Les récentes évolutions des politiques sociales vers des stratégies individualisées et contractualisées d'activation donnent aux conseillers du service public de l'emploi une importance de premier plan. Leur rôle consiste à accroître autant que possible les chances de réinsertion professionnelle de chaque demandeur d'emploi. Dans le contexte actuel, une condition supplémentaire définit le cadre dans lequel les conseillers sont appelés à remplir cette mission : l'insertion professionnelle doit être autant que possible rapide et durable. À cette fin, le conseiller peut mobiliser diverses stratégies et mesures d'activation qui diffèrent par leurs objectifs, les moyens mis en œuvre et les indicateurs utilisés pour évaluer leur réussite. À cet égard, cet article poursuit un double objectif. Tout d'abord, il vise à distinguer les logiques sous-jacentes à chacune de ces stratégies de travail. Cherche-t-on à améliorer la valeur marchande des personnes sans-emploi en vue de persuader d'éventuels recruteurs de faire appel à leurs services ? Si tel est le cas, on privilégiera une stratégie visant à faire augmenter leur image professionnelle aux yeux des employeurs du marché du travail. Par contraste, on peut aussi viser l'amélioration de leurs qualifications ou de leurs compétences, il s'agit alors d'offrir des formations certifiantes, sanctionnées par un diplôme ou une autre forme d'attestation. Ce n'est alors plus la réduction de leurs faiblesses, mais l'amélioration de la qualité de l'offre qui est appelée à convaincre l'employeur du bien-fondé d'un recrutement. Dans ces deux premiers cas, l'intervention privilégie l'action sur l'offre (les demandeurs d'emploi) en vue de l'adapter à la demande (les emplois disponibles). Une stratégie alternative consisterait à agir sur la demande en vue de l'adapter aux caractéristiques des chômeurs ou par l'introduction de régulations plus contraignantes du marché du travail visant à imposer aux acteurs de ce secteur linsertion professionnelle des publics difficiles. Cette deuxième stratégie passe par une remise en question de la logique marchande de l'appariement entre l'offre et la demande, par exemple par l'imposition de quotas quand il s'agit de programmes sociaux. Mais d'autres modes d'intervention existent qui se donnent pour objectif l'occupation des publics les plus défavorisés : on prend alors acte de la difficulté de les réinsérer sur le marché du travail et on développe des activités dites d'occupation ou d'utilité sociale à l'intention de ces publics désaffiliés ou surnuméraires. Enfin, un volant important de l'activité des conseillers réside dans l'accompagnement et le soutien des demandeurs d'emploi, même si ce type d'activité peut être en décalage avec les objectifs officiels. Cette conception de l'activation correspond à l'activité de courtage, dans laquelle le conseiller occupe une fonction d'intermédiaire entre les demandeurs d'emploi et les employeurs. Il est chargé d'acquérir des places vacantes qu'il introduit dans une base de données centralisée et place ensuite les demandeurs d'emplois dans ces postes. L'objectif poursuivi, à savoir la fourniture de main-d'œuvre aux entreprises envisagées comme des clients du service public d'emploi, permet de diminuer le chômage frictionnel et n'implique pas nécessairement une pression à la baisse sur les attentes des personnes au chômage. L'entretien de bonnes relations avec les employeurs peut aussi constituer un levier d'action sur les préférences de ces derniers en termes de recrutement, afin de leur faire accepter des candidats orientés. Cette action peut s'avérer bénéfique lorsque les compétences de la personne ne recouvrent pas totalement le profil du poste qui figure dans la base de données du conseiller. Dans ce modèle d'activation, c'est avant tout le réseau d'entreprises (du conseiller à l'emploi) qui est activé. Le rôle du conseiller consiste alors à appuyer les candidatures afin d'influencer positivement la décision de l'employeur, même si tous les critères formels ne sont pas remplis. Dans cette stratégie, l'élément décisif est l'existence d'un capital social, matérialisé dans un réseau de relations. Dans l'exercice d'une telle fonction d'intermédiation, un dilemme peut surgir entre