Elle est musulmane pratiquante, porte le voile et se définit comme « féministe convaincue ». Zahra Ali, doctorante à l'EHESS et à l'Institut français du Proche-Orient, explique qu'en raison de sa position elle affronte à la fois le dogmatisme de certains féministes occidentaux et celui des conservateurs musulmans. Elle publie par ailleurs un ouvrage collectif, « Féminismes islamiques », aux éditions La Fabrique. En France et ailleurs, on entend souvent dire que « les religions sont patriarcales »... Et il est certain que c'est le plus souvent de l'islam dont il est question, tant il est admis par le sens commun que « l'islam opprime les femmes ». En tant que musulmane pratiquante et féministe convaincue, j'aimerais que tout ceux qui nient la possibilité de mon existence commencent tout d'abord par se demander pourquoi penser que « l'islam est une religion patriarcale » leur paraît si évident ? D'où leur vient cette certitude selon laquelle l'islam – plus que toute autre religion – serait par définition inégalitaire et oppressif à l'égard des femmes ? La construction d'un islam archaïque et obscurantiste L'idée d'un l'islam archaïque, obscurantiste et réservant aux femmes le plus rétrograde des statuts est une construction. De nombreuses recherches, dont la plus connue est celle d'Edward Said [1], ont étudié la formation de cette image. D'où vient-elle ? Des ambitions colonisatrices européennes du XIXe siècle. En effet, pour les justifier, elles se présentaient comme des œuvres de « civilisations », passant par la nécessité de libérer « la femme musulmane » du carcan culturel patriarcal islamique. Les musulmans représentaient donc cet Autre à civiliser, dédouanant de fait les Occidentaux du patriarcat constitutif de leurs sociétés. » Il est plus simple, hier comme aujourd'hui, de montrer du doigt le sexisme de l'Autre plutôt que de regarder en face les inégalités qui règnent dans notre société, d'autant plus qu'en stigmatisant l'Autre pour son sexisme on se fait passer pour féministe. Cette même logique est à l'œuvre aujourd'hui et continue de justifier des logiques de stigmatisations, mais aussi des entreprises impérialistes d'occupation, comme en Afghanistan et en Irak. Il faut ainsi, lorsqu'on interroge « islam » et « féminisme », commencer par déconstruire ce qui nous semble évident et avoir conscience qu'on ne se questionne jamais par hasard. Nos questions sont le fruit de constructions socio-politiques qui n'ont pas toujours – rarement – de lien avec la réalité. La réalité justement, quelle est-elle ? Le féminisme musulman existe Le féminisme, dans sa formulation moderne, en tant que mouvement social, politique et intellectuel visant la remise en question du patriarcat, existe dans les sociétés musulmanes depuis aussi longtemps qu'il existe dans les sociétés occidentales. Ce féminisme musulman a pu aussi s'appuyer sur les textes religieux pour s'affirmer et se formuler en des termes appropries aux sociétés majoritairement musulmanes. En Egypte, en Irak ou ailleurs, le féminisme n'est pas nécessairement passé par une mise à distance du religieux, mais a pu se trouver renforcé par la pensée réformiste musulmane. Aujourd'hui, des musulmanes d'Orient et d'Occident comme moi ont entrepris une dynamique de relecture des Textes sacrés dans une perspective féministe et elles articulent leur lutte contre le patriarcat à l'héritage spirituel et intellectuel de l'islam. C'est notamment à partir du principe du Tawhid – monothéisme musulman – que je pose l'égalité comme fondement de la religion musulmane : devant le Créateur, toutes les créatures sont égales et toute domination serait une appropriation d'un attribut du Créateur. De même, j'affirme, Coran à l'appui, que le péché originel, ainsi que toutes les traditions comme celles présentant Ève comme issue de la côté d'Adam et comme l'auteure du premier péché, n'existe pas en islam. Ainsi, cette conception du féminin, qui a été dans la tradition chrétienne un instrument du patriarcat, n'a aucune existence dans la tradition musulmane. Décoloniser le féminisme hégémonique Je considère que ce sont bien les grilles de lectures patriarcales et misogynes des hommes à travers l'histoire qui ont dénaturé l'essence égalitariste et libératrice de l'islam et que les Textes sacrés, en eux-mêmes, ne sont pas essentiellement porteurs de sexisme et de machisme. J'appelle, comme les premiers réformistes musulmans, à un retour aux sources scripturaires de l'islam, et à une réforme profonde de sa jurisprudence pour garantir l'égalité à l'intérieur du cadre religieux musulman. Le féminisme islamique que je défends pose ainsi la nécessité de décoloniser le féminisme hégémonique. Je ne conçois mon engagement féministe que dans une perspective anticoloniale et antiraciste, mais aussi ancrée dans un héritage spirituel et intellectuel qui considère le religieux comme un levier possible d'émancipation. En affirmant tout cela, je me confronte ainsi aux dogmatismes de celles et ceux qui opposent de manière essentialiste islam et féminisme, qu'ils soient « féministes » occidentaux ou conservateurs musulmans. Le combat est double pour moi : lutter contre le racisme et l'héritage colonial de la pensée dominante et du féminisme majoritaire en France, et lutter à l'intérieur du cadre musulman pour une réhabilitation de l'héritage égalitariste des Textes sacrés et pour une réforme de fond de la jurisprudence musulmane établie. [1] Edward Said, « L'Orientalisme. L'Orient crée par l'Occident », publié en 1978 Par Zahra Ali