Cinquième stade historique 1999-2017 1999 - 2000 : l'euro et la guerre des devises Le 1er janvier 1999, une nouvelle monnaie, l'«euro», est lancée en Europe. Le 4 janvier 1999, les marchés financiers des onze pays de la zone euro basculent en euro. Trois jours après, le 7 janvier 1999, Keizo Obuchi, Premier ministre japonais, vient en Europe saluer l'événement, «l'entrée de l'euro dans l'économie mondiale». A Paris, à Rome comme à Francfort, le Premier ministre japonais propose que le yen devienne, avec le dollar et l'euro, le troisième pilier d'un nouveau système monétaire international. Dès son entrée en lice sur les marchés monétaires, l'euro en hausse reflétait la bonne santé de l'économie européenne. La baisse du prix du pétrole comprise entre 10 dollars (février 1999) à 14,5 dollars (avril 1999) soutenait la bonne forme de la monnaie européenne. Mais, dès l'été 1999, la situation change, le prix du pétrole commence à augmenter et l'euro à se déprécier. Le retournement de l'euro préfigure-t-il une guerre monétaire entre les Etats-Unis et l'Europe ? En juin 1999, la Fed américaine relève d'un quart de point le niveau du loyer de l'argent à 5% afin, dit-elle, de contenir une forte hausse des prix à la consommation. Après six hausses de 0,25 points, le taux d'intérêt américain passe le 16 mai 2000 à 6,5%. Quant à la Banque centrale européenne, pour contrecarrer la fuite des capitaux vers les Etats-Unis, elle relève son taux d'intérêt directeur de 2,5% (14 avril 1999) à 3%, le 10 novembre 1999. Après cinq nouvelles hausses, le taux de la BCE passe à 4,75% le 11 octobre 2000. Pour le pétrole, il a atteint son cours le plus bas en 1998, environ 10 dollars le baril. Cette baisse du cours du pétrole est liée à la crise asiatique de 1997 suivie de la crise russe et brésilienne en 1998. Mais, dès mars, le prix du pétrole passe à 14 dollars. «En mars 1999, à La Haye (Pays-Bas), dix des onze pays membres de l'OPEP, à l'exception de l'Irak, décident, pour redresser le marché, de réduire la production mondiale de 2 millions de barils par jour jusqu'en mars 2000. La part de l'OPEP, essentiellement l'Arabie Saoudite, est de 1,7 million de barils et quatre producteurs de pétrole non-membres de l'OPEP soutiennent cette initiative en réduisant eux aussi leur production de près de 400 000 barils/jour. En août 1999, le baril repasse la barre des 20 dollars, soit le double de janvier et retrouve son niveau d'octobre 1997. La discipline a donc payé au sein de l'OPEP. Pour une fois, les quantités retirées du marché, conformément à l'accord de La Haye conclu en mars, atteignent 90% de l'objectif visé. Jusque-là, l'OPEP avait toujours eu les plus grandes difficultés à faire appliquer par ses membres les quotas de production arrêtés collégialement. Novembre 1999, deux des principaux producteurs de pétrole, l'Arabie Saoudite et le Venezuela confirment qu'ils se tiendront bien à l'accord de réduction de la production. Le prix du baril grimpe à 25 dollars. Lors de la réunion ministérielle de l'organisation, en mars 2000, plutôt satisfaits du relèvement des cours, les membres de l'OPEP conviennent d'un mécanisme d'ajustement du prix destiné à maintenir le baril entre 22 et 28 dollars. Si le prix de la «corbeille» de référence du pétrole OPEP, inférieur au Brent de référence de la Mer du Nord, dépasse les 28 dollars pendant 20 jours consécutifs, 500.000 barils par jour seront lancés sur le marché. A l'inverse, si le prix descend en dessous de 22 dollars pendant la même durée, 500.000 barils par jour seront retirés. Les producteurs de pétrole partagent en effet avec leurs clients, en particulier les pays industrialisés du Nord, le souci de ne pas atteindre des cours trop élevés qui auraient pour résultat, en cassant la croissance, une réduction de la demande et la recherche d'autres sources d'énergie. Deux annonces saoudiennes d'augmentation de la production, en avril et juin, n'ont pu empêcher les prix de poursuivre leur hausse. Le 15 août 2000, le baril de Brent dépasse les 32 dollars, son niveau le plus haut depuis novembre 1990 