« A la lutte pour l'indépendance nationale succèdera la révolution démocratique populaire » (Programme de Tripoli) « La meilleure forteresse au monde est l'affection du peuple. Si tu as les pierres sans avoir les cœurs, elles ne suffiront point à te protéger » (Machiavel) L'Algérie a subi trois siècles de présence turque et près d'un siècle et demi de domination coloniale avant de prétendre de nouveau à l'indépendance. L'idée de la construction démocratique constitue un élément essentiel de la doctrine politique de l'Algérie contemporaine ; ce, que l'on se réfère à la proclamation du premier novembre 1954 et le programme de Tripoli (1962), la charte d'Alger de 1964 et la charte nationale de 1976, en passant par les constitutions algériennes (notamment celle de 1989 qui a octroyé le multipartisme et celle de 1995 ayant limité à deux les mandats du président de la République). Or, l'Algérie se révèle un véritable livre de sociologie à ciel ouvert, voire un immense divan à coeur ouvert. Il est vrai, en effet, que dans nos villes règne -outre une immense tristesse- une ambiance de sous-développement observable à l'oeil nu : désoeuvrement manifeste des jeunes, transport urbain des plus sommaires, immeubles vétustes à côté de constructions quasi-pharaoniques… D'où l'urgence de revoir les principes de cette doctrine et de réviser la pratique politique suivie à ce jour. Remplacer la « légitimité révolutionnaire » par la compétence Après l'expérience autogestionnaire de Ben Bella, le Conseil de la révolution institué par la proclamation du 19 juin 1965 avait entendu « rétablir la légitimité révolutionnaire » par la réorganisation de l'Etat avec maintien de l'option « irréversible » du socialisme. Cette proclamation de foi n'a pas résisté à l'épreuve des faits. Le violent réquisitoire établi par feu Boumediene a perdu de sa signification tant il s'avère que la pratique politique suivie par le Conseil de la révolution, conçu comme structure gouvernante, fut davantage la représentation des intérêts d'une caste (une oligarchie constituée par les « seigneurs de la guerre ») que l'expression de l'intérêt national. Après avoir rompu le cours de la légitimité constitutionnelle établie par la Constitution de 1963, ce Conseil s'est prévalu de la « légitimité révolutionnaire » ayant abouti à l'institutionnalisation d'un pouvoir central avec hégémonie du président de la République, ministre de la Défense nationale, secrétaire général du FLN de fait et législateur par voie d'ordonnances. La personnalisation du pouvoir est reconstruite autour de cette « légitimité » préfigurant ainsi les effets nuisibles de la stratégie de développement suivie alors : endettement excessif entraînant une dépendance financière certaine avec un mal-développement visible, tensions sociales à l'intérieur (grèves des ouvriers et des étudiants), économie grippée (l'agriculture n'ayant pas eu les faveurs du régime et l'industrie n'ayant pas subi les effets d'entraînement escomptés), marasme culturel et interrogations sur l'histoire algérienne et l'identité nationale évacuées sine die en permanence. La question n'est plus de savoir si le coup d'Etat du 19 juin 1965 peut être considéré comme un « redressement révolutionnaire » et donc ayant les faveurs de la « légitimité révolutionnaire » ? Aujourd'hui, tout au plus pourrait-on plaider pour un pouvoir empreint d'autoritarisme. D'aucuns thuriféraires pourraient penser qu'il s'agit là d'un processus pragmatique ayant abouti à l'élaboration de la charte nationale analysée comme un programme de gouvernement et la promulgation d'une constitution aux fins de légitimation. Ainsi, la « légitimité révolutionnaire » aurait cédé à la « légitimité constitutionnelle ». Or, ces textes ont cristallisé l'unicité partisane comme pierre d'angle du système politique algérien, la Direction de l'Armée jouant un rôle politique majeur (les membres du Conseil de la Révolution ont tous siégé ipso facto au bureau politique du FLN). Or, la pratique politique et les diverses Constitutions algériennes consacrent le président de la République comme le véritable détenteur du pouvoir. En apparence du moins. La participation démocratique des citoyens à la gestion des affaires publiques est réduite à la portion congrue. Nous sommes en présence d'un capitalisme d'Etat périphérique dirigé par une techno-bureaucratie civile et militaire où le chef de l'Etat est titulaire d'impressionnantes attributions. L'intronisation de Chadli Bendjedid, alors primus inter pares, par la direction de l'armée et du FLN comme candidat unique à la présidence de la République, consacre la confusion des pouvoirs en vue de l'appropriation de la principale rente énergétique du pays par la haute hiérarchie du complexe militaro-bureaucratique constituée en technostructure gouvernante