Comment « produire » un saint homme enterré dans une belle kouba toute blanche, dans les environs de Sétif ? Depuis l'avènement de Sid-El-Khier, le dernier des saints du sétifois, voilà plus d'un siècle et demi, nous n'avons pas vu le tombeau d'un saint nouveau orner le paysage des hautes plaines sétifiennes. Aucun homme (ou femme) digne de cette consécration n'a marqué la vie de la ville et sa région de tout ce temps au point de pouvoir aspirer à cette reconnaissance posthume ? Car c'est là la condition première pour que, après sa mort, il puisse être ‘distingué' du commun des mortels, pour voir sa dernière demeure surmontée d'une kouba érigée afin de perpétuer son souvenir et, surtout, que sa ‘baraka' continue à couvrir les vivants, et ses descendants directs en premier ressort. Il aurait fallu peut-être qu'un saint homme nous vienne d'une contrée lointaine, porteur de savoirs extraordinaires, d'une piété sans faille, d'une sagesse à toute épreuve, qu'il professe en milieu sétifien et que sa réputation, de son vivant, embrasse toute la région. Celle de Ferhat Abbas, apparemment, ne suffit pas. Pourtant, il répond parfaitement à tous ces critères ; sauf, peut-être, la piété, mais une autre croyance aussi salvatrice pouvait prétendre y palier : l'Amour du pays, par exemple… Cheikh El Bachir El Ibrahimi, qui mérite amplement de reposer sous une kouba réparatrice, n'y a pas droit non plus, étant fils de la région. Me semble-t-il, du moins… Sinon, pourquoi pas lui ? Il y a bien une condition à laquelle aucun des deux ne paraît satisfaire : il n'ont accompli aucun miracle. Hormis peut-être celui de contribuer (peu ou prou) à libérer le pays, mais est-ce vraiment un miracle, reconnu, attesté, incontestable ? J'en doute. Par ailleurs, il y a bien eu quelques m'rabets connus en ville, comme par exemple feu m'rabet Layachi et sa fille Lamria, (toujours de ce monde, laquelle, de dépit sûrement, est allée exercer ses 'compétences' à Lyon). Un ‘bouhali' (sorte de fou illuminé, qui est réputé dire des vérités sous forme de devinettes à déchiffrer) tellement suivi de son vivant, Ben Sahnoun. M'rabet Layachi comme Ben Sahnoun sont morts dans l'indifférence et, hormis peut-être leurs descendants, bien malin serait celui qui pourrait indiquer leur tombe. Voire, pire encore, le cimetière dans lequel elle se trouve… Nous ne sommes plus la Société des ziara, des maoussems, des zerdas et de Dar Ediwan. Ces grandes festivités collectives ont pourtant existé continuellement depuis l'homme de Ain Lahnèche jusqu'au millénaire ‘se refermant' sur nous. Pourquoi ont-elles subitement disparues ? La recette pour ‘produire' (ensuite honorer) des saints a été définitivement égarée. La Société sétifoise n'éprouve plus le besoin (déclaré crucial) d'ériger aux lettrés et hommes (ou femmes) remarquables des koubas. Pour remplacer celles d'hier. Comme cela a dû se produire et se reproduire depuis toujours. Malheureusement, nous n'avons pas gardé la mémoire de tous ces saints tombés en disgrâce. A voir, aujourd'hui, le peuple et ses dirigeants errer sans guides spirituels, sans repère géo-philosophiques pour à la fois baliser le paysage et borner les mémoires, fixer les espérances et ouvrir les horizons, nous comprenons combien nous avons changé. En bien ou en mal, c'est selon. A quels saints nous vouer alors, si nous avons perdus les anciens sans en gagner de nouveaux ?