En plus d'être prise dans l'étau de la crise sanitaire à l'instar de nombreux pays à travers le monde, l'Algérie manque de deux éléments vitaux l'eau et l'oxygène pour l'acquisition desquels les citoyens se battent quotidiennement. Jeudi, vers 17h, la cité du 8 mai 45 de Bab Ezzouar, située à quelques encablures de l'entrée de Bordj El Kiffan, a vécu des moments difficiles. Des jeunes en colère ont rassemblé 5 pneus et y ont mis le feu. Le phénomène n'est certes pas nouveau. Mais fait inédit d'une grande dangerosité, les pneus ont été placés au milieu des rails de passage du tramway, qui longent cette immense cité populaire qu'on appelle communément Sorecal, du nom de l'entreprise étatique qu'il l'a construite dans les années 80. Une fumée noire très dense se dégageait de l'amas des pneus. La panique se lisait sur les visages des habitants sortis pour s'enquérir de ce qui se passait. Des jeunes s'agitaient nerveusement. «Ils manifestent leur colère à cause des coupures d'eau intempestives», nous renseigne un vendeur de brochettes dont la rôtisserie se trouve en face des rails du tram. «Les jeunes brûlent les pneus sur les rails, ils savent que le tram peut passer d'une minute à l'autre mais il ne pourra pas s'arrêter, c'est machiavélique», s'est inquiété un retraité. La scène était épouvantable. La cité où logent des milliers de famille est privée d'eau depuis plusieurs jours. «On est obligé de se lever à 4h du matin pour remplir nos récipients, j'ai appris dans la journée par la voisine que l'eau a été lâchée vers 2h du matin mais l'horaire change tout le temps, on n'est jamais sûr ni de l'heure d'arrivée ni celle de la coupure, c'est infernal», nous a fait savoir une jeune femme. Une demi-heure après, des éléments de la BRI sont arrivés sur place, talkies walkies en main. La foule s'élargie, commencent les palabres, les habitants ont déversé leur rage d'être privés d'eau en ces temps caniculaires. Des robinets à sec pendant plusieurs jours Bab Ezzouar ou Bordj El Kiffan ne sont pas les seuls quartiers algérois qui ont soif. Du côté ouest, la banlieue El Kothban erramlia, -les Dunes- en sont à leur 7ème jour de coupure d'eau. Les familles se ravitaillent par des citernes qu'elles achètent à 2000 ou 3000DA, tout dépend de l'étage où se situe leur appartement. «Moi, il m'a pris 3000DA parce qu'il m'a dit que faire arriver l'eau au 4ème étage risque de lui griller la pompe», nous disait un habitant des tours. Fortement médiatisé, il y a quelques jours, le programme des horaires de l'eau établi et rendu public par la Seaal n'a jamais été respecté. L'eau joue au yoyo dans toute la capitale «personne ne sait quand ça vient et quand ça part, pour ceux qui travaillent, c'est un désastre,» se plaint une mère de famille. Pis, certains quartiers algérois subissent en même temps de longues coupures d'électricité. «Les autorités nient qu'elles procèdent à des délestages, mais c'est exactement le cas, on n'a pas d'électricité pendant quelques heures, après c'est un autre quartier qui n'en a pas, c'est très souvent comme ça, avec les coupures d'eau, c'est la totale ! La crise sanitaire étant elle aussi infernale, on frôle la dépression», s'indignent des habitants de Staoueli. Il y a tous ceux qui se plaignent du manque d'eau et d'électricité, et d'autres, bien nombreux, qui cherchent désespérément de l'oxygène pour leurs proches en détresse respiratoire parce qu'atteints de la COVID. C'est loin d'être des cas isolés, toutes les wilayas du pays souffrent d'un manque accru d'oxygène au niveau des centres hospitaliers depuis que le nombre de contaminés a flambé. Mokrane, appelons-le ainsi, nous raconte «la galère» qu'il vit depuis plus d'une semaine, depuis que sa mère a été contaminée. Les faits se passent dans une wilaya de l'Est non loin d'Alger. «Dés que ça été précisé par le scanner, première étape, il fallait lui trouver un lit, il n'y en avait pas, tous les hôpitaux de la wilaya sont saturés», nous raconte son fils blasé par tant de déboires. «On est tous à plaindre» «En premier, elle a été gardée dans une polyclinique pendant près de trois heures puis ils m'ont dit qu'il faut la sortir parce qu'ils n'avaient plus d'oxygène, je ne savait pas où l'amener, elle était mal en point, elle n'arrivait pas à respirer, il fallait tout d'abord que je loue une ambulance parce que la polyclinique n'en avait pas, j'en ai trouvé une privée, j'ai amenée ma mère au CHU de la wilaya et là il fallait aussi galérer pour décrocher