illégitime. La situation n'a pas été fondamentalement modifiée nonobstant l'appel à feu Boudiaf dont le projet fut caractérisé par l'idée de restauration de l'autorité de l'Etat, de rupture radicale avec les hommes et les pratiques de l'ancien système, de prise en charge des problèmes sociaux les plus aigus et de l'espoir à redonner aux jeunes. Son thème de prédilection -la corruption- (qui lui coûta la vie ?) est clairement affiché. Feu Mostefa Lacheraf a pu dire de lui : « Les critiques envisagées dans le projet de Boudiaf ne pouvaient satisfaire ni le pouvoir succédant au grand disparu, ni les groupes politico-religieux » ("El Watan" du 30/8/93). La situation n'a pas plus radicalement changé avec ses successeurs, les compétences nationales continuant à être marginalisées. Mettre fin au populisme et au culte de la personnalité Le populisme et le culte de la personnalité semblent être les caractéristiques dominantes du pouvoir algérien. Les bailleurs du pouvoir s'accommodent de l'état résiduel de la démocratie en Algérie alors que la corruption s'étale désormais à ciel ouvert. Les élections qui s'y succèdent confortent davantage l'illégitimité du pouvoir. Ainsi, l'Algérie a continué en vain d'épuiser plusieurs régimes en vue de résoudre l'équation quasi-inamovible du pouvoir, les ressources politiques antérieures (le nationalisme et le populisme) ne suffisant plus pour pallier les carences en démocratie. Que faire face aux défaillances du système productif : bureaucratisation à outrance, fort taux de chômage, dette extérieure excessive (résorbée depuis), austérité pesante, paupérisation englobant les couches moyennes de la société, clochardisation des cadres, inflation qui court après le marché informelle de la devise, dessaisissement de l'Etat d'attributs économiques sans contrepoids réel de contrôle de la sphère économique par celui-ci, gestion dominée par le phénomène de la corruption, du bazar et de la rente ? Comment in fine résoudre la question du pouvoir en Algérie afin d'assurer une légitimité aux gouvernants et conférer une assise définitive et durable aux institutions et aux hommes et femmes qui les dirigent ? Comment s'inscrire dans la remise en cause de la pensée unique, la dépolitisation de l'armée par sa professionnalisation, l'émergence de la société civile comme acteur de la vie publique du pays ? Comment faire usage de nouvelles règles constitutionnelles telles que la séparation des pouvoirs et le respect des droits de l'homme et des libertés individuelles et publiques ? Telle est la problématique en vue de débarrasser l'Algérie de l'idéologie obsolète enrobée de « légitimité » pseudo-révolutionnaire tant notre pays a été sévèrement malmené par nos tyranneaux qui cultivent à satiété le culte de la personnalité et pratiquent à foison le populisme. Depuis les « événements » d'octobre 88, l'Algérie est en quête d'une nouvelle légitimité par une recomposition du champ politique caractérisé par un pluralisme politique jusque là contrôlé, sur fond de paupérisation et d'extraversion du système économique. En vain, feu M'Hammed Yazid a pu plaider pour l'"élimination" du marché politique des gens de sa génération. Cette situation s'apparente, par son caractère récidivant, à du présidentialisme où le président de la République demeure constitutionnellement la clé de voûte des institutions politiques du pays. Nous sommes toujours face à un sous-développement politique chronique par la grâce d'une gérontocratie qui use d'une rhétorique démesurée et affiche une attitude arrogante et un populisme à tout crin. En effet, le système politique algérien repose toujours sur un déséquilibre institutionnel établi au profit du président de la République sans contrepoids réel, à savoir : un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique, une Magistrature indépendante, une Presse libre et une Société civile structurée. Il y a là une déviation et une dégénérescence du régime présidentiel avec des risques certains d'autoritarisme et d'arbitraire. Il est vrai que les Constitutions algériennes consacrent le président de la République comme chef réel du Gouvernement, chef suprême des Armées et de l'Administration. La pratique politique depuis octobre 88 n'a pas modifié cette donnée puisque cette situation a perduré du fait de l'aménagement du pluralisme octroyé, suite à la période du monopartisme, en système de parti dominant. Remettre en cause l'Etat de l'état d'urgence Pour rappel, l'Etat algérien proclama l'état de siège en juin 1991 et plus tard l'état d'urgence en 1992. C'est ainsi que, courant février 1992, l'état d'urgence fut proclamé et reconduit d'année en année. Question : l'état d'urgence peut-il se justifier par le gouvernement algérien ? Si risque il y avait alors, pouvait-il constituer à lui seul un péril imminent