Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata sont des répressions sanglantes d'émeutes nationalistes qui sont survenues en 1945 dans la region de Sétif et Guelma durant la période coloniale française. Elles débutent le 8 mai 1945 : pour fêter la fin des hostilités et la victoire des alliés sur les forces de l'Axe, un défilé est organisé. Les partis nationalistes algériens, profitant de l'audience particulière donnée à cette journée, décident par des manifestations d'abord pacifiques de rappeler leurs revendications patriotiques. Mais un policier tire sur un jeune algérien tenant le drapeau algérien (rouge, vert, blanc ) et le tue, ce qui éclate des émeutes entre algériens et européens, avant que l'armée n'intervienne. Il y aura parmi les européens plus d'une centaine de morts et autant de blessés. Le nombre des victimes autochtones, difficile à établir, est encore sujet à débat ; les autorités françaises de l'époque fixèrent le nombre de tués à 1 165, un rapport des services secrets américains à Alger en 1945 notait 17 000 morts et 20 000 blessés, le gouvernement algérien affirme que le nombre des victimes et de 45 000 morts. À Sétif, la manifestation autorisée commence à envahir les rues dès 8 heures, estimée à plus de 10 000 personnes, chantant l'hymne nationaliste Min Djibalina (De nos montagnes), défile avec des drapeaux des pays alliés vainqueurs et des pancartes « Libérez Messali », « Nous voulons être vos égaux » ou « À bas le colonialisme ». Vers 8h45 surgissent des pancartes « Vive l'Algérie libre et indépendante » et en tête de la manifestation Aïssa Cheraga, chef d'une patrouille de scouts musulmans, arbore le drapeau algérien. Tout dérape alors : devant le café de France, le commissaire Olivieri tente de s'emparer du drapeau, mais est jeté à terre. Des européens en marge de la manifestation assistant à la scène se précipitent dans la foule. Un jeune homme de 26 ans, Bouzid Saâl, s'empare du drapeau algérien mais est abattu par un policier. Immédiatement, des tirs provenant de policiers provoquent la panique. Les manifestants en colère s'en prennent aux français et font en quelques heures 28 morts chez leseuropéens, dont le maire qui a cherché à s'interposer, et 48 blessés. L'armée fait défiler les tirailleurs algériens, mais, alors que l'émeute se calme à Sétif, dans le même temps, des émeutes éclatent aux cris du « Djihad » dans la région montagneuse de petite Kabylie, dans les petits villages entre Bougie et Djidjelli. Des fermes européennes isolées et des maisons forestières sont attaquées et leurs occupants assassinés. Le mouvement s'étend très rapidement, et, le soir même à Guelma, une manifestation s'ébranle. Le sous-préfet Achiary, un ancien résistant, fait tirer sur les manifestants. On relève un mort et six blessés parmi les manifestants, 5 blessés dans le service d'ordre. Le cortège se disperse. Le sous-préfet dispose de trois compagnies de tirailleurs en formation, tous musulmans. Il consigne la troupe et fait mettre les armes sous clés. Un bataillon d'infanterie de Sidi-Bel-Abbès, convoyée par des avions prêtés par les Américains, arrive le 9 dans la journée pour évacuer des petits villages d'« européens » qui sont encerclés par les émeutiers. Le massacre Le chef du gouvernement français provisoire, le général de Gaulle, ordonne l'intervention de l'armée sous le commandement du général Duval dans une répression violente contre la population indigène. La marine y participe grâce à son artillerie, ainsi que l'aviation. Le général Duval rassemble toutes les troupes disponibles, soit deux mille hommes. Ces troupes viennent de la Légion étrangère, des tabors marocains qui se trouvaient à Oran en passe d'être démobilisés et qui protestent contre cette augmentation de service imprévue, une compagnie de réserve de tirailleurs sénégalais d'Oran, des spahis de Tunis. La répression, menée par l'armée et la milice de Guelma, est d'une incroyable violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas. Deux croiseurs, le Triomphant et le Duguay-Trouin, tirent plus de 800 coups de canon depuis la rade de Bougie sur la région de Sétif. L'aviation bombarde et rase plus ou moins complètement plusieurs