L'historien spécialiste de l'Algérie, Benjamin Stora, a plaidé lundi pour une démarche qui consisterait plus à faire reconnaitre à la France ses crimes coloniaux qu'à privilégier un discours politique, général de dénonciation du système colonial, mais sans lendemain. "Je plaide davantage pour ce type de démarche que sur des démarches idéologiques abstraites, mais pas historiques, de dénonciations qui, quelque fois, sont prononcées pour tomber dans l'oubli le lendemain", a-t-il dit, lors d'une rencontre sur l'Algérie 50 ans après l'indépendance, organisée à l'institut de Sciences Po à Paris par l'Association étudiante Sciences Po Monde Arabe. L'historien faisait allusion au discours prononcé par l'ex-président français Nicolas Sarkorzy en décembre 2007 à Constantine dans lequel il fustigeait, quelques mois après son élection, l'injustice et la cruauté du système colonial, avant de recevoir, le soir même, à l'Elysée des associations de Pieds-Noirs nostalgiques de l'Algérie française, et de Harkis (supplétifs de l'armée française). "Ce discours s'est évaporé le jour même et les discours très généraux de dénonciation du système colonial, il y en a eu bien avant lui", a-t-il relevé, invitant à réfléchir sur un deuxième axe fait de "choses concrètes". "Quand je dis choses très concrètes, je pense à ce qui s'est passé pendant la guerre d'indépendance de l'Algérie : les essais nucléaires au Sahara, utilisation du Napalm dans le nord constantinois, l'assassinat de Maurice Audin, des choses évidentes, très accessibles sur lesquelles à la fois les historiens et les hommes politiques peuvent demander par exemple une déclassifiecation des archives, et savoir ce qui s'est passé exactement", a-t-il dit. Pour l'auteur de la Grangère et l'oubli, il s'agirait de produire un récit français qui consisterait à reconnaitre ce qui s'est passé au temps de la colonisation, qui permettrait de lever les hypothèses, de lever les problèmes existant entre la France et l'Algérie depuis maintenant plusieurs années. A la question qui s'est lui-même posée de savoir si cette démarche de réparation et de reconnaissance française des exactions commises au temps de la colonisation ne participerait pas d'une volonté de "légitimer" l'Etat algérien d'aujourd'hui dans sa nature et son fonctionnement, il a rappelé la nécessité de se référer aux expériences qui existent au plan mondial. Il a évoqué, pour étayer ses propos, le différend, mémoriel notamment, entre la Chine et le Japon. "S'il faut attendre que la Chine devienne un Etat de démocratie, qui se débarrasse du parti communiste chinois, pour enfin on reconnaisse les cruautés commises en Manchourie, je crois qu'on risque d'attendre très longtemps à ", a-t-il ironisé. Tout en relevant que la question mémorielle est devenue "presque un préalable" dans les relations économiques et politiques entre l'Algérie et la France, l'historien a évoqué une "séparation" des récits historiques entre l'Algérie et la France, concernant l'ère coloniale. "D'un côté, l'accent est mis sur la fin de la guerre, qui se traduit par des massacres épouvantables, dans les trois derniers mois de la guerre, et qui constitue la Matrice centrale décisive du discours français d'aujourd'hui, et du côté algérien, le récit s'enferme de plus en plus sur les origines de cette guerre, et, donc, de l'histoire coloniale, dans sa longue durée", a-t-il analysé. Pour le professeur des universités, ces deux récits historiques qui se font concurrence, aboutissent à une ½ séparation » des récits et à une difficulté de construire un "écrit commun". Dans un entretien paru récemment dans la presse, il avait estimé qu'avec l'Algérie le président François Hollande doit faire des "gestes d'apaisement mémoriel", affirmant que la question de la mémoire est un préalable pour éviter toute accusation de pratiques "néo-colonialistes".