sur la nation, sachant que par hypothèse l'Etat a les moyens légaux pour éventuellement y faire face relativement au maintien de l'ordre public ? Fallait-il donc stopper le processus électoral pour maîtriser la situation et déroger ainsi aux droits fondamentaux de l'homme ? Il me semble que l'Etat dispose de la police et de l'armée, ainsi que de l'Administration et de la Justice (voire de la radio et de la télévision) pour maintenir l'ordre public sans avoir recours à l'état d'urgence et la mise en veilleuse des libertés. De même, l'Etat dispose de moyens d'action légaux ; ainsi, la Constitution de 1989 (et les Constitutions subséquentes) attribue suffisamment de prérogatives au président de la République pour éviter tout péril imminent de la nation. Il peut, entre autres, dissoudre l'assemblée nationale élue et légiférer par voie d'ordonnances. Durant l'état d'urgence, une donnée majeure et permanente : l'emprise du chef de l'Etat sur toutes les institutions. En ce sens, l'Algérie a construit une forme de bonapartisme militaro-bureaucratique (voire césarisme) qui a verrouillé tout droit à l'expression à l'opposition alors qu'il a été promis au pays un « Etat sérieux et régi par une morale ». Au plan politique, des officiers supérieurs occupent (ont occupé) des postes importants : président de la République, ministres, walis, PDG de sociétés nationales. Bendjedid, colonel successeur à la présidence et candidat unique du FLN élu à plus de 99% des voix, a mis en place une forme de multipartisme ayant abouti in fine à un système de parti dominant, ainsi qu'à un libéralisme débridé ayant contribué à la constitution de fortunes diverses : financière, immobilière et foncière. Sans rupture déterminante, la Constitution de 1995 a eu tout de même le mérite de consacrer sur le texte l'alternance au pouvoir par la limitation des mandats présidentiels (deux quinquennats suffisent). La Constitution de 2008 a mis fin à la limitation de la durée des mandats présidentiels. Et à l'alternance au pouvoir préfigurant l'Etat de droit. Désormais, l'Algérie a vocation à devenir une monarchie avec à sa tête un autocrate confirmé par des élections aussi formelles qu'inutiles, avec l'assentiment de la grande muette. Congédier l'oligarchie au pouvoir La stratocratie semble être la définition qui convient le mieux pour qualifier le système politique algérien car dominé, bon an mal an, par la direction de l'Armée et, dans une moindre mesure, comme une oligarchie dès lors qu'on a affaire à un pouvoir politique fondé sur la prééminence de quelques personnes (le cercle des décideurs). C'est dans ce contexte qu'apparaissent de plus en plus des affaires politico-judiciaires : Bouricha, Banque commerciale et industrielle d'Algérie (BCIA), Affaire Khalifa, Sonatrach et tant de scandales financiers liés tantôt au secteur des hydrocarbures comme principale valeur du pays, tantôt au secteur de l'immobilier et du foncier… Dans ce même contexte, le Trésor public est géré comme une tirelire personnelle selon les caprices des princes du moment et les principaux rouages de l'Etat (gouvernement, assemblée, armée, partis…) sont exclusivement aux mains de la gérontocratie. Feu Lacheraf a pu dire : «On s'obstine à relancer sur le marché politique les vieilles élites corrompues, usées et discréditées». Que faire ? Réformer sérieusement et d'urgence le système politique algérien et mettre aux orties la pensée unique et l'idée de parti dominant (conglomérat à plusieurs actionnaires politiques) toujours en vogue, la quasi absence de l'opposition sur la scène confirmant le déficit démocratique en Algérie. Aussi, il faut avoir l'audace de s'engager dans la voie de la réforme du système politique pour redessiner le profil des institutions politiques algériennes et redéfinir les prérogatives de celles-ci en vue d'asseoir un équilibre des pouvoirs. Dans cette perspective, il y a lieu de mettre un terme à un exécutif inutilement bicéphale (la dyarchie Président de la République/ Premier ministre) et de consacrer l'équilibre des pouvoirs afin d'éviter de s'enfermer dans un schéma d'autoritarisme caractérisé. De même, l'institutionnalisation d'un réel contre-pouvoir au sein de l'Etat pour permettre une émulation institutionnelle (synonyme d'une bonne gouvernance) et éviter au pays de sombrer dans l'immobilisme parlementaire (voire dans la dictature présidentielle). Permettre à la société civile de veiller aux droits de l'homme et à la construction de l'Etat de droit et à la liberté d'expression (presse et culture) constitue également une ressource politique novatrice. Faire bénéficier le Parlement de prérogatives à même de lui permettre de contrôler de façon efficiente la politique du gouvernement -franchement dirigé par le président de la République- est un élément structurant de la