les aspirations des chômeurs à des emplois de qualité et les attentes de certains employeurs pour qui la logique de marché est première et qui s'adressent au placement à travers le service public de l'emploi pour échapper aux répercussions du recrutement direct. Une telle conception de l'activation fondée sur le placement s'avère plus délicate à mettre en œuvre lorsque le marché de l'emploi se contracte et les entreprises recherchent moins de main-d'œuvre, quand les effectifs au chômage s'accroissent. Dans une telle situation, les activités de placement conduisent à mettre des quantités croissantes de chômeurs en concurrence sur le même poste, ce qui s'inscrit plutôt dans une conception marchande de l'appariement professionnel. En effet, il arrive que l'employeur attende beaucoup du conseiller qu'il effectue un premier tri des candidats. Le risque est alors grand que le conseiller sélectionne les demandeurs d'emploi ayant le moins besoin d'aide et renforce par-là la sélectivité du marché du travail. En outre, la mise en adéquation des profils des demandeurs d'emploi et des places vacantes est directement affectée par l'accroissement de la charge de travail. Le placement ne représente alors plus qu'une faible part du temps de travail du conseiller, ce dernier étant majoritairement absorbé par la gestion administrative des flux de demandeurs d'emploi (inscription, mise à jour de la demande, suivi des insérés en DAIP et surtout la réception tous les jours des usagers). La stratégie de qualification constituerait un autre moyen de rendre les demandeurs d'emploi plus attractifs aux yeux des employeurs potentiels. Dans sa forme pure, cette stratégie se fonde sur le recours à des formations qui permettent d'obtenir des attestations garantes d'une reconnaissance officielle des qualifications professionnelles et, partant, de la valeur sur le marché du travail de leur titulaire. Ce qui est visé, à travers la qualification, est moins le développement personnel des chômeurs qu'une façon de mieux répondre aux attentes supposées des secteurs économiques qui emploient de la main-d'œuvre qualifiée. L'adaptation aux exigences du marché du travail constitue le critère central de validation des formations selon les exigences des recruteurs notamment les plus structurés dans leur gestion de la gestion de la ressource humaine. Dans cette stratégie, le rôle des conseillers n'est pas de transmettre les qualifications, mais plutôt d'évaluer comment l'employabilité des chômeurs pourrait être accrue. Ils se basent pour cela sur les qualifications formelles et l'expérience professionnelle de la personne. Le temps leur manque souvent pour aller au-delà de cette « anamnèse » et réaliser un véritable bilan de compétences (le conseiller aura besoin de formation en la matière). Si une évaluation de ce type s'avère nécessaire, elle sera, tout comme les cours de techniques de recherche d'emploi, planifiée et adaptée à la réalité algérienne. Lorsqu'un bilan de compétences vient conforter un désir de réorientation professionnelle, peut apparaître chez le conseiller un dilemme entre les règles de l'institution (c'est-à-dire les normes légales) et les aspirations du demandeur d'emploi. En effet, aucune structure ne finance les reconversions et les chômeurs ont l'obligation de faire un certain nombre de recherches dans leur ancienne profession ou dans celle qu'ils ont apprise. Cependant, cette stratégie de qualification est de plus en plus concurrencée par des stratégies de développement des compétences de marketing de soi qui font directement référence à la logique marchande. La valeur ajoutée de la formation en termes de probabilité de retrouver un emploi se limite alors à la présentation des candidats par le biais de cours de méthodologie de recherche d'emploi (rédaction de CV et de lettres de motivation, analyse des offres d'emploi, techniques d'entretien...). Les cours les plus fréquemment assurés dans le cadre des nouvelles missions du conseiller à l'emploi concernent les techniques de recherche d'emploi sans règles psychopédagogiques ni didactiques. Lorsque l'objectif d'insertion rapide ou durable apparaît comme irréaliste ou lorsque le conseiller se trouve confronté à un demandeur d'emploi qui refuse de