suite à l'invasion du Koweït par l'Irak. Mais la corbeille de référence du pétrole OPEP n'a dépassé que sporadiquement les 28 dollars, fixés comme plafond, et le mécanisme d'ajustement ne devrait pas être mis en œuvre avant la réunion ministérielle de l'OPEP, le 10 septembre, ni même avant le Sommet de l'OPEP, du 26 au 28 septembre au Venezuela.» (3) Les observateurs, représentants hors OPEP du Mexique, de Russie, d'Oman et d'Autriche, qui ont assisté aux réunions de l'OPEP entérinent l'accord de La Haye du 12 mars 1999, portant réduction de la production de 2,1 millions barils/jour. Le 23 septembre 1999, le cartel pétrolier reconduit les mesures de réduction pétrolière du 22 mars 1999. Cet accord donne un signal fort au marché. On parle déjà d'une baisse des réserves pétrolières américaines. Les milieux pétroliers pensent que le respect des engagements de réduction de production et le niveau de diminution des stocks américains conforteraient cette évolution en hausse des cours. La stratégie adoptée par l'OPEP semble avoir beaucoup de succès et la production actuelle maintenue jusqu'au mois de mars 2000. Pour la première fois depuis une décennie et demie, plus précisément depuis 1986, le prix du pétrole a évolué autour de 20 dollars, hormis la brève hausse, le 24 septembre 1990, à 40 dollars le baril, suite à l'invasion du Koweït par l'Irak. L'espoir est-il permis pour les pays de l'OPEP d'influer sur les prix, surtout que les prix du pétrole sont fixés au niveau de la Bourse de Londres pour le Brent, et de la Bourse de New York (NYMEX) pour le WTI. Cependant, une question se pose sur l'OPEP. Peut-on penser que la remise en cause du cours du pétrole émane réellement des grands pays producteurs de pétrole ? Si c'est vrai, pourquoi les pays d'OPEP depuis 1986, hormis la hausse du prix de pétrole en 1990 (invasion du Koweït par l'Irak) qui n'a pas duré, n'ont jamais influé sur le marché pétrolier ? Le prix du pétrole est resté plombé autour de 20 dollars. Et si, comme on l'a vu dans les krachs pétroliers des années 1970, les pays d'OPEP sont encore utilisés par les dirigeants de la finance mondiale comme instruments pour les besoins de leur stratégie planétaire ? Et la remontée du prix du pétrole entre dans leur stratégie. Pour comprendre, revenons au modèle royal. Supposons que les princes qui échappent à l'autorité du roi sur la frappe de monnaie, décident de ne plus utiliser leurs monnaies et s'entendent pour créer une monnaie commune qui rivalise avec la monnaie du roi. Cependant ils ne disposent pas de grenier à grain comme celui du roi. Ces princes disposent certes de blé mais insuffisamment, et restent donc dépendants du grenier du roi. Supposons qu'il n'y ait pas de pénurie de blé dans le royaume. Supposons que si ces princes arrivent à imposer leur monnaie commune, non seulement leur monnaie concurrencerait la monnaie du roi, mais le pouvoir monétaire qu'ils auraient les libèrerait du financement des dépenses royales (somptuaires ou des guerres avec les royaumes voisins). Il faut aussi souligner que toute hausse de frappe de monnaie royale et de hausse du cours du blé s'assimile à une ponction de richesses, et donc à un impôt non-dit sur ses sujets, en particulier sur les plus riches, les princes. Devant la nouvelle monnaie des princes, les financiers du roi, très avisés de la donne monétaire, conseillent le souverain de diminuer la frappe de monnaie et d'augmenter le prix du blé qui est entreposé dans le grenier du roi. La réduction de monnaies royales devenue effective, les paysans et artisans, sujets du roi, sont partagés entre la monnaie de leur souverain (qui devient rare) et la nouvelle monnaie commune des princes (disponible). Mais, comme ils ont besoin d'acheter le blé pour vivre, la préférence de la population du royaume se porte sur la monnaie du roi, donc plus recherchée par sa rareté. Les princes agiront de même pour leurs besoins de blé. De plus, les princes seront doublement pénalisés par la perte de valeur de leur monnaie (moins recherchée) et par la hausse du prix du blé. Le même