Dans la nuit d'avant-hier quelque trois cents immigrés d'origine africaine ont pris d'assaut la barrière entourant l'enclave espagnole de Ceuta et sont entrés dans celle-ci. Trois jours avant, cinq cents autres en avaient fait de même. Quand on sait que rien n'échappe à la vigilance des forces du Makhzen préposées à la surveillance des huit kilomètres de frontière terrestre qui séparent le territoire du royaume et l'enclave espagnole, il devient clair que les autorités de Rabat mettent à exécution le chantage à l'immigration qu'elles ont cyniquement agité pour tenter de dissuader les Etats de l'Union européenne de tenir compte de l'arbitrage rendu fin 2016 par la Cour de justice de l'Union européenne ayant statué que l'accord de libre-échange sur les produits agricoles et de la pêche conclu entre le royaume et l'Union européenne ne concerne pas le Sahara occidental reconnu comme étant une entité à part et distincte du Maroc. Les ruées massives de migrants qui prennent d'assaut la frontière maroco-espagnole ont eu lieu grâce à la passivité voulue des forces du Makhzen et ont coïncidé avec la tenue hier d'un sommet bilatéral franco-espagnol consacré précisément à la question de l'immigration clandestine. Il est clair qu'elles sont le message adressé à ce sommet que l'unique frontière terrestre entre l'Afrique et l'Europe ne sera pas une passoire tant que s'exercera son contrôle par les forces du Makhzen et que la contrepartie de celui-ci en est que les deux pays participants usent de leur influence au sein de l'Union européenne pour qu'elle ne tienne pas compte des limitations mises par l'arrêté de la CJUE à l'accord de libre-échange entre elle et le royaume. Paris et Madrid qu'on sait être opposés à l'interprétation faite de cet accord par la CJUE et résolus à ne pas en tenir compte dans leur partenariat économique avec le Maroc ne s'offusqueront pas outre mesure de la mise en œuvre par celui-ci de son chantage à l'égard de l'Union européenne. Ils s'en prévaudront au contraire pour faire pression sur les autres Etats membres de cette dernière susceptibles de placer le respect du droit européen au-dessus des intérêts mercantiles que leur procure l'accord de libre-échange avec le Maroc. Pour la France et l'Espagne, il y aurait moins de problèmes de « conscience » pour eux à violer l'arrêt de la CJUE si les autres Etats de l'Union en feraient collectivement de même. Quoi de plus efficace que de jouer sur la peur de l'immigration clandestine devenue commune à tous les membres de l'Union pour les convaincre que ce péril vaut que leur ensemble ne suive pas la CJUE en son arrêt de justice. En cas où l'Union européenne en viendrait sous leur pression à se coucher devant le chantage exercé contre elle par le Maroc, il lui deviendrait hypocrite et malvenu d'exiger d'autres parties le respect de la chose jugée par son institution juridique. Sur la question du Sahara occidental, Paris et Madrid en sont parvenus à faire fi des valeurs que sont le respect du droit et des obligations que son observation impose dans les relations internationales. Si son chantage s'avère payant avec l'Union européenne, le Maroc ne s'en arrêtera sûrement pas à cela et en fera usage en toute circonstance sur le dossier du Sahara occidental.