coopérer, l'injonction institutionnelle de réinsertion rapide et durable est très difficile à mettre en œuvre. Le conseiller tend alors à résoudre les dilemmes inhérents à cette situation (venir en aide aux demandeurs d'emploi les plus démunis ou répondre aux attentes de sa hiérarchie ou celles des employeurs) en faveur des injonctions de l'institution, lesquelles sont souvent notifiées sous forme d'indicateurs. Accompagnement des demandeurs d'emploi Cette vision englobe toutes les activités de conseil au sens large qui s'adressent aux demandeurs d'emploi. Dans ce cadre, il représente moins une orientation officielle des politiques de l'emploi qu'une réinterprétation pragmatique de ces dernières par les agents chargés de les mettre en œuvre et confrontés aux réalités d'un marché du travail sélectif et de demandeurs d'emploi durablement exclus. Lorsque le lien avec le marché du travail représente un défi, les conseillers, soucieux de donner du sens à leur activité, choisissent de mettre l'accent sur un travail d'accompagnement individuel (pas encore opérationnel sur le plan officiel) L'objectif principal de cette conception de l'activation est le soutien des demandeurs d'emploi surtout les plus nerveux dans leurs diverses démarches. Ce soutien peut se décliner suivant différentes modalités, qu'il s'agisse d'un soutien purement moral ou de démarches concrètes d'information ou d'orientation des personnes au chômage. On retrouve ici la volonté d'individualiser le suivi des demandeurs d'emploi avec les risques de psychologisation (Soumettre abusivement un événement quelconque à une interprétation d'ordre psychologique) qu'elle peut entraîner. En conséquence de cette individualisation, les éléments mis en avant dans cette conception varient considérablement suivant les cas concrets. Les chômeurs n'ont pas besoin de conseil ou d'appui particulier en dehors de la recherche d'emploi. Leurs éventuelles autres difficultés ne sont pas de la compétence. On affirme ainsi que « le fait de vouloir améliorer la situation personnelle (et psychique) des demandeurs d'emploi s'est révélé plusieurs fois négatif » en termes de placement). Au contraire, « davantage de fermeté au niveau des conseillers en concentration des efforts sur une rapide réinsertion dans le marché du travail, même s'il ne s'agit que d'un emploi temporaire, ainsi que davantage de contacts avec le marché du travail semblent plus productifs que les approches douces et coopératives et les stratégies de qualification ». Si la relation de face-à-face est au cœur de cette méthode, ce n'est pas ici pour imposer les exigences et attentes de l'institution à des personnes soupçonnées d'être de mauvaise volonté, mais pour voir comment aider au mieux dans leur démarche d'insertion sociale et professionnelle des personnes affectées de divers désavantages à cet égard, mais dont la bonne volonté n'est pas en cause. L'insertion professionnelle est parfois envisagée comme un objectif lointain dont l'atteinte immédiate n'est pas réaliste, mais cela n'empêche pas de mettre en œuvre d'autres types d'intervention centrés sur l'intégration sociale, censés constituer les premiers jalons d'une intégration professionnelle différée. Ainsi, avec certains chômeurs pour qui le retour à l'emploi est jugé improbable, des conseillers disent parler de la vie en général plutôt que de l'intégration professionnelle lors des entretiens. Dans un tel cadre, le conseiller en personnel s'efforce de résoudre les dilemmes et tensions auxquels il doit faire face en faveur des bénéficiaires qu'il accompagne. Il doit dès lors s'efforcer de surmonter tous les obstacles que l'administration place dans la voie d'une telle stratégie : manque de temps (manque de formation (les conseillers ne sont pas définis comme des psychologues et ils n'ont donc pas accès à des formations qui permettraient de développer leurs compétences à cet égard), injonctions de performance peu en lien avec ce travail d'accompagnement, ce qui implique un déficit, voire une absence de reconnaissance pour un tel travail, etc. La stratégie mobilisée par les conseillers consistera alors à justifier ces démarches d'accompagnement au nom de leur efficacité à long terme sur l'employabilité et l'aptitude au placement. Ce