processus financier médiéval s'applique pour les Etats-Unis. Les financiers avisés du roi sont les banquiers centraux, c'est-à-dire la Fed américaine. Quant aux princes qui ont créé une monnaie commune, ils symbolisent la zone euro. Pour contrer l'euro qui cherche à concurrencer le dollar, la Fed procède à la hausse du taux d'intérêt directeur pour attirer les capitaux vers les banques américaines. Conséquence : les capitaux européens, asiatiques, sud-américains , convertis en dollars, sont investis aux Etats-Unis. Il se produit une diminution des dollars dans le monde. Ce processus nous rappelle la diminution de la frappe de monnaie du roi. Quant à la hausse du prix du pétrole dès 1999, elle se rapporte au prix du blé que le roi a augmenté. Une hausse du prix du pétrole et du taux de change du dollar (monnaie de facturation du pétrole) par rapport aux autres devises internationales pénalise doublement la zone euro et les autres pays du reste du monde, importateurs nets de pétrole. On comprend donc pourquoi le taux de change euro/dollar, parti de 1,182 dollar à sa naissance, s'est déprécié fortement pour atteindre, en octobre 2000, 0,855159 dollar. (2) Et pourquoi la hausse du prix de pétrole est venue accentuer les déficits commerciaux qui ont accentué la dépréciation de l'euro. Une guerre monétaire se jouait entre les deux grands tenants de la finance mondiale, les Etats-Unis et la nouvelle zone monétaire européenne. On comprend pourquoi les pays d'OPEP n'étaient pas les vrais acteurs dans ce jeu monétaire à l'échelle planétaire. Cependant, dans ce jeu monétaire, les Etats-Unis ont certes remporté une première manche sur les pays européens, mais il reste la deuxième manche. Précisément, l'afflux massif de capitaux entre 1999 et 2000 (fonds de pensions, assureurs américains et européens, excédents commerciaux chinois, japonais et des pays arabes exportateurs de pétrole) ont dopé le marché d'actions et obligataire à Wall Street. Ce qui n'est pas sans conséquence. Masquant la perte de compétitivité de l'industrie américaine par un dollar fort et la forte hausse des taux d'intérêt, l'économie américaine qui a performé artificiellement, gonflant la bulle des valeurs technologiques (Nasdaq), celle-ci a fini par éclater en 2000. Ce qu'Alan Greenspan, le président de la Fed, appelle l'«exubérance financière» n'a été en réalité que le résultat des manipulations monétaires de la Fed, qui entraient dans une stratégie financière américaine globale pour dominer le monde. L'euro, en 1999, apparaissait comme un intrus qui voulait une partie de la puissance financière que les Etats-Unis détiennent sur le monde. 2000 - 2008 : de la guerre de devises à la guerre contre l'Irak Le premier semestre 2001, les Etats-Unis entraient en récession. Le 3 janvier 2001, la Fed abaissa précipitamment le taux directeur de 6,5% à 6%. Le 31 janvier, la Fed diminue de nouveau le taux d'intérêt de 50 points, le faisant passer à 5,5%. Après neuf baisses, le taux directeur est ramené à 1,75% en décembre 2001. La situation financière, malgré la baisse drastique du taux d'intérêt américain, ne cesse de se détériorer, la chute des indices boursiers s'étend à toutes les places financières du monde. En 2002, le taux d'intérêt de la Fed est encore abaissé de 50 points, à 1,25%. Malgré les injections massives de liquidités, après les attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001, la reprise économique se fait toujours attendre. Les valeurs indiciaires de toutes les Bourses du monde (Etats-Unis, Europe, Asie, Amérique du Sud) chutent pour près de 50%. Pour certains indices plus de 70% par rapport à leurs sommets de 2000. Octobre 2002, le Nasdaq a atteint, le 10 octobre 2002, son bas historique de 1108, une chute de 78% par rapport à son haut historique de plus de 5.000 points. Une dépression qui nous rappelle l'année 1982. Les Etats-Unis sont entrés en récession avec une montée du chômage -le taux de chômage aux Etats-Unis passe de 3,9 % en 2000, à 6,2 % fin 2002. Nous avons une situation qui ressemble à la crise de 1982 aux Etats-Unis, avec