Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. Il faut reconnaître à la jeune formation théâtrale Daraja Théâtre d'avoir réussi, vendredi au Théâtre AEK Alloula où elle a présenté son dernier et désopilant spectacle « Harraga », réussi plusieurs exploits à la fois. D'abord de traiter d'un sujet aussi amer et tragique, à savoir l'expédition suicidaire des harragas, dont l'actualité nous inonde, chaque jour, de funestes échos à travers les manchettes de journaux, par le biais de la dérision, la caricature et l'humour grotesque par endroits. Ensuite de gagner aussi le pari, à la faveur d'un stage de formation d'une année, animé par Taous Claire Khazem et Kate Edwards, toutes deux formées à l'Ecole Internationale Jacques Lecocq à Paris, de dispenser avec des moyens dérisoires une formation théâtrale à un groupe de jeunes qui n'ont jamais foulé les planches et surtout leur donner l'envie d'exprimer leurs préoccupations et leur message à travers une écriture collective du spectacle qui aura pris deux mois. La pièce, qui se présente sous forme de scènes rapides et très cocasses, où neuf comédiens dissèqueront, avec un humour incisif et le langage gouailleur de la rue, un projet de neuf jeunes, de différents bords, tentés par l'aventure de l'émigration clandestine. Sur une scène nue, avec pour seul décor un simple praticable amovible et, suspendue en fond de scène, une toile de tulle blanc qui fera plus tard office de déferlante qui emportera et les téméraires aventuriers et leur chimérique projet. Ces jeunes comédiens ont pour nom Youcef Guouasmi, Nabil Bouabdeli, Nadjwa Derouiche, Kawtar Goura, Fatima Zamaallache, Amine Bouzid Daho, Imadeddine Bekkouche Benziane, Yahia Benabdellah et Billal Benabdellah. Ils sont étudiants, rappeurs, chômeurs ou infirmières de leur état. Ils s'acquitteront avec une audacieuse aisance de leur tâche et parviendront à créer facilement l'osmose avec le public venu en grand nombre qui, en moins d'une heure, les adoptera et saluera leur brillante performance par une adhésion spontanée au spectacle et une grande ovation finale. Dans une pathétique chanson, deux rappeurs exprimeront les tourments d'une jeunesse désoeuvrée qui créera beaucoup d'émotion chez le public. Par cette expérience aboutie, la formation Daraja Theatre venait de donner la preuve par neuf de la créativité d'une jeunesse bouillonnante d'imagination. Rappelons que la mise en scène et la scénographie ont été assurées par Mohamed Yebdri, la musique du spectacle est signée Mustapha Adnani. A la fin du spectacle, le metteur en scène conviera le public à un inhabituel et fructueux débat avec les comédiens qui permettra de créer une véritable osmose.