Livres Le Manuscrit. Histoire d'une famille juive en terre d'Islam. Roman (essai) de Mahieddine Khelifa. Editions Gaïa, Alger 2015, 383 pages, 1 100 dinars Un essai historique ? Un roman avec ses rebondissements et ses révélations ? Une étude sociologique ? Une recherche historique ? Un peu de tout. A partir de très vieux documents, («des parchemins écrits en hébreu et un manuscrit dont une grande partie était rédigée en arabe, et le reste en français») découverts par hasard dans une maison qu'il occupe lors de l'absence de l'ami propriétaire (au nom «bien de chez nous») sur les hauteurs d'Alger, l'auteur remonte loin, très loin dans le temps, pour nous raconter l'histoire d'une famille juive «camouflée» en terre d'Islam. Il démarre son récit au XIIè siècle dans la cité de Segelmassa (oasis du Tafilalet, dans le Sud marocain, cité aujourd'hui disparue) où vivait une importante communauté juive partiquant le commerce avec les royaumes de Ghana et de Tombouctou. Là, les deux communautés berbères, musulmane et juive, étaient étroitement liées, mêlées entre elles, et vivant dans une parfaite symbiose. L'histoire défile : les voyages, les conflits tribaux, les crises cycliques pour la plupart ne s'expliquant pas par la haine de l'autre... Le règne des Almoravides, puis la déferlante intolérante Almohade... les conversions sincères ou forcées à l'Islam, obligeant une partie de la population berbère à se fondre, «tels des caméléons dans le maquis broussailleux et épineux des tribus sédentaires et nomades, réparties à travers les vastes étendues du nord de l'Afrique»... Le statut de «dhimmi» et sa violation soit par le maître du moment (selon qu'il soit juste et clément ou tyrannique et cruel), soit par la populace («Il suffisait d'avoir affaire à un individu malveillant et sans crupule, en l'absence de témoins, pour se retrouver, à l'occasion d'une banale dispute, accusé d'avoir blasphémé contre l'Islam et son prophète»)... Le venue de milliers de Juifs d'Espagne, revenant dans un pays que leurs ancêtres avaient quitté quelques siècles auparavant... la vie à Tlemcen... Alger au temps des Deys, avec des Turcs tenant la ville d'une main de fer et avec une famille qui pratique la religion («mosaïque») secrètement... ensuite, l'invasion coloniale avec la répression et les spoliations multiples... enfin l'Indépendance du pays. Avec ce choix douloureux : «Fallait-il rester sur la terre des ancêtres ou alors imiter la majeure partie des pieds noirs, dont certains n'avaient jamais foulé la terre de France ?». La famille s'est alors scindée en deux...! La suite et fin n'est pas connue, «les pages suivantes d'un manuscrit commencé il y a de cela plusieurs siècles, ayant été déchirées...» Il me semble que le chapitre consacré en fin d'ouvrage à «L'alaya», s'il se base sur des faits réels liés à la colonisation sioniste sauvage de la Palestine, a quasi-totalement fait oublier la grande tolérance des chapitres précédents : des villages détruits et rasés, des tribus expulsées (accompagnés souvent de massacres des populations) dans le secret le mieux gardé de la vie politique israélienne et la complicité des grandes puissances occidentales. Entre 1948 et 1950, sur les 475 villages existants, il n'en restait plus que 90. Il aurait pu faire l'objet d'un ouvrage à part pour ne pas laisser planer de doutes sur l'intention de l'auteur. L'Auteur : C'est un avocat de profession, inscrit au barreau d'Alger et agréé à La Cour suprême, connu pour ses longues et brillantes contributions dans la presse nationale, surtout sur des sujets relevant de l'«Ordre international» de la politique. Extrait : «Viendrait-il à l'idée de quiconque, de se réclamer de la «race» chrétienne ou musulmane ? Curieusement, on a accepté, surtout en Europe, à une époque donnée, le concept de «race juive» (p 31) Avis : Acheté par curiosité, lu par nécessité, présenté par honnêteté. A vous de voir, d'autant que le prix n'est pas donné. Citations : «Dans des situations aussi graves (...), l'essentiel est de survivre, en adoptant l'attitude