celui d'héritier du trône en 2012 à la mort de son frère Nayef, et ministre de la Défense depuis octobre 2011. Le nouveau roi d'Arabie Saoudite est le 25e fils du roi Abdel Aziz, fondateur du royaume, et appartient au clan des Soudaïri, les sept fils d'une même mère, Hassa bint Ahmad al-Soudaïri, favorite du roi. Parmi ses frères figuraient le roi Fahd et les princes Nayef et Sultan, tous trois décédés. Né à Ryad le 31 décembre 1935, le prince Salmane a été gouverneur de Ryad pendant près de 50 ans. Il a été l'architecte de la modernisation de la capitale du royaume. La tâche qui l'attend au trône n'est pas facile et il aura à faire des arbitrages difficiles, notamment sur les relations avec l'Iran, la Syrie et l'Egypte. Les observateurs s'attendent également à ce qu'il maintienne intact l'état de la coopération, notamment militaire, avec les Etats-Unis et les pays occidentaux. Il aura surtout la charge de gérer un pays où la contestation se fait de plus en plus jour, la situation actuelle au Yémen tout proche étant un réel sujet d'inquiétude. Selon Jane Kinninmont, experte à Chatham House à Londres, Salmane est «considéré comme relativement libéral» et pourrait à ce titre «adopter une approche plus réformatrice, mais dans le cadre des limitations et des lignes rouges du système». Pour elle, il pourrait notamment avoir une attitude «plus constructive à l'égard de l'instabilité dans la région que des membres de la famille royale avaient toujours considérée comme le résultat des ingérences iraniennes plutôt que de l'expression de revendications locales». Il devrait être épaulé dans sa difficile mission par la présence toute proche de son demi-frère, Moqren, qui prend automatiquement sa place comme prince héritier du trône. Le défunt roi Abdallah avait en fait nommé en mars 2014 comme futur prince héritier Moqren, le plus jeune des 35 fils du fondateur du royaume. Les observateurs prêtent au prince héritier Moqren Ben Abdel Aziz, 69 ans, qui était un proche confident de feu le roi Abdallah, une aspiration au trône. Libéral, Moqren, né le 15 septembre 1945 à Ryad, a suivi une formation militaire en Grande-Bretagne avant de s'engager en politique. Ayant exercé les fonctions de gouverneur, il est plus connu comme ayant été le patron, dès 2005, des services de renseignement. En février 2013, il est désigné deuxième vice-président du Conseil des ministres. REBOND DU MARCHE PETROLIER Le prix du brut s'est orienté à la hausse en Asie, hier matin, après l'annonce du décès du roi d'Arabie Saoudite. Le baril de «light sweet crude» (WTI) pour livraison en mars s'appréciait de 0,83 dollar ou 1,79%, à 47,14 dollars, dans les échanges électroniques après être monté de 3,1% à New York. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison à même échéance montait de 1,08 dollar ou 2,23%, à 49,60 dollars. Malgré ce sursaut, les cours, erratiques depuis le début de l'année, sont en repli de plus de 3% cette semaine. La hausse modérée de vendredi matin en Asie traduit l'inquiétude toute relative des marchés pétroliers sur l'après-Abdallah. Les milieux financiers occidentaux estiment avec prudence que la stratégie pétrolière du royaume ne devrait pas trop changer, en particulier sur le maintien d'une offre excédentaire de brut sur le marché, déjà saturé. Et le nouveau roi Salmane devrait en effet poursuivre la stratégie actuelle approuvée par son frère en 2014, estime Fatih Birol, économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Ryad devrait maintenir une production soutenue pour affaiblir les producteurs non-membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) - notamment américains et russes - et conserver ainsi ses parts de marché. Quitte à laisser s'effondrer les prix, tombés sous la barre des 50 dollars le baril. La seule interrogation qui anime les discussions dans les salles de marchés est de savoir si l'actuel ministre du Pétrole, Ali Al Nouaïmi, âgé de 79 ans et qui a trôné sur ce ministère depuis 1995, sera maintenu à son poste. Le nouveau roi devrait le changer, car déjà il était donné partant en 2010, même si c'est le Conseil suprême du pétrole qui fixe la politique énergétique du royaume. Deux noms circulent déjà: Mohamed al-Sabane, le négociateur saoudien dans les sommets sur le climat, et Abdallah al-Jumah, le patron de la puissante compagnie pétrolière publique Saudi Aramco. La décision devrait être prise rapidement, car le rôle régulateur sur le marché pétrolier du royaume est essentiel: il possède les deuxièmes réserves mondiales d'or noir (266 milliards de barils), derrière le Venezuela, il est le premier exportateur de brut (7 millions de barils par jour) et le seul à pouvoir mettre 2,5 millions de barils supplémentaires sur le marché pour éviter la pénurie et la flambée des prix en cas de défaillance d'un membre de l'OPEP. Les marchés seront particulièrement attentifs ces prochains jours au moindre frétillement politique ou autre en Arabie Saoudite.