Par Ammar Koroghli Avocat. Auteur alg�rien Le pouvoir envisage des r�formes politiques, et ce, � un moment o� l��meute et la manifestation deviennent une donn�e incontournable du paysage politique. Il est vrai que l�Alg�rie ne saurait constituer une exception en la mati�re ; l�analyse de notre vie politique et constitutionnelle post- ind�pendance le r�v�le avec acuit�. Ainsi, la R�publique alg�rienne d�mocratique et populaire (RADP) a connu autant de Constitutions que de pr�sidents, tous ill�gitimes � mon sens. Tous ont essay� d�apprendre la coiffure sur nos t�tes d�orphelins. Nos princes ont fait leur principe premier de ce proverbe maghr�bin. Une donn�e majeure et permanente : l�emprise du chef de l�Etat sur toutes les institutions, titulaire d�impressionnants pouvoirs, alors qu�il a �t� promis au pays un Etat s�rieux et r�gi par une morale (proclamation du 19 juin 1965) ; en fait, nous avons eu droit � une triple d�pendance, technologique, alimentaire et culturelle. La Constitution et le pr�sident Ben Bella, civil appuy� par le FLN (alors parti unique) et la direction de l�Arm�e, a essay� le monocratisme partisan et l�autogestion pour quelques mois, sans lendemain. Il fut d�pos� par un coup de force, un certain 19 juin 1965, � raison du culte de la personnalit�. De la pr�tention � la l�gitimit� du pouvoir � l�institutionnalisation d�un pouvoir central avec, comme bras s�culier, l�Arm�e instrumentalis�e et l�Administration hypertrophi�e par la bureaucratie, de la strat�gie de d�veloppement industrialiste � l�endettement excessif et la triple d�pendance sus-�voqu�e ; il se caract�rise � tout le moins par son autoritarisme. La Constitution de 1963, plut�t qu�un texte supra-l�gal organisant les pouvoirs publics, refl�tait davantage une volont� politique dont la philosophie d�angle fut l�autogestion. L�institutionnalisation du parti unique (monocratisme partisan) et la personnalisation du pouvoir ont eu raison du projet de soci�t� v�hicul� par ce texte dont les dispositions essentielles furent arr�t�es par le BP du FLN d�alors et confirm�es par une conf�rence des cadres du parti, faisant ainsi un pied de nez � l�Assembl�e nationale constituante pourtant titulaire de la mission d��laboration de ce texte. Constitutions sur mesure Ensuite, � la faveur d�un coup d�Etat, il y eut Boumedie ne, colonel � la t�te d�un Conseil de la R�volution qui a tent� le socialisme sp�cifique ayant abouti � un capitalisme d�Etat p�riph�rique. Une forme de bonapartisme militaro-bureaucratique qui a verrouill� tout droit � l�expression � l�opposition dont certaines t�tes notoires, figures de proue du nationalisme alg�rien, furent retrouv�es inertes sur leurs lits de sommeil � l��tranger. Au plan politique, des officiers sup�rieurs occupent (ont occup�) depuis des postes importants : pr�sident de la R�publique, ministres, walis, PDG de soci�t�s nationales... La m�me situation a �t� suscit�e dans l��gypte du temps de Nasser dont nous continuons de cultiver le complexe. Et dont nous avons eu � suivre en live le destin qui se joue encore sous nos yeux� Le texte fondamental de 1976 fait pourtant de l�arm�e �le bouclier de la r�volution� et participant, � ce titre, �au d�veloppement du pays et � l��dification du socialisme�. D�sormais, sa seule mission est donc la d�fense nationale. Elle ne manqua pas, toutefois, d�assurer � plusieurs reprises une mission de sauvegarde de l�ordre public, t�che classique d�volue1988. Bendjedid, colonel successeur � la Pr�sidence et candidat unique du FLN �lu � plus de 99% des voix. C��tait le temps o� le ridicule ne tuait pas. Ce primus inter pares a mis en place une forme de �multipartisme� ayant abouti in fine � un syst�me de parti dominant et � un lib�ralisme d�brid� ayant contribu� � la constitution de fortunes diverses (financi�re, immobili�re et fonci�re). Nonobstant l�abolition de l�autorisation de sortie et l�importation des bananes, son r�gne se termina par une destitution pr�sent�e comme une d�mission en live. Parmi les points nouveaux, dans ladite loi, figurent la cons�cration du principe de la s�paration des pouvoirs, d�une part, et l�absence de r�f�rence � l�option socialiste, d�autre part. Pour m�moire, la Constitution de 1976 organisait le pouvoir en six fonctions : politique, ex�cutive, l�gislative, judiciaire, constituante