un lit, il y avait énormément de monde, assis, allongé sur des bancs, jeunes et vieux mais ce sont plus ces derniers qui souffraient vraiment, ils étaient pratiquement tous en difficulté,» nous fait-il savoir. Il note que «ça a duré de 20h jusqu'à 23h pour pouvoir faire allonger ma mère sur un lit, et pour la mettre sous oxygène». Mais «pour ça aussi, une autre galère, pas celle pour l'oxygène mais pour trouver un tondeur pour brancher l'obus d'oxygène que l'hôpital n'avait pas». Quelques temps plus tard, dit-il «on a pu en trouver un chez un privé». Constat évident, «l'obus d'oxygène se vide tout de suite, à peine une demi-heure, il fallait aller en chercher un autre parce qu'il n'y en avait plus à l'hôpital», fait-il remarquer. «Les installations d'oxygène au dessus des lits ne fonctionnent pas comme il se doit parce que la tuyauterie qui les relie aux réservoirs est ancienne et abimée, on m'a dit qu'il y a longtemps que ces appareils perdaient au moins 30% de l'oxygène à cause des fuites des tuyaux», nous apprend-il... Il nous fait savoir qu' «on a aussi galéré pour trouver un générateur d'oxygène avant que l'hôpital n'en ramène plus tard quelques-uns». Mokrane affirme qu'il a réussi «avec l'aide de nombreuses personnes à avoir un camion-citerne d'oxygène d'un des producteurs d'une wilaya du sud-est, mais avant qu'il n'arrive à l'hôpital, il a été détourné vers plusieurs centres urbains, et juste avant son arrivée là où on est, un des responsables l'a détourné vers les structures dont il est responsable, l'hôpital où se trouve ma mère n'a reçu ce jour là que 500 litres au lieu des 8.000 promises sur les 22.000 que transportait le camion-citerne». Deuxième tentative de «ravitaillement», «toujours d'une des wilayas du sud-est, le camion-citerne a été détourné sur Alger et puis sur une wilaya plus proche, on en a eu 4.200 sur les 22.000 litres initiales contenues dans la citerne», raconte notre interlocuteur sur un ton nerveux et désemparé. Il affirme toutefois que «je comprends que tout le monde agisse ainsi parce qu'on a des personnes en détresse respiratoire qui risquent de passer à n'importe quel moment et qu'on ne peut rien faire». «J'attends avec impatience de voir les effets du plan d'urgence» Il dit avoir constaté avec les tripes noués que «le personnel médical au niveau de toutes les structures auprès desquelles je cherchais de l'aide, est dépassé, exténué, sans répit, privé de repos, sans moyens surtout, toujours à l'affût d'une quelconque arrivée d'oxygène ou autre matériel d'urgence pour les malades contaminés qui étaient partout et arrivaient sans arrêt, on est tous à plaindre». Mokrane dit attendre avec impatience de voir les effets de la décision du gouvernement de mettre en œuvre «le plan d'urgence» d'approvisionnement des établissements hospitaliers en oxygène après la mise en place d'une cellule de crise par le 1er ministre. «J'ai appris que le gouvernement a décidé de charger chaque producteur d'oxygène d'approvisionner les structures hospitalières qui ont été regroupées par région», dit-il. L'annonce en a été faite jeudi par le ministre de l'Intérieur, des collectivités locales et de l'aménagement du territoire qui a affirmé que quatre régions ont été identifiées à cet effet. Au nombre de quatre aussi, les producteurs d'oxygène seront, en principe, aidés dans leur tâche, par le groupe qatari qui produit de l'oxygène pour les besoins de son usine à Bellara à l'Est du pays et le groupe turc Toskaly qui en produit lui aussi pour alimenter son usine à Oran et d'autres à l'ouest du pays. «Les quantités d'oxygène livrées dans une région par un producteur seront réparties à travers les établissements hospitaliers par les soins du wali», a souligné le ministre. Quantités qui devront s'ajouter à celles appréciables devant être importées incessamment sous une forme ou sous une autre, comme annoncé le même jour par le 1er ministre. Il s'agit de l'importation de 15.000 concentrateurs d'oxygène dont 2.250 devront être réceptionnés selon lui, entre le 3 et 5 août prochain. Et en plus des commandes devant être faites pour l'importation de 160.000 autres litres d'oxygène, le ministre a compté dix unités de production d'oxygène devant être ramenées dans de brefs délais. Le ministre de la santé pour sa part, a indiqué qu'il s'est entretenu avec son collègue du transport pour étudier la possibilité d'importer de l'oxygène par bateau ou avion cargo. Cependant, «rien n'est encore acquis », a-t-il noté.