C'est parce que Frantz Fanon était un homme exceptionnel qu'un colloque est consacré à sa pensée et son œuvre, les 7 et 8 juillet à la Bibliothèque nationale du Hamma. Militant anticolonialiste, Frantz Fanon est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste. Le penseur engagé qu'il était a, sa vie durant, cherché à analyser les conséquences psychologiques de la colonisation sur le colon et sur le colonisé. Dans l'ensemble de ses livres, il s'est efforcé d'analyser le processus de décolonisation sous les angles à la fois sociologique, philosophique et psychiatrique. Il a, en outre, consacré de nombreux écrits au métier de psychanalyste. Au cours de la séance inaugurale du colloque, la ministre de la Culture, Khalida Toumi a souligné que cette rencontre scientifique « contribuera dans une très grande mesure à montrer que de nombreux aspects des travaux de Frantz Fanon peuvent aider à éclairer et à analyser des situations cruciales auxquelles l'Afrique est aujourd'hui confrontée ». « Les études consacrées à Fanon ou inspirées de sa pensée se multiplient dans le monde entier. Ce colloque contribuera à apprécier des études ''fanoniennes'' et à ouvrir de nouvelles pistes de recherche dans ce domaine », dira-t-elle. Pour la journée d'hier, d'éminents écrivains issus du Maghreb, des Antilles et d'Afrique noire se sont succédé à la tribune pour présenter plusieurs facettes de l'œuvre ''fanonienne''. Olivier Fanon s'est dit ému de participer à un colloque d'une telle envergure. « Un pays qui a donné des sueurs froides à tous les contemporains de papa. Je n'ai pas l'intention de disséquer l'œuvre de Fanon. Je suis pétri dans le moule des années 60. » Algérien jusqu'au bout des ongles, Olivier Fanon se rappelle que son père est mort alors que lui était âgé à peine de six ans. Il a suivi sa scolarité au lycée Amara Rachid de Ben Aknoun. Si les œuvres de son père sont toujours d'actualité, il estime cependant que la pensée de Fanon n'est la propriété de personne. « J'ai constaté qu'il y avait une volonté de récupération de l'autre côté de la Méditerranée. Ce que je dénonce. » Dans son argumentaire, Mireille Fanon-Mendès, -la fille de Frantz Fanon- a, dans son intervention relative à son père et l'évolution de la relation dominants-dominés, expliqué que l'extension mondialisée du modèle socio-économique néolibéral est symétrique, convergente, concomitante à la violence structurelle qui l'accompa- gne : guerre d'agression contre les peuples, remise en cause et destruction de la protection des droits humains, banalisation du racisme dans les pays développés sous de nouvelles formes. « Face à la recolonisation du monde, les dominés réagissent de plus en plus aux coups des dominants et s'organisent pour reconquérir leurs droits, faire prévaloir d'autres valeurs telles que la solidarité entre les peuples, la coopération, le droit au développement. » Dans son exposé portant sur l'actualité de Fanon dans le monde d'aujourd'hui, la psychanalyste Alice Cherki estime que la pensée anticipatrice liant libération subjective, culturelle et politique n'est plus à démontrer car elle s'inscrit en rupture avec les pensées politiques, sociologiques et même psychiatriques de son temps. Selon elle, « pour résister à l'air du temps présent où les formes nouvelles de domination ne cessent d'entraîner politique sécuritaire ethnicisation des conflits, régression culturelle et assujettissement des individus, il faut faire revivre cette résistance à la lumière de la conception, souvent oubliée de Fanon, de la culture comme mutation sociale vers un nouvel universalisme ». L'universitaire Ali Benali Zineb considère que Fanon reste un ouvrage de piste. Fanon est celui qui est parti physiquement et moralement des Antilles pour réussir son passage d'Afrique. Elle avance que la pensée de Fanon dépasse le cadre de la domination coloniale pour ouvrir une réflexion plus large. « Cela est inconcevable aujourd'hui que des écrivains et que des penseurs comme Edouard Glissant, Homi Bhabha ou Achille Mbemebe se sont nourris de la démarche de Frantz Fanon et l'ont prolongée. Poétique et politique, cette pensée est toujours d'actualité », explique-t-elle.