et de contr�le. L�Alg�rie de 1989 devait s�acheminer vers une nouvelle logique politique : la construction d�un Etat qui reconna�t le caract�re pluraliste de la soci�t�. En effet, l�article 40 de la Constitution 1989, en son alin�a 1er, stipule que �le droit de cr�er des associations � caract�re politique est reconnu� avec pour corollaire l��conomie du march� en Alg�rie, s�inscrivant ainsi en faux par rapport � l�unanimisme en vogue jusque-l� et � l��conomie dirig�e par une technobureaucratie. En effet, l�article 1er de la m�me Constitution ne fait plus r�f�rence au socialisme, quoique l�article 8 fait �tat de �la suppression de l�exploitation de l�homme par l�homme�. L�Arm�e nationale populaire (ANP) n�est plus associ�e au projet de d�veloppement �conomique alg�rien. Elle se trouverait donc cantonn�e, � la lettre constitutionnelle, � une mission de �sauvegarde de l�ind�pendance nationale� et de �d�fense de la souverainet� nationale�. Cette Constitution consacre un chapitre aux droits et libert�s pour parler de �Droits de l�homme et du citoyen�. De la m�me mani�re, l�article 53 pr�voit la cr�ation d�un Conseil constitutionnel charg� de veiller au respect de la Constitution, tandis que l�article 129 stipule que �le pouvoir judiciaire est ind�pendant�. S�agissant du pr�sident de la R�publique � r��ligible � , l�article 71 indique que �la dur�e du mandat pr�sidentiel est de cinq ans�. Toutefois, cette disposition constitutionnelle a fait l�impasse sur le nombre de mandats � assumer par celui-ci, d�une part, et du nombre des candidatures � la pr�sidence de la R�publique, d�autre part. En effet, la logique de l�ouverture du syst�me politique vers le multipartisme alors devait d�boucher sur la r�solution de ces deux questions. La pratique politique n�a pas suivi cette volont� affich�e du constituant alg�rien. Il est � noter que l�article 85, en son alin�a 2, pr�voit la possibilit� pour le chef du gouvernement d��tre candidat � la pr�sidence de la R�publique, alors m�me que cette facult� n�est pas ouverte au pr�sident de l�Assembl�e nationale (article 84, alin�a 7). Ainsi, il appara�t bien que le pr�sident de la R�publique est bien le centre du pouvoir, comme il le fut dans le cadre de la Constitution de 1976. Premier magistrat du pays, il nomme et d�met le chef du gouvernement (article 111) qui est responsable devant lui (article 115) ; il l�gif�re concurremment au Parlement par voie d�ordonnances pendant les p�riodes d�intersessions de l�Assembl�e. La confusion des pouvoirs �tait alors � son comble ; le pr�sident de la R�publique est le secr�taire g�n�ral du parti unique et ministre de la D�fense nationale, o� il lui est loisible de placer ses hommes aux postes de commande et, notamment, l�affectation de ses partisans aux postes importants de l�ANP (� la t�te des R�gions militaires) et la mise � la retraite de certains officiers g�nants, le rattachement de la s�curit� militaire � la Pr�sidence et le remplacement au gouvernement des �politiques� par des technocrates lors de diff�rents remaniements minist�riels. Un v�ritable Etat d�exception. Sans rupture d�terminante, la Constitution de 1995 a eu tout de m�me le m�rite de consacrer sur le texte l�alternance au pouvoir par la limitation des mandats pr�sidentiels (deux quinquennats suffisent). En ce sens, l�histoire devra gr� au pr�sident Liamine Zeroual d�avoir tent� d�inscrire ce principe essentiel � la d�mocratie. La Constitution de 2008, tout en confirmant le pr�sident de la R�publique dans ses impressionnants pouvoirs, a effac� d�un trait de plume ce principe. Stratocratie et cercle des d�cideurs La stratocratie semble �tre la d�finition qui convient le mieux pour qualifier le syst�me politique alg�rien car domin� par l�arm�e et les �services� et, dans une moindre mesure, comme une oligarchie d�s lors qu�on a affaire � un pouvoir politique fond� sur la pr��minence de quelques personnes (le cercle des d�cideurs). Depuis 1999, force est d�observer que notre syst�me politique a plus que jamais besoin d��tre r�am�nag�. Cette r�alit� a toujours �t� occult�e. Ainsi, apr�s avoir laiss� pr�sager une vie politique sous-tendue par le multipartisme � certes insuffisamment structur� �, l��lection pr�sidentielle (avril 1999) n�a pas permis de consacrer des traditions politiques