vie politique et constitutionnelle du pays). S'interroger légitimement sur l'existence d'une seconde chambre ; pourquoi un bicaméralisme là où une seule chambre n'arrive pas à exercer le peu de ses prérogatives constitutionnelles (la mise en place de commissions d'enquêtes, par exemple concernant les affaires de corruption) ? Le monocamérisme devrait pouvoir suffire aux besoins du parlementarisme algérien). En un mot comme en cent, mettre fin au système reposant sur les «décideurs politiques» qui demeurent des bailleurs de pouvoir. Opter pour un nouveau système politique Quelque cinquante ans après l'indépendance, est-il encore concevable de vivre sous la férule d'une oligarchie aux allures autocratiques ? Non. Pour y parvenir, outre les propositions sus-évoquées, d'autres mesures seraient les bienvenues. Ainsi, le président de la République doit être responsable de sa politique. En effet, il est le chef suprême de toutes les forces armées de la République (ministre de la Défense nationale), il nomme le chef du gouvernement et pourvoit à tous les postes civils et militaires … Outre que la réforme à envisager doit concerner la limitation des mandats limités à deux quinquennats, elle doit pouvoir mettre fin au pouvoir personnel par la concentration de pouvoirs exorbitants entre les mains d'une seule et même personne. De même, il y a lieu de déléguer suffisamment de pouvoirs aux membres du gouvernement qui seront directement responsables devant les élus du peuple siégeant au Parlement. Ainsi, sera réalisé un contrôle de la politique de l'Exécutif, donc celle du chef de l'Etat ès qualité de premier responsable de la vie politique du pays. L'opposition, même insuffisamment structurée, ne sera plus aphasique ; davantage encore la société civile muselée depuis l'indépendance « confisquée ». Mettre donc fin au déséquilibre institutionnel établi au profit du seul président de la République qui apparaît comme un véritable monarque présidentiel coopté par un cercle restreint de décideurs. Il y a là une forme d'autocratie présidentielle opérée par les bailleurs de pouvoir se disputant la décision. Pourquoi donc ne pas opter franchement pour un régime politique où le chef de l'Etat est la seule tête de l'Exécutif avec désignation éventuelle d'un vice-président ? Dans ce contexte institutionnel et politique, le Parlement doit être un contrepoids à l'arbitraire de l'Exécutif. De même, il est à regretter que l'Algérie n'ait pas cru devoir explorer la donne de la régionalisation en tant que forme organisationnelle intermédiaire entre l'Etat et les collectivités locales. Enfin, remercier dans tous les sens de ce vocable la gérontocratie au pouvoir qui fait de son passé un fonds de commerce laissé royalement en héritage à sa progéniture ; ce, avec l'appui d'une technocratie au service d'une structure gouvernante (en l'espèce, de hauts fonctionnaires délégués à des fonctions politiques) et instrumentalisant l'Armée pour renflouer sa légitimité et son maintien au pouvoir. Tant d'affaires de corruption ont été révélées au public sans qu'il ait été possible à la Justice d'agir de façon efficiente afin de pouvoir condamner ceux qui mettent en danger et le pays et son économie, notamment parmi eux ceux qui ont exercé une responsabilité politique importante. Avec une magistrature réellement indépendante de l'exécutif, il est possible d'exercer sans entraves la justice au quotidien (y compris à l'égard des puissants par l'argent et/ou par l'influence politique). Et l'urgence également d'avoir une presse libre à même de permettre le pluralisme des opinions, les investigations journalistiques et l'esprit critique avec des médias affranchis de toute tutelle. L'audiovisuel doit être structuré en authentique service public. Ainsi, pourra avoir lieu un débat politique contradictoire du binôme pouvoir-opposition à travers les médias publics et privés en bénéficiant d'une liberté d'expression non soumise aux desiderata du chef du moment. Il y va de notre développement politique qui reposera alors sur l'exercice de la démocratie choisie comme moyen et cadre à même de promouvoir la légitimité et l'exercice du pouvoir. Dans ce contexte également, l'armée doit pouvoir se réformer par sa professionnalisation et en se modernisant. Historiquement, elle s'est constituée en structure gouvernante en s'attribuant les principaux postes-clés dans l'ensemble des rouages de l'Etat. Elle est devenue mutalis mutandis une caste à part en détenant le pouvoir à la fois politique et économique (le cas de l'Egypte est patent). Après les coups d'Etat opérés tant au Maghreb (Algérie) qu'au Machrèq (Syrie), les directions militaires étendent en effet leurs privilèges corporatifs (budget, traitements et équipement). Ayant ainsi acquis un statut social élevé et une part importante du revenu