concept peut donner l'impression d'une situation idéale vers laquelle il faudrait tendre autant que possible, du moins dans le cas des demandeurs d'emploi les plus éloignés du marché du travail. Il convient cependant de souligner que, au même titre que le modèle précédent, l'accent mis sur l'accompagnement aboutit à exacerber le travail sur les individus au chômage, plutôt que sur le contexte social qui a produit le chômage : « la finalité subjective du travail d'insertion (du point de vue des professionnels) vise moins directement la mise à l'emploi que le travail sur l'employabilité : mettre l'individu au travail... sur lui-même ». Il est grand temps que la gestion de la demande d'emploi se fasse par portefeuille et créer ainsi une concurrence loyale entre les conseillers à l'emploi au niveau du service public de l'emploi. Conclusion Ce rapide tour d'horizon montre la diversité des stratégies mobilisées dans le contexte actuel et leur impact différencié sur le travail des conseillers. Deux leviers d'action principaux sont privilégiés : l'action sur l'offre et l'accompagnement. Par contraste, l'action sur la demande est très peu développée, en ligne avec la préférence marquée pour la flexibilité du marché du travail. En d'autres termes, la stratégie employée par les conseillers vise soit à adapter les demandeurs d'emploi aux exigences du marché du travail (dans le sens d'une adaptabilité unilatérale), soit à occuper ceux qui, parmi ces demandeurs, se révéleraient le plus difficilement adaptables, que ce soit par mauvaise volonté ou par manque de compétences ou de capacités. Au regard de l'action sur l'offre, l'approche par l'inculcation de compétences de présentation de soi est prioritaire par rapport à une stratégie de qualification plus ambitieuse qui ferait appel à des formations certifiantes et même qualifiantes. Quelle que soit l'approche retenue, les conseillers sont confrontés à des dilemmes, souvent très difficiles à résoudre, entre injonctions institutionnelles et attentes des bénéficiaires. Dans le cas actuel, les injonctions institutionnelles s'inscrivent dans une conception plutôt sociale de la régulation du marché du travail. Ce qui est attendu des conseillers consiste dans une action résolue sur l'offre en vue d'améliorer l'adaptabilité des demandeurs d'emploi aux exigences des recruteurs potentiels. Le conseiller est ici appelé à jouer le rôle de courroie de transmission des attentes des employeurs et à mobiliser les moyens d'intervention dans ce sens. De fait, à l'exception peut-être de la stratégie d'accompagnement qui occupe une place à part dans le dispositif idéal (mais qui doit néanmoins aussi se légitimer en montrant son efficacité en termes d'amélioration de l'employabilité à long terme), chacune des stratégies d'activation identifiée ci-dessus doit composer avec cette préférence des institutions publiques pour la logique de marché. Ainsi, le cadre normatif sous-jacent à la stratégie de qualification postule qu'un placement rapide sur le marché du travail vaut mieux qu'un long processus d'identification des compétences et des besoins éventuels de formation des personnes au chômage. Dans la même ligne, les conseillers s'efforcent de persuader les demandeurs d'emploi de faire preuve de patience. Cet impératif d'action rapide et soumise aux exigences des acteurs du marché du travail, n'est jamais discuté ou remis en question, il se situe au cœur des pratiques. Le conseiller, qui voudrait prendre au sérieux la nécessité d'une intervention individualisée et taillée sur mesure en fonction des besoins du chômeur, peut alors être placé dans une situation très difficile, notamment lorsque le demandeur d'emploi ne répond pas aux critères d'employabilité officiels. L'injonction administrative exige de résoudre ce dilemme par le recours à d'autres formules, mais nombreux sont les conseillers qui sont tentés par la voie de l'accompagnement (et la plus grande reconnaissance symbolique qui est ainsi accordée au chômeur) et se retrouvent ainsi en porte-à-faux avec les prescriptions officielles. Ainsi, toute initiative illustre bien les difficultés, voire les impasses, auxquelles sont confrontées les stratégies inspirées par la logique marchande. *Cadre du secteur de l'emploi