les mêmes données macroéconomiques, la hausse du taux d'intérêt de la Fed et du prix du pétrole. L'histoire se répète-t-elle ? Force pour nous d'énoncer qu'encore une fois les pays OPEP ont été manipulés, il faut souligner néanmoins qu'ils l'ont été dans le bon sens de l'histoire. Puisque avec les déficits courants américains en hausse (environ 400 milliards de dollars en 2000) et le fort transfert du pouvoir d'achat aux pays exportateurs de pétrole, les Etats-Unis et les pays pétroliers constituaient un moteur tirant de nouveau, entre 1999 et 2000, l'économie mondiale. Cependant, malgré la baisse rapide du taux d'intérêt américain et les injections de liquidités opérées par la Réserve fédérale, les crises boursières en cascade ont continué aux Etats-Unis, en Europe et dans les pays émergents entre 2001 et 2002. Ce n'est qu'en 2003 avec la prise de Bagdad par l'armée américaine et l'euphorie de la victoire que la reprise économique a commencé aux Etats-Unis. Comment comprendre ces crises boursières en cascade entre 2001 et 2002 ? Pour décrypter cette situation, il faut revenir au modèle médiéval. Supposons que les princes du royaume ont créé une monnaie commune. Ces princes disposent certes du blé mais insuffisamment, et restent donc dépendants du grenier du roi. Supposons qu'il n'y ait pas de pénurie de blé dans le royaume. Confrontés à la stratégie du roi de diminuer la frappe de monnaie et d'augmenter le prix du blé, ils se trouvent pénalisés à la fois par la hausse du prix du blé qu'ils doivent acheter auprès des magasins du roi, et par la faiblesse de leurs monnaies face à la monnaie du roi, devenue rare, donc plus demandée. Supposons maintenant qu'un souverain d'un royaume voisin leur propose de leur vendre du blé contre leur monnaie commune, et qu'en échange, il achète leurs produits. Les princes acceptent. Une telle situation sera forcément périlleuse pour le roi. Les princes n'auront plus besoin d'acheter la monnaie du roi, puisqu'en commerçant avec le royaume voisin, ils vont acheter le blé qui leur manque, facturé en leur propre monnaie commune. Le roi qui soutire des revenus par ce mécanisme monétaire auprès de ses sujets, surtout de la classe princière riche, va se trouver pénalisé, donc en situation difficile pour financer ses dépenses (somptuaires et autres). D'autre part, les autres sujets du roi, c'est-à-dire la classe pauvre (paysans et artisans), pourraient même s'approvisionner auprès des princes s'ils trouvent le blé disponible. Poussant la monnaie commune des princes à s'étendre dans le royaume. Une telle situation amènerait la perte de monopole de la frappe royale, et donc s'instituerait un partage du pouvoir monétaire entre le roi et les princes. Qui s'assimilerait aussi à un pouvoir de ponction de richesses sur les seuls paysans et artisans. Donc à la plèbe du royaume d'en supporter le poids ! Ce processus financier médiéval énoncé s'applique à la conjoncture économique mondiale à la fin des années 2000. Les princes et leur monnaie commune, toujours assimilés aux pays de la zone euro et à la monnaie unique, l'euro. Le royaume voisin s'assimile à l'Irak qui a décidé, en novembre 2000, de facturer ses importations pétrolières contre nourriture (programme de l'ONU) en euro, et d'acheter des produits européens. Une telle option constituerait pour l'Europe un début de libération de l'obligation d'acheter les dollars pour importer le pétrole des pays arabes. Si le libellé monétaire du pétrole en euro s'étendait à l'Iran, à la Libye, au Venezuela, à l'Algérie et à d'autres pays du cartel pétrolier, il mettrait en danger le dollar américain. L'euro devenant progressivement l'égal du dollar. Ce qui est inacceptable pour l'Amérique. A suivre... *Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective Notes : 3. «Pétrole - Prix du baril: de 10 à 30 dollars en 18 mois», par RFI. 24 août 2000. http://www1.rfi.fr/actufr/articles/008/article_3087.asp 2. «Historique des taux de change depuis 1953 à aujourd'hui », par L'OBS. 13 octobre 2016 http://fxtop.com/fr/historique-taux-change.php