Affaiblie, ligotée, Sonatrach est pourtant appelée à redevenir une grande compagnie. Un défi impossible à relever. Sonatrach est devenue une immense administration ; une pieuvre bureaucratique, incapable d'avancer, d'innover, d'assumer une charge qui semble désormais hors de sa portée. La première compagnie africaine en termes de chiffre d'affaires, premier contributeur au budget de l'Etat algérien, premier pourvoyeur du pays en devises, première force de frappe économique, n'a ni l'organisation, ni le dynamisme, ni le savoir-faire nécessaires pour être ce géant qu'elle a toujours prétendu être. Ce n'est pas un cadre poussé à la retraite ou un opposant en mal de notoriété qui le dit. C'est le PDG de la compagnie lui-même, Abdelmoumène Ould Kaddour. Dans une sortie très remarquée, pour l'une de ses toutes premières interventions publiques depuis sa nomination controversée, M. Ould Kaddour a reconnu ce qui circulait depuis longtemps dans les milieux spécialisés, et que l'opinion soupçonnait vaguement, à savoir que Sonatrach vivait sur sa rente de notoriété plutôt que sur son capital management. Mais le mal était, en fait, un secret de polichinelle. Car quand une compagnie consomme six patrons en moins d'une décennie, cela signifie clairement qu'elle connaît un sérieux problème de management. Pire encore : les scandales Chakib Khelil et Mohamed Meziane laisseront des traces pour de longues années encore. A un point tel que Mourad Preure, consultant en énergie, affirme ne pas « connaître une compagnie qui a connu une crise aussi longue et qui soit encore de ce monde ». Une notoriété écornée De l'extérieur, Sonatrach garde cependant un préjugé favorable. Pour peu que L'économiste Tayeb Hafsi, un apôtre de l'initiative privée, affirme ainsi que « si elle était libérée, Sonatrach pourrait créer des richesses plus grandes que le pétrole lui-même ». Certes, pour le moment, cette entreprise est « devenue une administration », où « il n'y a plus de savoir-faire ». Mais cette « réalité » que décrit le patron de la compagnie « n'est pas de la responsabilité des gens qui sont à Sonatrach », estime M. Hafsi. Elle relève, selon lui, « de la responsabilité de l'Etat qui a imposé un mode de fonctionnement ». Mourad Preure, va plus loin. Il estime que même si elle a « du retard à rattraper », un euphémisme pour parler des déboires de la compagnie, le principal atout de Sonatrach réside dans son management, pas dans ses réserves. Selon lui, « la puissance de l'Algérie repose sur Sonatrach, sur sa capacité à assurer les équilibres énergétiques à long terme et assurer la transition énergétique ». De manière plus générale, il affirme que « la puissance pétrolière des pays producteurs ne repose pas sur leurs réserves mais sur la compétitivité de leurs compagnies ». Défaillances Pour l'heure, Sonatrach n'en est pas là. En énumérant les actions que la compagnie devrait engager, M. Preure pointe, en fait, ce qui fait défaut à Sonatrach. Celle-ci doit « se renforcer pour se mouvoir dans la compétition internationale », mener des « actions d'organisation et de formation », et, « forcément », envisager « un changement de gouvernance » pour développer « ses capacités technologiques et managériales. En un mot comme en cent, elle doit « revoir en profondeur son système de management ». A ce défaut de gouvernance, s'ajoute un sérieux déficit d'image, particulièrement à l'international. Et ce ne sont pas les déclarations d'intention sur la révision de la loi sur les hydrocarbures et les velléités de se lancer dans l'exploitation du gaz de schiste qui vont ramener la sérénité. L'absence de crédibilité des différents ministres qui se sont succédé introduit un doute supplémentaire : qui se souvient de M. Salah Khebri, ministre de l'Energie quand Sonatrach était dans la tourmente ? M. Noureddine Bouterfa, très médiatisé il y a un an après la réunion de l'OPEP qui avait amorcé un redressement du prix du pétrole, a lui aussi disparu et, avec lui, son projet de 4.000 mégawatts d'énergie renouvelable dont l'appel d'offres devait être lancé début 2017. Personne ne sait ce qu'est devenu ce projet. Probité Sur ce, arrive M. Ould Kaddour. Le sulfureux manager paraissait le moins indiqué pour restaurer la crédibilité de Sonatrach. Il n'est pas légitime pour mener à bien cette tâche. Il a en effet purgé une peine de prison pour une obscure affaire d'espionnage. Si l'accusation était fondée, il aurait dû disparaître du paysage économique. S'il a été condamné alors qu'il était innocent, il aurait fallu le réhabiliter publiquement, lui présenter des excuses, et définir les responsabilités de cette affaire pour éventuellement punir ceux qui l'auraient enfoncé gratuitement. On n'en est pas là. Mais en l'état actuel des choses, même s'il fait un diagnostic technique correct sur l'état de la compagnie, M. Ould Kaddour n'est pas légitime pour la redresser. Comment vont le considérer ses interlocuteurs étrangers qui vont négocier avec Sonatrach ? Comment fera-t-il pour mobiliser un encadrement qui le regarde, disons, avec scepticisme ? Comment va-t-il obtenir l'adhésion de cadres encore assommés par les affaires Khelil, Meziane et BRC ? Quel crédit vont lui accorder les Algériens qui, à tort ou raison, sont hostiles à l'exploitation du gaz de schiste ? Il y a, en Algérie, des postes de responsabilité dont les titulaires ne doivent souffrir d'aucune entache. Aucun doute ne doit entourer leur probité. Ils ne doivent offrir aucune prise, ne présenter aucun soupçon, aucun doute, concernant leur passé et leur gestion. Celui de PDG de Sonatrach en fait partie.