national, elles deviennent une structure gouvernante. Aussi pendant longtemps, il n'a pas été question d'une Armée apolitique contrôlée par les civils (la fameuse primauté du civil sur le militaire). C'est là une réforme à envisager pour faire de l'Armée une « grande muette » comme l'un des principes majeurs des démocraties modernes. Principal pourvoyeur de présidents de la République depuis l'indépendance, la direction de l'armée s'est révélée un acteur principal de la vie politique algérienne. Dans cette perspective, elle s'est attribuée des postes-clés dans l'ensemble des rouages du pouvoir de l'Etat, agissant tantôt de façon autonome (Conseil de la révolution), tantôt sous le couvert d'une personnalité cooptée parmi ses pairs. Elle doit pouvoir elle-même refuser d'intervenir dans la sphère politique. Concevoir une nouvelle politique économique Les hydrocarbures constituent toujours la presque totalité des exportations de l'Algérie, le budget de l'Etat dépendant pratiquement du pétrole et du gaz. Marqué par un économisme technocratique, le projet de développement basé sur la théorie des industries industrialisantes et celle de l'introversion demeure caractérisé par le volontarisme politique du régime issu du 19 juin 1965. La plus grande partie des projets à caractère industriel a été concrétisée en étroite collaboration avec le marché financier international et les sociétés multinationales. Aux lieu et place du « socialisme spécifique », l'Algérie a abouti à une forme de capitalisme d'Etat périphérique et accentua cette tendance avec un nouveau discours centré sur le libéralisme débridé au demeurant. Au « gigantisme industriel », on préféra la "restructuration", c'est-à-dire le morcellement des grandes entreprises d'Etat ; ce, dans contexte caractérisé par la faiblesse du marché pétrolier et la baisse des prix mondiaux du brut. Depuis 1979, discipline et austérité reviennent comme un leitmotiv, à grands renforts des médias. Contre mauvaise fortune, le régime doit faire le diagnostic de ses propres turpitudes. La presse algérienne évoque alors un manque à gagner de plus de 25 milliards de dinars et une dépense de 1000 milliards anciens en produits alimentaires chaque année. C'est la banqueroute de l'économie rentière d'autant que la dette extérieure et son service viennent bousculer bien des certitudes. Les "pétrodollars" algériens couvrent parfois juste la facture alimentaire. Triste réalité économique. Le secteur de l'agriculture demeure un parent pauvre alors que le pays s'enlise davantage chaque année dans la dépendance alimentaire. Désormais, le bilan du pouvoir algérien fait ressortir les incohérences d'une stratégie et son coût social, la croissance des dépenses improductives, la non-maîtrise de l'appareil productif, la formation de féodalités économiques et politiques (techno-bureaucratie civile et militaire), les dangers de l'extraversion et la hogra des masses en prime. La Sonatrach continue d'être la vache à lait de la nation dominée par les barons du régime adeptes du « gré à gré » et éclaboussés par moult scandales politico-financiers, institutionnalisant de facto la corruption et l'affairisme d'Etat comme moyens de gouvernance. Désormais, s'étalent au grand jour les différenciations sociales jusqu'ici inégalées, y compris chez les couches moyennes. Vaille que vaille, l'Etat continue à acheter la paix sociale par une distribution tous azimuts d'une partie des « pétrodollars » et à gérer l'endettement ayant abouti au rééchelonnement et à l'application de l'ajustement structurel imposé par le FMI avec pour effets des mesures draconiennes : privatisation des entreprises du secteur public avec son cortège insoutenable de licenciements collectifs et leurs inévitables drames personnels et familiaux, libéralisation du commerce intérieur et extérieur avec pour corollaire la libéralisation des prix qui aboutit à leur flambée… Les Gouvernements successifs de Benbitour, Benflis, Ouyahia et Belkhadem deviennent davantage des gestionnaires que des concepteurs d'une nouvelle politique économique. Face à ces difficultés d'ordre socio-économique ayant durablement affecté les citoyens, l'« après-pétrole » apparaît ainsi telle une chimère de gouvernants au service de rois fainéants. En l'absence d'une politique économique crédible, la question se pose de savoir si l'option mise sur les hydrocarbures, les rééchelonnements et l'opération de privatisation constituent un atout certain en vue d'aboutir à une situation assainie de l'économie algérienne. La question se pose avec d'autant plus d'acuité que d'autres pays ayant tenté l'aventure du "tout privatisable" ont seulement permis à des "professionnels de l'économie de l'ombre" de prospérer et de mettre leurs pays en coupe réglée. Ainsi, dans le cas de la Russie, "Ils sont sept