du roseau lorsque se déchaîne la tempête : Plier, faire semblant de plier mais ne jamais rompre. L'intelligence de l'homme consiste à s'adapter aux situations les plus difficiles et les plus extrêmes, qu'elles émanent de la nature ou qu'elles soient le fait de l'homme» (p 75), «Etre juif, c'est se sentir appartenir à une commnauté religieuse, en pratiquant à l'intérieur de soi-même. C'est, d'ailleurs, la meilleure façon de communier avec Dieu» (p 345), «(A propos de l'occupation de la Palestine et du «jeu» des associations juives, lobbyistes, aux Etats-Unis ) L'histoire et la Bible nous enseignent que la force et la brutalité, associées à l'injustice, n'ont jamais réglé définitivement les problèmes entre les peuples. Bien au contraire, elles ne peuvent qu'attiser la haine entre eux et nous mener, à long terme, à la catastrophe «(p 372), Les Juifs d'Algérie... 2000 ans d'existence. Essai de Aïssa Chenouf, Editions El Maârifa, Alger 2004, 206 pages, 380 dinars Plus de 2 000 ans d'existence. C'est le temps pas sé par les Juifs au Maghreb. Une présence soutenue en Afrique du Nord. Depuis la destruction du Temple, dit-on, renforcée par une deuxième vague arrivée après 1492, suite à l'édit espagnol les expulsant d'Andalousie. Une terre qui leur a tout donné, à laquelle ils ont beaucoup apporté ... et que certains ont abandonnée avec regrets. Beaucoup ont participé activement à la lutte pour l'Indépendance du pays après avoir activé dans les organisations syndicales, entre autres... Certains, peut-être en plus grand nombre, sont, aussi, restés se moulant à la societé «en une sorte de groupes sociaux discrets». Les Algériens savent qu'ils existent, savent qu'ils sont Algériens, savent qu'ils connaissent tout de l'Algérie, mais «l'Algérie ne connaît rien d'eux». On salue la mémoire de Roger Hanin (Lévy), ce grand acteur de cinéma natif de la Basse Casbah, aujourd'hui enterré à Bologhine, on voue aux gémonies (pour ses positions politiques à l'endroit d'Israël) Enrico Macias (Ghrenassia), un natif de Constantine, gendre de Cheikh Raymond, un maître du malouf constantinois ; tout en fredonnant ses chansons, nos anciens se remémorent avec nostalgie Reinette l'Oranaise (Sultana Daoud), la native de Tiaret, décédée en novembre 1998 ... c'est tout. 1813 : 3 105 Juifs à Constantine, 1 508 à Tlemcen... 1838 : 6 065 Juifs à Alger, 5 637 à Oran, 1851 : 21 000 Juifs recensés sur l'ensemble du territoire algérien administré par la France. 1881 : 35 663, 1901 : 57 132, 1931 : 110 127... 1941 : 111 021 Juifs français et 6 625 Juifs étrangers (une stagnation en raison d'une migration vers la France dès le début du XXe siècle... et, surtout, un départ vers le Maroc, plus accueillant que l'Algérie pétainiste). 1962, à la veille de l'Indépendance, environ 150 000 âmes... Octobre 1962 : 25 000 dont 6 000 à Alger. Aujourd'hui, peut-être quelques dizaines ? En tout cas, bien peu. Ou presque rien. Rien ne sert de chiffrer une communauté qui, bien souvent, s'est algérianisée presque totalement, sans cependant, pour la plupart, et c'est tout à leur honneur, renier son origine ou sa foi et, sutout, son amour profond, réel, pour un pays à nul autre pareil. A qui la faute ? Pour l'auteur, le panarabisme précédé, bien avant la guerre par le décret Crémieux, et juste avant lIndépendance par les provocations et manipulations des pieds noirs ultras et de l'Oas - qui a «enfanté un extrémisme dont nous payons les frais aujourd'hui», est passé par là. Le sionisme a terminé la tâche ! Auteur : Journaliste professionnel, il a fait ses premières classes au quotidien El Moudjahid. Collaborateur de plusieurs autres titres de la presse privée... Extraits : «Indéniablement, la guerre a modifié l'identité du Juif d'Algérie. Tout aussi profondément juif (...), il se sent pourtant moins algérien lorsqu'il prend conscience que la complicité jadis partagée entre Juifs et Arabes se meurt, et plus français parce qu'il s'aperçoit que son appartenance à la France l'emporte sur tout» (p 163). Avis : Très bien documenté... peut-être