La bande dessinée algérienne, doyenne du 9ème art africain et arabe, a eu un passé prestigieux quoique trouble, s'accordent à dire des bédéistes, toutes générations confondues, qui affichent cependant un optimisme mesuré sur l'avenir de cet art en Algérie. Comme tout art, la BD a connu un retard attribuable à plusieurs facteurs : la décennie tragique du terrorisme, le nombre réduit d'éditeurs spécialisés et le "scepticisme" des éditeurs généralistes, à en croire certains bédéistes interrogés lors du 5ème Festival international de la bande dessinée d'Alger (Fibda). Outre le Fibda qui, selon les orateurs, est un évènement louable à travers lequel Alger est devenue une plaque tournante de la bande dessinée pour tout le continent africain, la multiplication de ce genre de rencontres et leur décentralisation, notamment, est fortement recommandée dans la perspective d'une relance "concrète" et à long terme. Haroun, créateur du personnage de "M'quidech" à la fin des années 1960, estime que les éditeurs devraient se montrer plus disponibles envers les bédéistes afin d'éviter la déperdition de talents dont certains ont dû abandonner leur vocation première pour se lancer dans la caricature de presse, a-t-il rappelé. A son avis, le parcours de la bande dessinée algérienne de l'indépendance à ce jour se présente en "dents de scie", au regard de l'"instabilité" qui la caractérise. Partageant cet avis, son confrère, Mahfoud Aïder, qui signe "Aladin", considère que la "seule avancée notable du 9ème art en Algérie est la création d'un Festival qui lui est consacré, appelant à diversifier les rencontres sur la bande dessinée tout au long de l'année et dans tout le pays. Sortir la BD du statut de "sous-culture" Relevant l' "engouement" pour le 9ème art chez les plus jeunes, Aïder souhaiterait voir les éditeurs algériens —plus de deux cents actuellement—, s'investir davantage dans la BD et réfléchir au soutien financier à lui apporter pour aider les jeunes talents, nombreux selon lui, à s'exprimer afin que cet art à part entière ne soit plus considéré comme une "sous-culture", dit-il. De même, Djilali Beskri, producteur et réalisateur de films d'animation et ancien bédéiste, estime que l'édition de la BD en Algérie "n'est pas encore une tradition bien installée", alors même qu'elle vient "en complément à l'école, au service de l'apprentissage des langues et du développement de l'imaginaire (de l'enfant)...". Pour ce bédéiste, les éditeurs sont appelés à prendre en compte l'ancrage de la BD qui "s'affirme d'année en année" depuis la première édition du Fibda, pour éviter de perdre cet "important potentiel" comme ce fut le cas au début des années 1990 qui ont marqué le déclin de la BD algérienne après l'"effervescence" remarquable des années 1980, tient-t-il à rappeler. Beskri se rappelera avec nostalgie le tout premier festival de la bande dessinée, organisé en 1985 à Bordj El Kiffan avant de disparaître à son troisième essai. Si, pour lui, le Fibda contribue à la promotion des jeunes bédéistes, parmi eux les valeurs sûres de la BD algérienne, il reste que sa relance est tributaire d'une "politique favorable à la culture de la BD", ainsi que de la sensibilisation et de l'encouragement de la pratique de cet art par les préposés à la supervision de la culture. De son côté, le jeune bédéiste Said Sabaou qui en est déjà à son quatrième album, "Le prix de la liberté", estime que la BD algérienne est en train de renaître de ses cendres et que la communauté de bédéistes s'agrandit d'année en année. Tout en relevant, lui aussi, le problème de l'édition, Amir Cheriti, auteur d'un premier album de BD, "Roda", a soulevé le problème de la concentration de la distribution de la BD à Alger et aux grandes villes. Sofiane Belaskri, jeune bédéiste auteur de l'album "Le vent de la liberté", affirme lui aussi que la BD en Algérie est en train d'évoluer et que beaucoup de jeunes s'intéressent à cet art, qu'ils soient des dessinateurs ou des passionnés. Pour lui, la bande dessinée algérienne, fruit avant tout d'une passion, ne peut que s'installer dans la durée pour peu qu'on la libère des contraintes qui l'empêchent d'accéder au rang de culture à part entière.