agglomérations kabyles. Une cinquantaine de « mechtas » sont incendiées. Les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et tirent à distance sur les populations. Les blindés sont relayés par les militaires arrivés en convois sur les lieux. À l'image d'une milice de 200 personnes qui se forme à Guelma sous l'impulsion du sous-préfet André Achiary qui distribue toutes les armes disponibles, soit les 60 fusils de guerre qui équipaient les tirailleurs et se livre à une véritable chasse aux émeutiers. Pendant deux mois, l'Est de l'Algérie connaît un déchaînement de folie meurtrière. De nombreux corps ne peuvent être enterrés ; ils sont jetés dans les puits, dans les gorges de Kherrata en Kabylie ,des miliciens utilisent les four à chaux pour faire disparaître des cadavres. Saci Benhamla, qui habitait à quelques centaines de mètres du four à chaux d'Héliopolis, décrit l'insupportable odeur de chair brûlée et l'incessant va-et-vient des camions venant décharger les cadavres, qui brûlaient ensuite en dégageant une fumée bleuâtre. De nombreux musulmans, dirigeants politiques et militants, du Parti du peuple algérien (PPA), des Amis du manifeste de la liberté (AML) (dont le fondateur Ferhat Abbas) et de l'association des oulémas furent arrêtés. Lorsqu'une faction ou un douar demandait l'aman (« le pardon »), l'armée réclamait les coupables. Le 28 février 1946, le rapporteur de la loi d'amnistie (qui fut votée) déclarait en séance : « Quatre mille cinq cent arrestations furent ainsi effectuées, quatre vingt dix neuf condamnations à mort dont vingt deux ont été exécutées, soixante quatre condamnations aux travaux forcés à temps et il y aurait encore deux mille cinq cents indigènes à juger » La répression prend fin officiellement le 22 mai. L'armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en chœur : « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ». Des officiers exigent la soumission publique des derniers insurgés sur la plage des Falaises, non loin de Kherrata. Certains, après ces cérémonies, sont embarqués et assassinés. Pendant de longs mois, les algériens musulmans qui, dans les campagnes, se déplaçaient le long des routes continuèrent à fuir pour se mettre à l'abri, au bruit de chaque voiture. L'historien algérien Boucif Mekhaled, raconte : « [À Kef-El-Boumba], j'ai vu des français faire descendre d'un camion cinq personnes les mains ligotées, les mettre sur la route, les arroser d'essence avant de les brûler vivants ». Réactions Charles de Gaulle Dans ses Mémoires de guerre, Charles de Gaulle chef du gouvernement à l'époque des faits, écrit en tout et pour tout : « En Algérie, un commencement d'insurrection survenu dans le Constantinois et synchronisé avec les émeutes syriennes du mois de mai a été étouffé par le gouverneur général Chataigneau. » Houari Boumediene a écrit :« Ce jour-là, j'ai vieilli prématurément. L'adolescent que j'étais est devenu un homme. Ce jour-là, le monde a basculé. Même les ancêtres ont bougé sous terre. Et les enfants ont compris qu'il faudrait se battre les armes à la main pour devenir des hommes libres. Personne ne peut oublier ce jour-là. » Kateb Yacine, écrivain algérien, alors lycéen à Sétif, écrit : « C'est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J'avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l'impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l'ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme. » Il fut aussi un témoin oculaire des événements de Sétif, il écrit : « Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n'avaient pas prévu de réactions. Cela s'est terminé par des dizaines de milliers de victimes. À Guelma, ma mère a perdu la mémoire (…) On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c'était un grand massacre. » Albert Camus dans le journal de Combat des 13 au 23 mai demande qu'on applique aux algériens (il dit : « Le peuple arabe ») les « principes démocratiques que nous réclamons pour nous-mêmes». Il affirme qu'il y a crise -et non de simples incidents- que « le peuple arabe existe », qu'il «n'est pas inférieur sinon par les conditions où il se trouve ». Plus encore, il proclame que « l'Algérie est à conquérir une seconde fois ».