prédateurs à s'être partagé la Russie. Sept barons dont on murmure qu'ils font et défont les lois, nomment les ministres, quand ce n'est pas le président lui-même (…) ; ces nouveaux magnats russes qui contrôlent plus de 250 sociétés et ont construit en un temps record des fortunes colossales, à la limite de la légalité. Pétrole, médias, télécoms, métaux, mines, automobile, en cinq ans, les secteurs les plus juteux ont été soigneusement quadrillés, le gâteau méthodiquement partagé avec la complicité de vieilles amitiés, quant ce n'est pas celle d'intérêts mafieux (Le nouvel Economiste" du 27/02/98). L'Algérie n'a-t-elle pas déjà subi le même sort ? Contribuer à l'émergence de la société civile Depuis octobre 88, il y a un recul notable de la peur des Algériens cantonnés pour beaucoup jusqu'alors à la défensive. Ils refusent désormais la résolution d'une fraction du pouvoir qui cherche à s'y maintenir au prix de n'importe quelle compromission, sous couvert d'une apparente liberté d'expression savamment distillée et contrôlée. A cet égard, il est manifeste, en Algérie, que la société réelle (ou société civile) vit sous le joug de la société légale (la société au pouvoir), cette dernière continuant de gouverner sous le signe de l'illégitimité et le sceau du monopole de la violence. Ce, alors que la société civile doit pouvoir devenir le principal pourvoyeur du personnel politique appelée à gouverner l'Algérie. Tel doit être l'objectif prioritaire, en vue d'éliminer tout esprit extrémiste ayant pour credo la violence ou la torture comme mode d'orientation de la conscience nationale. La société civile doit conquérir ses lettres de noblesse en supplantant toute velléité de dictature militaire ou spirituelle. Dire non à la gérontocratie gouvernante en négociant avec la société légale (celle-là même qui légifère en son nom) et la société partisane (les différentes formations politiques toutes tendances confondues) qui sollicite ses voix. C'est à ce prix que la société civile aura procédé à la rupture d'avec la stratégie défensive qui l'a jusqu'ici caractérisée. Cette solution, qui ne saurait être l'œuvre ni d'un homme providentiel ni d'une gérontocratie gouvernante, peut permettre la naissance d'une pensée politique expurgée de toutes les scories du passé. Surtout que la société civile ne s'oppose ni à la société militaire (sauf en ce qu'elle a de répressif et lorsqu'elle est instrumentalisée par des politiciens véreux à leurs corps défendant), ni à la société spirituelle (excepté lorsque celle-ci cherche à lui imposer un mode de pensée et de comportement dont elle n'a nullement besoin). Et cette société civile est dominée par la jeunesse algérienne qui constitue la véritable majorité en Algérie. A cet égard, il est naturel de bénéficier de l'expérience d'hommes politiques sages et assagis par l'âge, mais vouloir instaurer un système politique où les principaux rouages de l'Etat (gouvernement, assemblée, armée, partis ...) sont exclusivement aux mains de la gérontocratie est suicidaire eu égard à cette donnée. Réfléchir à une synthèse entre tradition et modernité Du point de vue de l'anthropologie politique, l'Islam peut être observé comme une révolution dès lors qu'il est apparu pour mettre fin à une époque où les rivalités tribales transformaient la société en une arène de combat où l'emportait la morale de l'intérêt sur l'éthique de la justice. Et force est d'observer que les conflits dominent l'histoire islamique, la grande discorde (el-fitna el-kobra) en est la plus tristement célèbre. Ainsi, dès l'origine, le pouvoir fut au centre des préoccupations des tribus intéressées par ces conflits, délaissant le champ de la pensée, notamment en matière de droit public pouvant servir de fondement à une théorie politique (voire à une théorie générale du pouvoir), voire à une pensée politique avec une volonté politique réelle d'émancipation moderne de la cité. Dans l'historiographie musulmane, le califat fut le mode de gouvernement adopté : à l'Imam le leadership religieux et politique. En réalité, au regard même du Fiqh, le Coran et la Sunna laissent le libre choix aux musulmans du système politique au sens d'organisation sociale. Le Coran ne dit-il pas: «Dieu ne modifie rien en un pays avant que celui-ci ne change ce qui est en lui» (XIII, 11). Aussi, plutôt que de se perdre dans les aspects formels de l'Islam, il serait sans doute profitable de se référer à El-Ijtihad (l'effort intellectuel) appliqué au politique en faisant appel à El-Aql (la raison) et El-Qyas (la logique). Ainsi, si le pouvoir religieux émane de Dieu, le pouvoir politique relève de la volonté de l'homme dans sa tentative d'organiser la cité; donc de la société civile qui s'appuie sur le Fiqh (Droit positif). Au-delà de l'aspect purement spirituel, l'islam politique exprime