Confrontée à des bouleversements qui ont abouti, tout autour de ses frontières, à la chute de régimes ou à l'arrivée au pouvoir de partis islamistes, l'Algérie va subir à son tour l'épreuve des urnes avec des élections législatives prévues en avril 2012. Cette même année, le plus grand pays du Maghreb fêtera le cinquantième anniversaire de son indépendance. Un rendez-vous double, qui devrait le placer au centre de toutes les attentions. Jusqu'ici, malgré des explosions de colère récurrentes mais dispersées, l'Algérie est parvenue à contenir le vent de révolte qui souffle dans le monde arabe. Après les violentes émeutes de janvier 2011 sur tout le territoire, provoquées par l'augmentation du prix des denrées alimentaires et qui ont abouti à la mort de cinq personnes, le président Abdelaziz Bouteflika, élu à trois reprises depuis 1999, a levé l'état d'urgence en vigueur depuis dix-huit ans. Une partie de la rente pétrolière a été redistribuée, sous la forme notamment d'augmentations de salaire, et des réformes politiques ont été annoncées : ouverture de l'audiovisuel au secteur privé et aménagement du code de la presse, instauration d'un quota pour les femmes dans les élections, lutte contre la corruption - à la veille de la Journée mondiale des Nations unies consacrée à ce sujet, le 9 décembre, un décret signé par le chef de l'Etat a donné naissance à l'Office central de répression de la corruption -, loi sur les partis politiques... Une dizaine de formations attendent ainsi, parfois depuis une dizaine d'années, leur légalisation. Mais la loi sur les partis qui vient d'être adoptée le 6 décembre 2011 par l'Assemblée nationale algérienne, dominée par le Front de libération nationale (FLN), l'ex-parti unique, vise essentiellement à empêcher le retour sur le devant de la scène politique du Front islamique du salut (FIS), dissous en 1992. Le texte interdit à toute personne "responsable de l'exploitation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale (ainsi nomme-t-on en Algérie la guerre civile des années 1990-2000) de fonder un parti politique ou de participer à sa création". Il barre la route à quiconque a "participé à des actes terroristes et refuse de reconnaître sa responsabilité dans la conception, la préconisation et l'exécution d'une politique prônant la violence contre les institutions de l'Etat". Ce verrouillage, dénoncé par beaucoup comme l'unique but de cette loi, pris dans la foulée du succès des partis islamistes en Tunisie, en Egypte ou au Maroc, sera-t-il efficace ? Divisés, fragilisés par les années de violence, les islamistes algériens n'en sont pas moins très présents dans la société. Après la concorde civile de 1999, promise par le président Bouteflika, puis la Charte de réconciliation nationale approuvée en 2005 par référendum, qui a abouti à une amnistie partielle, beaucoup se sont réinsérés dans le commerce. Une partie, parmi les radicaux, n'a cependant pas renoncé à jouer un rôle, comme Abdelfattah Zeraoui Hamadache, prédicateur notoire, sorti de prison en 2003, qui envoie régulièrement des communiqués pour réclamer des réformes, afin que ses pairs puissent librement exercer une activité politique. En sa présence, dès le mois de mai, Hachemi Sahnouni, l'un des cofondateurs du FIS, confirmait au Monde cette volonté : "Pas forcément sous forme d'un parti, soulignait-il, car ce que je vois des "révolutions arabes", c'est qu'aucune n'a été organisée par un parti." L'ex-FIS, qui se heurte à l'opposition farouche de l'armée algérienne, a relancé ses réseaux à travers toute l'Europe. Et c'est de l'étranger que tente désormais de s'organiser l'opposition au régime algérien. En septembre 2011, après une première tentative avortée en juin, la chaîne satellitaire Rachad TV a commencé à émettre depuis Londres. Dirigé par une coalition d'opposants, dont Mourad Dhina, ancien responsable du bureau exécutif du FIS au début des années 2000 et résidant actuellement en Suisse, le site Internet de Rachad critique vivement le pouvoir algérien. Il publie des slogans ("Généraux, dégagez du pouvoir !"), appelle à la désobéissance et livre des conseils de comportement non violent dans les manifestations, calqués sur ceux des altermondialistes lors des grands sommets internationaux. "La Tunisie a été le déclencheur du "printemps arabe", cela pourrait être un très bon exemple pour l'Algérie", déclarait au mois de décembre Abdullah Anas, membre du FIS, cité par l'agence Reuters. Abou Djara Soltani, chef du Mouvement de la société pour la paix (MSP), parti islamiste modéré membre de l'alliance présidentielle et représenté par quatre ministres dans le gouvernement, a réagi en appelant, début décembre 2011, à une réunion de la mouvance islamiste algérienne dans la perspective des élections de 2012.