structuré dans une certaine précipitation. Citations : «Le pouvoir, dans son désir d'imposer par le haut «son» histoire, se retrouve incapable d'en mesurer le contenu. Ce qui est donné comme officiel n'a aucun lien avec la réalité ... Tout est donc fait au profit d'une minorité qui surfe sur les cimes du pouvoir» (pp 11 et 12), «L'insupportable est du côté du silence fait de mille silences qui reçoit, en retour du souvenir qu'il tente d'évoquer, une mémoire incertaine, qui s'efface au fur et à mesure qu'elle se constitue» (p 11), «Le panarabisme a enfanté un extrémisme dont nous payons les frais aujourd'hui. La société a fonctionné sans transition : ainsi, on passe de la douleur à la violence, souvent sans comprendre pourquoi» (p 194). Les Juifs d'Algérie... deux mille ans d'histoire. Essai de Richard Ayoun & Bernard Cohen (Préface de Gérard Nahon). Editions Rahma (Maison d'édition n'existant plus), Alger 1994 (J-C Lattès Editions, Paris, 1982), 262 pages, ????? dinars. Auparavant, les Juifs d'Algérie (se trouvant en France et ailleurs) n'avaient aucune histoire... écrite. Eux-mêmes ne disaient-ils pas que leur histoire «n'avait rien de mémorable». Les archives familiales étaient dispersées et les plus âgés n'ont pas été encouragés à raconter. Certainement en raison «d'une trajectoire trop mise au compte de paramètres qui leur échappaient entièrement, de choix qu'ils n'auraient pas maîtrisés, d'événements qu'ils n'auraient que subis». Les auteurs ont voulu encore savoir, savoir mieux... aller au-delà de la nostalgie convenue et de la complaisance folkrorique se limitant aux rites hauts en couleurs. La présence juive est attestée déjà durant la période antique. Bien avant la conquête romaine déjà, des communautés juives étaient établies. En témoigent des inscriptions latines et hébraïques. Elle est aussi attestée par le rôle majeur des Berbères judaisés dans les résistances armées aux invasions dont le plus marquant est celui de la reine de l'Aurès, dite la Kahena (Dihya). Après le VIIIe siècle, Tahert (près de Tiaret) et Tlemcen deviennent des foyers rabbiniques influents. Une présence malgré tout marginale qui se re-développe avec l'arrivée, en grand nombre, d'«expulsés» et de réfugiés fuyant l'Espagne, en 1391 puis en 1492 : «Des structures plus démocratiques, un rabbinat puissant, une liturgie importée», et «l'élement immigré s'impose à l'élément autochtone, par son mode d'organisation, son patrimoine spirituel, son importance numérique aussi». Avec l'arrivée des Turcs, c'est la «sortie défnitive de l'ombre». L'entrée en force des Juifs d'Algérie sur le devant de la scène commence avec l'arrivée des Français (le 16 novembre 1830, Bacri était nommé, par arrêté, «chef de la nation hébraïque en Algérie»)... avec des fortunes diverses, allant du Décret Crémieux accordant la nationalité française et une assimilation galopante accompagnée d'une allégeance, souvent trop démonstrative, à la France... à l'Indépendance du pays en 1962, en passant par l'antisémitisme et le racisme pétainiste des populations européennes, plus virulent en Algérie qu'en France (avec l'annulation brutale et totale du Décret Crémieux, la confiscation de biens, l'internement....). Le reste est une toute autre histoire... avec l'exode massif, surtout vers la France, car il y eut, toujours, en Algérie (bien plus qu'au Maroc ou en Tunisie), un relatif désintérêt pour la politique sioniste. L'Auteur : R. Ayoun, né en janvier 1948 à Oran (décédé à Paris en 2008), enseignant universitaire et chercheur spécialisé dans l'histoire des Juifs d'Afrique du Nord. Quant à Bernard Cohen, né en France en 1956, c'est un ancien correspondant de l'Afp à Jérusalem puis journaliste à Libération. Traducteur (de nombreux titres américains dont ceux de Douglas Kennedy) et interprète de conférences. Extraits : «Déracinée par le caprice des Etats, la communauté juive d'Algérie n'a pas connu la ruine, mais elle s'est beaucoup perdue» (p7), «La mutation présente des juifs de France ne se comprend guère qu'en fonction de l'arrivée de ceux