la détermination à mettre en oeuvre un projet politique avec le texte coranique comme infrastructure intellectuelle. Dans ce contexte, l'islamisme rejette la rupture d'avec le sacré et la modernité conçue comme un facteur exogène au corps musulman comme au corpus théologique. Sans doute que le ressentiment des Musulmans est historiquement justifié, mais il est vrai que l'attitude de rejet ne permet pas un dialogue fécond. Pour Laroui, ce néo-Islam est « le reflet de la crise historique que vit la société arabe sans en être à aucun moment la solution». Comment donc réfléchir à une synthèse entre tradition et modernité par le moyen d'une pensée à base d'analyse critique ? Comment faire l'économie de la violence comme tentative de résolution de la question du pouvoir ? Comment analyser le substrat intellectuel et spirituel de l'Islam, notamment au Maghreb ? C'est sans doute l'Ijtihad, l'effort intellectuel cher aux Musulmans, qui devrait permettre de nouveau l'accès à la Civilisation par l'appropriation de l'esprit scientifique. Pourrions-nous, en effet, nous affranchir de l'analyse critique de l'apport des pays les plus développés en la matière, ces derniers étant conçus comme un vaste laboratoire qui s'étend sur plusieurs continents ? Assumer l'algérianité et l'algérianophonie Officiellement, il y a des «constantes nationales» (amazighité, arabité, islamité). N'est-il pas plus judicieux d'évoquer son algérianité avec son pendant, l'algérianophonie ? En effet, entre autres réflexions de nos prestigieux auteurs, celle de Malek Haddad pour qui la langue française est un «exil» et celle de Kateb Yacine pour qui elle constitue un «butin de guerre». La tentation est grande de rejeter le français, car langue de l'ex-colonisateur comme celle de l'adopter en tant que langue littéraire, technique et scientifique. D'évidence, si le choix est aisé pour l'arabophone, il l'est moins pour le francophone. Peut-être d'ailleurs devrait-on parler d'algérianophones ? Certes, le problème concerne l'ensemble des Algériens – et au-delà, des Maghrébins -, mais surtout l'élite qui s'exprime, dont notamment les écrivains, universitaires, journalistes, politiques… En effet, le peuple, quant à lui, a tranché la question au quotidien : l'arabe (littéraire et dialectal) et le berbère (le kabyle, le chaoui, le m'zabi et le targui), compte tenu des brassages séculaires, sont de rigueur depuis plusieurs siècles. Pour le reste, la langue française qu'une partie de l'élite utilise pour des raisons d'ordre scientifique et/ou culturel, que faire ? Admettre celle-ci comme un moyen d'expression (notamment en matière de recherches universitaires par exemple) et comme un moyen permettant un apport quant au développement scientifique, technique et technologique ? En tout état de cause, la réponse à cette question dépend de notre capacité d'Algérianophones, d'une manière générale, et du pouvoir et des arabophones et berbérophones, d'une façon particulière, à produire scientifiquement et culturellement des oeuvres en quantité et en qualité suffisante. A cet égard, le bilinguisme (arabe/français) apparaît circonstanciel ; le bilanguisme (arabe et amazighe) se révèle plutôt structurel. Aussi, il nous faut forger un appareil conceptuel à vocation culturelle et scientifique permettant l'affranchissement du moi national à l'égard de toute allégeance linguistique. A cet effet, la «bilinguisation» de la vie sociale et culturelle – au vu de notre volonté nationale et des résultats indigents fournis – ne saurait être regardée que comme palliatif nécessaire, mais dont l'échéance est inscrite dans le temps. Il est vrai que les nations puissantes agissant de plain-pied dans les décisions importantes de la communauté internationale (les Etats-Unis et l'Europe occidentale) ont leurs langues propres – parlées et écrites. Ces langues pouvant charrier d'ailleurs une idéologie de domination à divers titres : culturel, politique, diplomatique, économique, militaire et technologique... Au demeurant, les grandes nations ont une langue (voire des langues nationales), même lorsqu'elles veulent unir leur destin. Le cas de la CEE est plus que probant à cet égard. Il est vrai que les citoyens des pays modernes sont suffisamment alphabétisés et lettrés en grand nombre. Ils est constant également que ceux-ci parlent, écrivent et produisent dans le domaine littéraire (et, au-delà, dans les secteurs de la science et de la technologie) d'abord et essentiellement dans leur langue maternelle même quand ils ont deux ou plusieurs langues nationales. Beaucoup de nations civilisées ont deux ou plusieurs langues : Canada, Suisse et Belgique par exemple. A mon sens, l'Algérie est d'abord et avant tout algérianophone, c'est-à-dire arabophone et berbérophone. Que l'algérianité soit donc notre lieu d'expression