durables inspir�es de la d�mocratie en tant que nouveau concept soumis � l��preuve des faits. L�on se rappelle qu�apr�s une campagne �lectorale qui a vu plusieurs candidats se disputer la magistrature supr�me du pays, quasiment tous se sont retir�s de la comp�tition, estimant qu�elle �tait biais�e par le fait majeur que leur challenger �tait le candidat de l�arm�e (en tout cas, de la frange de sa direction, la plus influente dans la sph�re des d�cisions de la chose politique). Ce que l�on pourrait appeler le syndrome du candidat unique. En tout �tat de cause, le quinquennat de 1999 � 2004 a �t�, pour l�essentiel, consacr� aux probl�mes de la s�curit� du pays ; suite � l��lection pr�sidentielle d�avril 2004, le second mandat a vu une politique dite de la r�conciliation nationale ; mandat au cours duquel le pr�sident a annonc� des r�formes �conomiques, ce qui n�a pas emp�ch� l�apparition d�affaires politico-judiciaires : Bouricha, ex-wali de Blida, Khalifa, Banque commerciale et industrielle d�Alg�rie (BCIA), et tant de scandales financiers li�s tant�t au secteur des hydrocarbures comme principale valeur du pays, tant�t au secteur de l�immobilier et du foncier... Le Tr�sor public �tant g�r� comme une tirelire personnelle, selon les caprices des princes du moment, il est souvent mis � contribution pour effacer en catimini l�ardoise. ln fine, il est vrai que l�assassinat de Boudiaf a mis fin � une exp�rience politique dont beaucoup de citoyens attendaient un certain renouveau dans un climat de confiance r�elle ; la soci�t� civile a sans doute perdu l� une occasion de se structurer durablement face � toutes les d�rives du pouvoir qui demeure plus que jamais jaloux de son autoritarisme constitutionnalis�. Et pour cause, les principaux rouages de l�Etat (gouvernement, assembl�e, arm�e, partis...) sont exclusivement aux mains de la g�rontocratie, ce qui est suicidaire. Lacheraf a pu dire : �On s�obstine � relancer sur le march� politique les vieilles �lites corrompues, us�es et discr�dit�es.� Une partie de cette derni�re serait bien inspir�e si elle faisait valoir son droit � la retraite, sans attendre son cong�diement, signifi� au demeurant par la jeunesse du pays depuis au moins octobre 88. La ritournelle oppos�e, selon laquelle les jeunes n�auraient aucune exp�rience, est largement d�pass�e car, d�une part, cette m�me jeunesse (apr�s dix � quinze ann�es de pratique universitaire, administrative, judiciaire, politique, journalistique) s�est largement affranchie de cette critique utilis�e comme ruse factice et, d�autre part, une partie du personnel politique n�a plus rien � dire ni � apporter � l�Alg�rie, si ce n�est en toute probabilit� r�pondre de ses actes d�lictueux � voire criminels � ayant men� l�Alg�rie � des situations inextricables, tant au plan s�curitaire que politique. Que faire ? R�former d�urgence le syst�me politique? R�former pour mettre un terme au syst�me politique domin� par l�institution de la pr�sidence de la R�publique et la direction de l�Arm�e � souvent son alli�e principale � et une pens�e unique impos�e jusqu�au 5 octobre 1988, jusqu�au syst�me actuel de parti dominant (conglom�rat � plusieurs actionnaires politiques). Face � la quasi-absence de l�opposition sur la sc�ne confirmant le d�ficit d�mocratique en Alg�rie, il faut avoir l�audace de s�engager dans la voie de la r�forme du syst�me politique pour redessiner le profil des institutions politiques alg�riennes et red�finir les pr�rogatives de celles-ci, en vue d�asseoir un �quilibre des pouvoirs ; ainsi, il y a lieu de mettre un terme � un ex�cutif inutilement bic�phale, d�autant qu�il est manifeste que de la Constitution de 1963 � celle de 2008, les pr�rogatives d�volues � la fonction pr�sidentielle sont exorbitantes (les pouvoirs l�gislatif et judiciaire �tant des parents pauvres de la r�partition du pouvoir d�Etat entre les principaux acteurs politiques, et surtout inf�od�es au chef de l�Ex�cutif). L��quilibre des pouvoirs est une n�cessit� vitale pour �viter de s�enfermer dans un sch�ma d�autoritarisme caract�ris� et de m�pris affich� � l�endroit des autres institutions et du personnel politique, judiciaire et administratif ; ce, d�autant plus qu�il y a irresponsabilit� politique du chef de l�Etat. Ainsi, il y aura lieu de r�fl�chir � l�institutionnalisation