ALGER - Les éléments constituant la domination des peuples tels que présentés et expliqués dans l'oeuvre de Frantz Fanon, il y a plus d'un demi siècle, sont "encore extrêmement présents" aujourd'hui, même si la domination a changé de nature, a observé mercredi à Alger Mireille Fanon-Mendès France, fille du célèbre penseur et présidente de la Fondation Frantz-Fanon. "Nous sommes à un moment où le monde dans sa globalité est soumis à des formes nouvelles de colonisation mais touchant, cette fois-ci, l'ensemble des peuples. Ce que disait Fanon sur les mécanismes de la domination des peuples sont extrêmement présents, cinquante années après sa mort", a dit Fanon-Mendès France dans un entretien à l'APS, en marge du colloque sur Frantz Fanon. La pensée "fanonienne" sur la colonisation et l'aliénation et qui s'adresse à tous les peuples sous domination quelle que soit la nature de celle-ci, est encore "vivante" et "pertinente", estime Mireille Fanon, elle même militante dans le sillage de l'auteur des "Damnés de la terre". "Le monde actuel est caractérisé par toutes sortes de domination, économique, politique, sociale et religieuse", dit-elle. La domination, explique-t-elle encore, est toujours à l'£uvre : "Nous sommes tous dominés par la loi du marché. Certaines nations sont dominées par des partis uniques ou religieux. La France, par exemple, est dominée par une pensée raciste et xénophobe. En somme, cinquante années après les indépendances arrachées par un mouvement général de libération des peuples, nous sommes tous dominés d'une façon ou d'une autre". Le monde actuel étant marqué, selon elle, par des velléités de "re-colonisation qui touche l'ensemble des peuples y compris les Occidentaux", dominés par la mondialisation, Mme Fanon-Mendès France voit dans l' "universalité" de la pensée de Fanon, une "source d'inspiration et (une) référence pour les femmes et hommes qui se battent contre la domination et l'aliénation des peuples et pour imposer le respect des leurs droits humains. Aussi, dit la militante, il serait "inconcevable" d'enfermer Fanon dans un combat anti-raciste et de psychiatre engagé, en le limitant à l'Algérie, au Maghreb ou à l'Afrique, car son combat a été mené pour assurer l'émancipation de l'homme quelles que soient ses origines, d'où le souci de la Fondation Fanon qu'elle préside, a-t-elle insisté, d'£uvrer dans la ligne de la "mondialité" de la pensée et de l'héritage intellectuel de Fanon. Toute la pensée que Frantz Fanon est axée sur la mise en corrélation des mécanismes de l'aliénation et de la colonisation par laquelle l'auteur de "Peau noir, masques blancs" a réussi à articuler tout son travail de médecin, de journaliste, de militant engagé, de penseur et d'écrivain, rappelle sa fille. Interrogée sur ce que représente, à ses yeux, l'inscription du nom de Frantz Fanon dans le recueil des célébrations officielles en France, elle a regretté que "la France officielle n'a rien organisé en hommage à Fanon", tout en faisant remarquer que la célébration du cinquantenaire de la mort de celui qui est souvent présenté comme "le théoricien de la révolution algérienne" relevait de la seule initiative d'associations et d'organisations indépendantes. "La France politique, institutionnelle, gouvernementale, a un véritable problème de reconnaissance de Frantz Fanon, car il s'est engagé aux côtés du peuple algérien dans sa lutte pour l'indépendance. Je pense que c'est ce qui explique que rien n'a été fait officiellement en France sur Fanon", a-t-elle dit. Alors que son oeuvre est occultée depuis cinq décennies en France où elle se trouve confinée dans les cercles universitaires et académiques, le ministère français de la Culture a tout de même inscrit le nom de Frantz Fanon dans le recueil des différentes célébrations officielles en France pour 2011. Invitée à s'exprimer sur l'idée de la criminalisation du colonialisme, Mme Fanon-Mendès France a affirmé : "Il y a eu des +crimes de guerre+ commis sous le colonialisation en Afrique, au Maghreb, au Vietnam, pour ne citer que ces exemples. Ces crimes condamnables doivent être punis, autant qu'il doit être rendu justice à leurs victimes". "Les crimes coloniaux doivent aussi être dénoncés et les responsabilités assumées pour qu'enfin des relations apaisées soient établies entre les pays, a-t-elle ajouté, tout en doutant de "la volonté politique et du devoir de justice face à la puissance des rapports d'argent et de pouvoir... ". Juriste de Formation et membre depuis 2010 du groupe d'experts sur les personnes d'ascendance africaine au Conseil des droits de l'Homme à l'Onu, Mireille Fanon-Mendès France est présente à Alger où elle prend part à un colloque de deux jours sous le thème "Frantz Fanon, aujourd'hui", organisé par le ministère algérien de la Culture, le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (Cnrpah), l'Agence algérienne de rayonnement culturel (Aarc), la Bibliothèque nationale d'Algérie et le centre national des archives. Depuis 2007, elle préside la Fondation Frantz-Fanon, une organisation "positionnée en réseaux (Antilles, Etats-Unis, Amérique latine, France-Europe, Moyen-Orient, Afrique de l'Ouest et Afrique de l'Est, Asie), oeuvrant à perpétuer l'oeuvre et la pensée de Frantz Fanon dans le monde.