où tous les auteurs peuvent se retrouver pour conjuguer leurs efforts en vue d'une culture nationale admettant le pluralisme linguistique et culturel à même de permettre à l'Algérie de s'intégrer dans le concert des nations dites civilisées. Changer la condition de nos mères, sœurs, épouses et filles Cette insoutenable condition a été imposée par le code de la famille de 1984. L'économie du texte est la suivante : la polygamie sous réserve, la tutelle matrimoniale à l'égard de la fille (même majeure), la prohibition du mariage avec un non musulman pour la femme, le divorce comme faculté exclusive du mari (la répudiation), l'interdiction de l'adoption (tempérée toutefois par le système de la kafala ou recueil légal), l'absence de statut pour la mère célibataire et le droit à la moitié des parts en matière successorale. A titre comparatif, le Tunisie s'est doté d'un code dès 1956. Certes, empreint de mimétisme dans ses principales dispositions et en avance bien évidemment sur les pratiques sociales, la modernité en fut le levain. Au plan juridique, le statut de la femme tunisienne apparaît nettement valorisant et valorisé. Reste que l'écart entre la théorie et la pratique doit être mesuré. L'exemple le plus éloquent, à cet égard, est relatif à la polygamie. Or, la sourate 4, verset 3 est claire : "Epousez donc celles qui vous seront plaisantes par deux, par trois ou par quatre; mais si vous craignez de ne pas être équitables, prenez-en une seule". La sourate 129 est tout aussi explicite : "Vous ne pourrez traiter équitablement toutes vos femmes, quand bien même vous le désireriez". Autre question d'importance : la filiation qui est établie par le mariage valide (article 40) ; quid alors des enfants extraconjugaux, ceux dits naturels (voire plus rarement adultérins ou incestueux) ? Quel est le statut et quels sont les droits de ces enfants ? Enfin, l'adoption est interdite par la chari'â et la loi (article 46) ; toutefois, le chapitre VII sur la kafala (recueil légal) règle autrement cette question en 10 articles. Ainsi, l'article 116 dispose que : "Le recueil légal (kafala) est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal". En matière de successions, le législateur algérien révèle sa capacité à adopter une législation compliquée alors qu'il lui est demandé de la simplifier. Pierre d'achoppement avec la société civile, le code de la famille datant de 1984 a été timidement réformé courant février 2005. Ainsi, parmi les nouvelles dispositions, le maintien de la polygamie assortie il est vrai du consentement de la première épouse (consentement vérifié par le juge). Cependant, il faut toujours à la femme un tuteur matrimonial pour le mariage même lorsqu'elle est majeure. Le cas échéant, ce rôle est assumé par le juge. S'agissant du mariage, la principale innovation concerne la suppression de la procuration à un tiers pour représenter l'époux et l'alignement de l'âge du mariage à 19 ans révolus pour l'homme et la femme. Concernant le divorce, l'époux est désormais tenu légalement d'assurer le logement à ses enfants mineurs avec la précision que l'épouse ne peut demander le divorce que dans des situations particulières, notamment pour infirmité sexuelle de l'époux, absence de plus d'une année sans motif valable, « pour toute faute morale gravement répréhensible établie...De même, l'épouse peut se séparer de son conjoint, sans l'accord de celui-ci, moyennant le versement d'une somme...En matière de successions, il n'y a pas de changement. A titre comparatif, le Maroc a également modifié sa Mudawana (code du statut personnel) de façon plus substantielle ; ainsi, il y a consécration de l'égalité des droits, suppression du tutorat, coresponsabilité parentale... Cependant, il semblerait que le nouveau texte souffre d'application eu égard notamment aux mentalités empreintes de traditionalisme, encore tenaces chez les Juges et une partie des citoyennes marocaines. Ainsi, à titre illustratif, sur les 2186 demandes de mariage précoce déposées, 2140 ont été acceptées ! (Cf. Jeune Afrique du 29.06.05). Toujours est-il que l'Algérie doit s'engager résolument dans la voie de la réforme en vue d'aboutir à une deuxième République. Pour la deuxième République algérienne ; ce, notamment en mettant fin au mythe de la « légitimité révolutionnaire », au populisme et au culte de la personnalité comme elle a semblé se départir de l'état d'urgence. Ce faisant, dépasser la stratocratie et congédier le « cercle des décideurs », réformer l'Etat et les institutions, permettre l'émergence de la société civile hors structures officielles, revoir la place de l'Islam dans la société algérienne, assumer notre algérianité et l'algérianophonie et briser l'insoutenable condition de nos mères, sœurs, épouses et filles. * Avocat auteur Algérien AlgerieNetwork