d�un r�el contre-pouvoir au sein de l�Etat pour permettre une �mulation institutionnelle, synonyme d�une bonne sant� de la gestion du pouvoir (d�aucuns diraient gouvernance) et de saines d�cisions d�mocratiques pour �viter au pays de sombrer dans l�immobilisme parlementaire, voire dans la dictature pr�sidentielle. Pour le contre-pouvoir, le meilleur antidote ne peut �tre constitu� que par des organisations non gouvernementales g�r�es par des personnalit�s issues de la soci�t� civile, en ce qui concerne la veille quant aux droits de l�homme, la construction de l�Etat de droit, la libert� d�expression (presse et culture)... En ce sens, le Premier ministre (souvent d�sign� selon des crit�res de connivence politique, voire par compromis) n�est, somme toute, qu�un grand commis de l�Etat charg� d�une mission par le pr�sident de la R�publique sans aucune volont� politique et pr�rogatives autonomes. Peut-il en �tre autrement, d�s lors, notamment, que les titulaires des principaux d�partements minist�riels (D�fense, Int�rieur, Affaires �trang�res, Economie, Justice) sont souvent des hommes liges du pr�sident de la R�publique qu�il nomme pour leur all�geance � sa personne, en vue d�appliquer sa politique qui, faute d�opposition cr�dible, se r�v�le souvent contestable ? En la mati�re, la r�forme serait purement et simplement de gommer l�institution du Premier minist�re. Il me semble qu�il y a une dyarchie inutile. La pr�sence soutenue du pr�sident de la R�publique lors des Conseils des ministres, en vue d�asseoir des d�cisions d�ob�dience nationale, d�montre l�inutilit� de cette institution que l�on peut juger inefficace. En contrepartie, en qualit� d�expression de la l�gitimit� d�mocratique, le Parlement doit pouvoir b�n�ficier de pr�rogatives � m�me de lui permettre de contr�ler de fa�on efficiente la politique du gouvernement franchement dirig� par le pr�sident de la R�publique. Il s�agit l� d�un �l�ment structurant de la vie politique et constitutionnelle du pays, les ministres devant b�n�ficier d�une autonomie ind�pendante de la volont� pr�sidentielle, pour pouvoir mieux appr�cier les solutions � apporter aux secteurs dont ils ont la charge sous la vigilance du pr�sident, en sa qualit� de chef de l�Ex�cutif. L� aussi, on peut s�interroger l�gitimement sur l�existence d�une seconde Chambre. Pourquoi un bicam�ralisme l� o� une seule Chambre n�arrive pas � exercer le peu de ses pr�rogatives constitutionnelles (la mise en place de commissions d�enqu�te par exemple) ? La vie politique et constitutionnelle actuelle du pays s�apparente, par son caract�re r�cidivant, � du pr�sidentialisme o� le pr�sident de la R�publique croit avoir droit de vie et de mort sur la nation. Dans cette perspective, il para�t �vident qu�il existe en Alg�rie un d�ficit chronique en mati�re d��quilibre des pouvoirs, dans la mesure o� ce pr�sidentialisme, sorte de technologie constitutionnelle artisanale de pays encore riv�s au sous-d�veloppement politique, et ce, par la gr�ce d�une g�rontocratie qui n�a de grand qu�une rh�torique d�mesur�e et une attitude arrogante dont le populisme est le moindre mal. En effet, le syst�me politique alg�rien qui repose sur un d�s�quilibre institutionnel �tabli au profit du pr�sident de la R�publique, sans contrepoids r�el (si ce n�est en coulisses par les �d�cideurs politiques� qui demeurent ses bailleurs de pouvoir), doit pouvoir �voluer par l�existence d�un Parlement qui refl�te un pluralisme politique authentique, une magistrature ind�pendante, une presse libre et une soci�t� civile structur�e. Il y a l� une d�viation et une d�g�n�rescence du r�gime pr�sidentiel. Aussi, pour pr�venir des risques certains de l�autoritarisme et de l�arbitraire, les �l�ments sus-�voqu�s constituent le meilleur rempart afin de temp�rer les abus d�un Ex�cutif envahissant. Il est vrai, � cet �gard, que la soci�t� civile a �t� longtemps priv�e de son droit l�gitime � l�expression sous toutes ses formes, alors m�me qu�elle constitue par essence le vivier naturel pourvoyeur du personnel politique � m�me de d�cider du sort de l�Alg�rie. Le devenir de notre pays d�pend de r�formes politiques s�rieuses, ainsi que de la mise en place d�une politique �conomique et culturelle pertinente afin que nous n�ayons plus � d�pendre de la g�rontocratie gouvernante.