Suite et fin La vie religieuse à Tlemcen était, certes, polarisée à travers deux courants, à savoir les Oulamas orthodoxes les « Ahl sounna oua djamaa « (les gens de la tradition du prophète et de la Communauté) incarné par les adeptes dits de «la voie « ou «toroqi (s)», dans les zaouiya (s) et les Oulamas réformistes Algériens (Source: Les Jeunes-Algériens et la mouvance moderniste au début du XXe siècle , El hassar Bénali, Paris, 2013). Dans son livre intitulé ' Le voyage en Algérie'', Frank Laurent écrit :'' L'Algérie , très tôt ( et peut-être au fond, même sans le savoir, tout de suite , dès la capitulation du dey ), la France choisit l'administration directe, la suppression des élites locales , la destruction de la plupart des structures sociales traditionnelles , et l'importation , qu'on souhaite massive, d'un peuplement exogène '( Anthologie de voyageurs français en 1830-1930. R. Laffont, Paris, 2008). Tlemcen, majoritairement musulmane, était, comme le témoigne le poète français Réméon Pécheux dans son livre, intitulé ' La porte du couchant ou Tlemcen l'ombragée'' (Réedition E.N.A.G, Alger 2011), ' divisée en deux parts, Arabes et Français''. La protestation-refus suivie du choix de l'exil a fait évènement dans de nombreuses régions en Algérie. Elle eut par contre une ampleur particulière à Tlemcen avec le départ vers l'exil de centaines de familles (ce chiffre approche une réalité mal maîtrisée. Il s'exprime en termes de départs de familles entières avec hommes, femmes et enfants, créant une situation alarmante pour l'administration coloniale). Les levées obligatoires et les enrôlements volontaires atteignirent malgré tout, un nombre important de conscrits. La séparation et ses tourments a mis à nu le vide repris dans des récits et chants populaires pour apaiser leurs souffrances, tel : ' Sidi Abou Madyan, je viens t'implorer) (Sidi Boumédiène djitak qaçad). Le cliché de cette vieille chanson n'a toujours point vieilli en même temps que `` B'quay beslama watni oua m'chit `` (Au revoir mon pays), du barde national originaire de Mascara, Youssef Bel Abbes mémorisent cette`` hidjra``. Le courant 'Jeunes - Algériens'' dont le jeune juriste était un des acteurs les plus avisés avait pour objectif politique resté utopique, à l'instar de son devancier Si M'hamed b. Rahal qui évoquait, en 1897, lors du colloque des orientalistes ' le choix d'une réconciliation et le dialogue avec une cohabitation pour une existence généreuse''. Bénali Fekar fit, en 1908, une intervention remarquable au congrès de l'Afrique du Nord à Paris où il propose entre autres compensations politiques en échange de la conscription, l'admission dans une forte proportion des indigènes dans les assemblées locales avec les mêmes attributions que leurs collègues français, enfin, la suppression du problématique code de l'indigénat qui, en rabaissant les Algériens , rendait maîtres les colons d'un peuplement étranger ( Espagnols, Italiens, Lorrains ). Cette proposition eut une influence sur le mouvement des réformes puisque la même année, le 10 décembre 1908, le gouverneur d'Algérie, Celestin Jonnart présentait à George Clémenceau, un programme destiné 'à faire participer plus activement les indigènes à la vie publique et cela, pour atténuer le régime d'exception auquel ils étaient soumis '. Sur le drame de la 'hidjra'', Bénali Fekar tentera une analyse édifiante publiée sous la forme d'un article intitulée 'Pourquoi les Algériens protestent-ils contre la conscription ? ', dans 'Matin de Paris ' puis 'Rachidi'', en 1912 ; Bénali Fekar y fait le point de la politique musulmane de la France. Dans cet article où l'on peine à reconnaître le journaliste de l'homme politique, il tente de faire comprendre les réalités frustrantes sociales, politiques et économiques qui ont motivé cet événement avec ses lignes de fractures. Le diagnostic qu'il fait de la question reflète parfaitement l'opinion des Jeunes-Algériens et les analyses politiques de Bénali Fekar sont considérées comme 'les plus avisés sur les problèmes posés en Algérie par la