"Ma génération a fait son temps." C'est par cette phrase, répétée à trois reprises, qu'Abdelaziz Bouteflika, président algérien depuis 1999, a encouragé mercredi les 21 millions d'électeurs à se déplacer en masse pour élire leur nouvelle Assemblée nationale. Un an après avoir réussi à étouffer les assauts du Printemps algérien, à coups de gourdin et d'augmentations de salaire, le chef d'Etat algérien compte bien achever sa "transition démocratique" en organisant des élections législatives "exceptionnelles", censées finaliser la vague de réformes démocratiques annoncées en 2011. Elles devraient pourtant se heurter à une abstention record, symbole d'une jeunesse totalement coupée de sa classe politique. "Ce n'est pas en augmentant ponctuellement les salaires que l'on bâtit un projet politique", déplore le chercheur Kader Abderrahim (1). "En cinq ans, la situation n'a fait que se dégrader pour les Algériens. Le pétrole et le gaz, abondants dans le pays, permettent à quelques dizaines de familles d'acheter la paix sociale et de se maintenir en place au pouvoir depuis cinquante ans. Pendant ce temps, l'Algérie demeure le pays le moins diversifié économiquement au monde." "One, two, three, je n'irai pas voter" Totalement oubliée des réformes présidentielles, la jeunesse algérienne, qui constitue les deux tiers du pays, semble avoir raté son "printemps". Pourtant, d'après la spécialiste Amel Boubekeur (2), les jeunes Algériens seraient loin d'avoir abdiqué. "La révolte n'est pas terminée en Algérie", explique la chercheuse. "Il n'existe pas une semaine où on ne s'immole pas. Pas un jour où une grève n'a pas lieu." Conscients que l'indifférence générale affichée durant la dernière décennie joue en faveur du pouvoir, mais paralysée par l'omniprésence de l'appareil sécuritaire, la jeunesse algérienne a désormais opté pour un mouvement de résistance civile. Animée par de jeunes indépendants, des militants des droits de l'homme, ou encore des collectifs de chômeurs, la campagne exhorte la population, sur Facebook ou sur les murs du pays, à boycotter le scrutin. Dans les stades de football, le traditionnel chant de supporter "One, two, three, viva l'Algérie" est détourné en "One, two, three, je n'irai pas voter". "Dans le cadre ultrasécuritaire en vigueur en Algérie, ces actes sont considérés comme particulièrement braves", note Amel Boubekeur. "Si l'Etat d'urgence a été levé en février 2011, il est toujours interdit de sortir manifester." "Un devoir religieux" Face à cet élan frondeur, le gouvernement joue la contre-offensive. À la télévision, à la radio ou par SMS, les ministres ne cessent d'appeler les électeurs à s'exécuter, usant de méthodes plus ou moins licites. Pour le ministre algérien des Affaires religieuses, le vote serait ainsi "un devoir religieux". De son côté, le Premier ministre Ahmed Ouyahia affirme que le Printemps arabe n'est que "l'oeuvre du sionisme et de l'Otan", avant de brandir la menace d'un scénario à la libyenne en cas de boycott. Mais Alger sait aussi employer la manière forte. Depuis un mois, chômeurs, militants et enseignants algériens sont victimes d'un vaste coup de filet sécuritaire mêlant arrestations et enlèvements. Dernière victime en date, l'activiste Tarek Mameri, chômeur de 23 ans, kidnappé en plein centre d'Alger le 1er mai dernier pour avoir appelé au boycott sur les réseaux sociaux. "Les Algériens sont aujourd'hui face à un dilemme", explique Amel Boubekeur. "Soit ils prennent le risque de subir la répression, soit ils intègrent les rouages de la corruption." Certains ont déjà fait leur choix. Alger voit se multiplier ces derniers mois, au vu et au su de tous, des parkings clandestins, tenus par de jeunes gardiens de fortune n'hésitant pas à racketter les automobilistes pour empocher quelques billets. Islamistes domestiqués Outre l'ampleur de l'abstention, l'autre vraie interrogation des législatives reste le score qu'obtiendront les islamistes. Inspirés par les succès de leurs confrères dans les pays voisins, trois partis islamistes ont formé une redoutable coalition appelée le mouvement Algérie verte. Principale formation de cette alliance, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) espère profiter du désamour populaire envers le parti historique du Front national de la libération (FLN), dont est issu le président Bouteflika. Ainsi, son chef, Bouguerra Soltani, se dit "certain" de sa victoire, "que ce soit par K.-O. ou par les poings". Pourtant, à la différence de la Tunisie ou de l'Egypte, le MSP participe au pouvoir depuis 2007, avec quatre ministres au gouvernement. "Ces islamistes sont totalement domestiqués", souligne Kader Abderrahim. "L'important pour eux est de continuer à exister, et participer ainsi à la répartition des richesses du pays." Grand vainqueur des législatives en 1991, un autre parti islamiste, le Front islamique du salut (FIS), opposé, lui, au système en place, avait vu sa victoire confisquée par l'armée, ce qui avait plongé le pays dans une sanglante guerre civile, qui a fait au moins 150 000 morts. Vingt ans plus tard, l'ancien FIS, désormais dissous, est interdit en Algérie. Exilés à l'étranger, ses anciens responsables ont tenté, en vain, de surfer sur le Printemps algérien, en prônant un travail d'alliance avec les différentes forces d'opposition. L'un de ses leaders, Mourad Dhina, a été arrêté en janvier 2012 en France, suite à un mandat d'arrêt international émis par les autorités algériennes. Il pourrait être extradé à tout moment en Algérie. Pour Amel Boubekeur, "c'est vers l'Occident qu'Alger brandit la question islamiste, afin d'asseoir sa légitimité". "En cooptant les islamistes autorisés (le MSP), le pouvoir veut faire croire à la victoire d'un système pluraliste", ajoute la chercheuse. "Jamais le régime algérien n'a subi de pression occidentale pour mener de vraies réformes", renchérit Kader Abderrahim. "Le pays est un interlocuteur régional trop incontournable." Click here to find out more! Par Armin Arefi (1) Kader Abderrahim, chercheur associé à l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques), spécialiste du Maghreb et de l'islamisme, et maître de conférences à Sciences po Paris. (2) Amel Boubekeur, chercheuse en sociologie à l'Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales), et à l'ENS, spécialiste de la politique algérienne.