PARIS - Après une longue période de censure sur le sol français le film "Octobre à Paris" de Jacques Panijel a enfin été projeté samedi soir à Paris, à la faveur de la commémoration de la répression sanglante perpétrée par les forces de police du préfet Maurice Papon contre des milliers d'Algériens sortis manifester contre le couvre-feu discriminatoire qui leur a été imposé et pour l'indépendance de l'Algérie. Entrepris clandestinement peu avant la fin de la guerre de libération nationale, avec l'accord de la Fédération de France du FLN, mêlant reconstitution des massacres, témoignages poignants des dizaines de victimes de la répression féroce, plans des bidonvilles de Nanterre "La Folie", du centre de torture de la rue de la Goutte-d'Or, ainsi que de stupéfiantes photos prises par le photographe Elie Kagan, "Octobre à Paris" retrace la préparation et le déroulement de ce grand rassemblement pacifique où des milliers d'Algériens ont été sauvagement massacrés sous l'autorité de Maurice Papon. Les historiens évoquent des milliers d'arrestations, des dizaines d'assassinats, des manifestants jetés dans la Seine, des centaines d'expulsions et autant de plaintes restées sans suite. Premier film documentaire sur les crimes policiers perpétrés au coeur de Paris contre une manifestation non- violente, "Octobre à Paris" a été financé avec les fonds du Comité Audin, un collectif d'intellectuels français, signataire en 1960 du Manifeste des 121 artistes et intellectuels français pour le droit à l'insoumission en Algérie et dont Jacques Panijel, biologiste et chercheur au CNRS, était le cofondateur aux côtés de Pierre Vidal Naquet et le mathématicien Laurent Schwartz. Tourné à la fin du mois d'octobre 1961, il a été censuré dès 1962 et Jacques Panijel menacé de poursuite. La fin de la guerre de libération n'a pas pour autant conduit à la levée de l'interdiction qui pesait sur le film : la police intervenait dans les cinémas où il était projeté lors de séances privées, pour confisquer les bobines. "C'est seulement en 1973 que la situation s'est débloquée, explique le cinéaste Mehdi Lallaoui lors du débat, qui a suivi la projection. On pourrait comprendre que l'acharnement policier ait pu exister en 1962, mais malgré la fin de la guerre d'Algérie, ce film a été poursuivi par la vindicte policière". "Que dans une société démocratique on arrive à interdire la projection de films et dissuader les spectateurs de venir est tout de même renversant", a-t-il dit, ajoutant que chaque fois que ce film était programmé, "il y avait des incursions policières dans les salles pour intimider les gens et tenter de voler les bobines". "Après la grève de la faim du cinéaste et ancien résistant René Vautier qui s'était engagé à présenter le film sous l'étiquette de son unité de production "Cinéma Bretagne" pour lui éviter une censure, le film a obtenu son visa d'exploitation, il pouvait enfin être montré. Son réalisateur s'était cependant opposé à une diffusion : "le film avait vieilli, la France avait changé, et il réclamait d'ajouter au documentaire, une préface filmée qui poserait le contexte de l'époque ûet le projet fut abandonné" a-t-il expliqué. C'est après le décès de Jacques Panijel en 2010 que la société de distribution Les Films de l'Atalante a négocié la diffusion d'Octobre à Paris avec les ayants droit. Auteur d'un documentaire consacré aux évènements du 17 octobre 1961 (Le Silence du fleuve), Mehdi Lallaoui a lui-même réalisé la préface du film, "A propos d'octobre", un court métrage de 15 mn où des écrivains, historiens et témoins du drame se sont succédé pour expliquer le contexte de l'époque, "remettre en perspective la guerre d'Algérie et ce déchaînement de haine raciste qui s'est abattu sur les manifestants", a souligné le réalisateur de la préface. "Beaucoup d'archives ont disparu, les plaintes déposées ont été rejetées. Ce que nous demandons, c'est une reconnaissance officielle de la responsabilité de l'Etat. L'effort de mémoire doit être politique désormais", a souligné Mehdi Lallaoui. "Ce film dit la vérité sur la répression policière inouïe de cette manifestation, a souligné pour sa part l'historien Gilles Manceron, lors du débat, citant les historiens anglais qui ont affirmé que "c'est la plus importante des manifestations dans toute l'histoire contemporaine de l'Europe ayant fait le plus de victimes et qui fait l'objet d'une répression terrible".