d'Algérie... L'entrée dans la mouvance française ne coupe pas soudainement les juifs d'Algérie de leurs racines africaines » (Gérard Nahon, préface, pp 14-15), «Le Maghreb central a été, aussi, au début de l'ère chrétienne , un refuge» (p 29), «Bien ancré dans la profondeur du pays, le judaïsme d'Algérie va apprendre à ne point s'y perdre» (p 55), «Né en Orient, patiemment, longuement adapté à l'Occident, le judaïsme d'Algérie semble parfois présenter l'expression la plus contrastée de la mésaventure diasporique» (p 205). Avis : Un livre solide, écrit pour les Juifs d'Algérie. Une sorte de «retour à soi» qui tente de remettre les pendules à l'heure, «l'historiographie coloniale française ayant eu tendance à faire du juif un objet de curiosité et à le dissocier de l'environnement arabo-berbère». Citations : «L'Algérie est une contrée où les emprunts culturels ne se font pas à moitié : si le monde berbère s'est islamisé profondément, la société algérienne restera, au plus profond d'elle-même, hostile à la France... C'est là une situation unique au Maghreb» (p 218). PS : Publication, mercredi 10 août, par le département d'Etat américain de son rapport sur les droits de l'homme dans le monde (200 pays), avec une section spéciale sur la liberté religieuse Pour ce qui concerne l'Algérie rien de nouveau. Toujours les mêmes constats, qui paraissent désormais dépassés, accompagnés d' «exemples» : Ies «restrictions à la liberté de réunion et d'association, le manque d'indépendance et d'impartialité de la justice, et l'utilisation excessive de la détention provisoire». Base de travail : les coupures de presse, les réseaux sociaux... et les témoignages, bien souvent de gens de passage. La société algérienne est perçue, parfois (sic !), comme étant antisémite par les étrangers vivant en Algérie, selon Washington : «Plusieurs résidents non-musulmans ont déclaré que l'opposition du public à la politique étrangère israélienne, affichée publiquement (Et alors, où est le problème ?), se traduit parfois en antisémitisme (re-sic !)». Le parti-pris est évident en faveur d'Israel. Il amène les «rédacteurs» à confondre volontairement antisémitisme et antisionisme. Le Département d'Etat américain cite comme exemple une vidéo (objectivement débilo-enfantine) mise en ligne en cotobre 2015 sur Youtube intitulée : «Juifs dans les rues de l'Algérie : ce qui va arriver» et mettant en scène un jeune portant une kippa, se prétendant être juif et demandant son chemin «Ceux qu'il abordait alors semblaient ( !?!?) l'insulter, le harceler ou l'agresser», précise la même source. Elle avait été dénoncée par beaucoup d'internautes qui n'ont «pas aimé» le montage et l'utilisation de gamins désœuvrés. Selon le rapport, les citoyens juifs vivant en Algérie (ils seraient au nombre de 200) ont affirmé «qu'ils continuaient à garder en secret leur identité religieuse tout en s'engageant autrement avec la société». Beaucoup de moudjahidine. Beaucoup d'anti-sionistes. Tolérants. Loin de toute ostentation... et une certaine «peur», compréhensible, des extrêmistes et des fanatiques, comme dans bien des pays européens... Le rapport ne le précise pas. On apprend, par ailleurs (par la presse et non dans le rapport) qu'aux Etats-Unis, la criminalité a fait, ces dernières années, un grand bond aux USA où «il est dangereux d'y vivre». Plusieurs experts notent que depuis 2015 il y a une hausse sensible des meurtres et des agressions. 25 villes ont été comptabilisées très dangereuses. Aux Etats-Unis, on compte plus d'un meurtre par arme à feu toutes les heures, soit plus de 27 homicides par jour ou encore 9.855 meurtres par an. Il y a 270 millions d'armes à feu aux Etats-Unis soit 89 armes pour 100 habitants. Quant au racisme... le dernier cas est celui d'un passant noir, un «afro-américain», (27 ans, 59 kg, 1,60 m, déficient mental) abattu, à Los Angeles, «par méprise» par des policiers... blancs, certainement. Déjà, il y a deux ans, à Ferguson (Missouri), un «afro-américain» de 18 ans, sans armes, avait été tué par un policier... blanc.