colonisation''. Dans cet article où il tente de dégager les causes du phénomène, Bénali Fekar, qui était plutôt favorable à une immigration qualitative exportatrice de savoirs et de technologie, écrit : « Depuis lors, tout un ensemble d'évènements d'ordres extérieur et intérieur sont intervenus qui confirment pleinement la thèse que j'ai soutenue. Non seulement l'opinion publique, par ses organes les plus autorisés, mais aussi le parlement à la suite de plusieurs interpellations annoncées, vont discuter cette question avec toute l'ampleur qu'elle comporte et lui donner ainsi un caractère vraiment national '. En effet, au moment où la France assume la lourde charge de régénérer le vaste empire chérifien en l'incorporant à son domaine Nord-Africain, elle augmente le nombre déjà considérable de ses sujets musulmans. Or, pendant que cette entreprise va lui imposer un grand effort qui n'ira pas sans d'énormes sacrifices en hommes et en argent, la situation internationale ne lui imposera pas moins une vigilante attention et la recherche de nouveaux moyens susceptibles de maintenir intacte sa situation de grande puissance dans l'équilibre européen. De là, la nécessité pour elle de rompre avec le régime d'oppression qui caractérise la politique française suivie en Algérie et en Tunisie à l'égard de nos populations musulmanes. Ce régime, né des difficultés de la conquête, a été singulièrement aggravé dans ces dernières années : l'extension démesurée de la colonisation officielle, le système judiciaire ramené à des conceptions peu conformes aux principes mêmes du droit français, la fiscalité développée au point de tarir les sources de production indigènes, les libertés politiques réduites à un régime purement policier, tout en un mot tend à une sorte de refoulement de l'élément musulman. Les conséquences ont été ce qu'elles devaient être : au point de vue matériel, un malaise croissant et un développement inquiétant du prolétariat et du paupérisme parmi la société indigène ; et au point de vue moral, mécontentement général devant l'opinion publique française et du parlement Or, une impression bien nette se dégage de cette agitation, c'est qu'on ne veut à aucun prix de la compensation avec primes, mais qu'on demande purement et simplement le service militaire avec, comme compensation, l'octroi des droits politiques L'unique mobile qui explique la campagne arabophobe menée en ce moment réside dans la crainte de voir enlever à une poignée de politiciens les privilèges qu'ils détiennent depuis longtemps et dont les indigènes pâtissent''. Le phénomène de la ' Hidjra'' est resté à ce jour hors champ des recommandations politiques en Algérie alors qu'il constitue une phase importante dans l'évolution du politique en Algérie avec, notamment, l'originalité du combat de la jeunesse de la première génération de l`élite et ses premiers acquis et dont, aujourd'hui, l'histoire peut offrir de nos jours encore quelques leçons. * Doctorant en analyse du discours politique - Enseignant-chercheur à l'EPSECG de Tlemcen (Extrait d'une conférence les 1 et 2 décembre 2014, lors du colloque international ' La guerre des autres : les colonies dans la première guerre mondiale .Traces, récits et mémoires ' organisé par l'Université Paris 8 (Vincennes Saint Denis). Auteur de : - De Grenade à Tlemcen, azdjal et Mouwaschah, 500 p., ENAG, 2011. - Florilège histoire, art et politique (œuvre collective) Dalimen, 2011. - Tlemcen vue par les peintres orientalistes américains, allemands, italiens, français et espagnols du XIXe sièlcle (Dalimen, Constantine capitale de la culture arabe). Notes : - L'œuvre française en Algérie jugée par un Arabe, conférence de Bénali Fekar, professeur d'arabe à la chambre de commerce de Lyon. Rouen, imprimerie E .Cagniard, 1905. -Bénali Fekar est l'auteur de thèses es science politique, juridique et économique dont deux ont fait l'objet de publications : -L'usure en droit musulman et ses conséquences pratiques, Arthur Rousseau, Paris, 1908. -La commande (El qirâd) en droit musulman. Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, Arthur Rousseau, Paris, 1910. -De la fonction de la richesse d'après le Coran (manuscrit inédit, Lyon, 1910) - L'arabe parlé marocain et algérien (fac similé, Lyon,1910) -Cadi Choaïb Aboubekr (1848-1927) est le fils de Cheikh Ibn Abdeldjelil auteur de' Tanbih al-anam''. Il écrit de nombreux ouvrages sur les successions (Tilimsaniya), des commentaires du traité du savant algérien Cheikh Benyoussef es-Sanoussi (1424-1485) sur le ' Tawhid ' ( Articles de la foi ) ainsi que deux traités sur la musique intitulés : 'Zahratou er-Rihane fi ilm al-alane ' ( La fleur de myrte dans la science des sons) commenté par Gouvion en 1919, enfin, 'al-arb fi musica al-arab''(la harpe dans la musique arabe). Dans son livre 'Sira'a bin al-bidaa oua sounna'' cheikh Ahmed Hammani (Alger,1984) publie le texte de la licence (taqrid) accordée par Cadi Choaïb Aboubekr à Cheikh Abdelhamid Ben Badis, reconnaissant sa qualité de commentateur du Coran. Cadi Choaïb était très proche de Cheikh Mohamed Tahar Benachour de la Zitouna de Tunis avec lequel il entretenait des relations épistolaires. Il était avec son ami et professeur Hammou Ben Rostane l'invité d'honneur au congrès des Orientalistes qui s'est tenu en 1890, à Stokholm, sous le roi Oscar II. - Si M'hamed b.Rahal (1858-1928) homme politique né à Nédroma (Tlemcen). En 1897, il est invité à Paris où il participe aux travaux du congrès des orientalistes, donnant une conférence très remarquée sur 'L'avenir de l'Islam''. Il est élu conseiller général de Nédroma en 1913, puis nommé délégué financier en 1919, remplacé ensuite à ce poste par le docteur en droit Taleb Abdeslam de Tlemcen. Son combat politique est essentiellement porté sur l'instruction des Algériens ainsi que de la femme algérienne incarnant le combat de la nouvelle génération de l'élite 'Jeune Algérie''. Il était un ardent opposant au code de l'indigénat. - Les renseignements pris, en 1845, auprès du bureau arabe, lors de son voyage à Tlemcen, par l'Abbé Bargès, estimaient à 6 855 le nombre d'habitants. Par ailleurs, une étude sur Tlemcen et sa région, publiée en 1852, avance une population totale d'environ 12000 habitants se décomposant comme suit : Couloughlis:3500 ; Hadris :4000; Israélites: 2100 ; Européens : 2495. Il est bien certain que ces chiffres reflètent une réalité qui confirme les exodes massives qu'a connues la vieille cité depuis son occupation définitive par les troupes françaises en janvier 1842, ce qu'explique aussi l'état de ruine dans lequel se trouvait le bâti . Avec le retour des familles exilées en grand nombre, notamment au Maroc, le chiffre établissant le nombre de ses habitants en 1911 serait d'un indice démographique de plus de 25 000 habitants au total, y compris les colons . Bibliographie : - Mémoire El Hassar Abdelkader Salim/ Les Jeunes-Algériens/ Analyse du discours politique. - L'œuvre française en Algérie jugée par un Arabe, conférence de Bénali Fekar, professeur d'arabe à la chambre de commerce de Lyon. Rouen, imprimerie Cagniard, 1905. - La représentation des Musulmans algériens et la France/ Benali Fekar-Revue du monde musulman. - Les ambitions algériennes. Taleb Abdeslam. Imp. Médiouni, Tlemcen 1919. - De la doctrine des 'Ahl es-sounna oua djamaa'', Mohamed Belhachimi tilimsani, imprimerie 'Taraqi ', Alger, 1920. - Tlemcen ville fançaise (1842-1871), l'administration militaire (1842-1852). Editions internationales, Tanger, 1940. - L'exode de Tlemcen en 1912, Bénali Fekar, Lyon colonial, n.2 , avril 1912, page 9-12 ; - Les Algériens musulmans et la France (1871-1919) (T.2) L'exode de Tlemcen, de 1085 à 1092. Charles-Robert Ageron. Presse universitaire de France. Paris, 1968. - Les Jeunes-Algériens et la mouvance moderniste au début du XXe s. El hassar Bénali Paris, 2013. - Maghreb Lectures. El hassar Bénali. Paris, 2013. - Tlemcen cité des grands maîtres de la musique arabo-andalouse, Dalimen, Alger, 2000. - Les Etats de l'occident musulman aux XIII, XIV et XVe siècle. ENAL, Alger - Edmond Gouvion et Marthe Gouvion : Les notables maghrébins, édition Fontana, Alger 1920.