La reconnaissance officielle mercredi par la France des massacres d'Algériens le 17 octobre 1961 à Paris marque un " tournant décisif" dans les relations entre les deux pays, ont affirmé à l'APS des historiens et des membres du Collectif du 17 octobre. Pour l'universitaire et historien Olivier Le Cour Grandmaison, cette reconnaissance constitue" effectivement un tournant significatif" de l'histoire de la République française, car intervenant dans un contexte" très particulier, celui de la présidence heureusement finissante de Nicolas Sarkozy". "C'est un contexte qui, relativement aux crimes coloniaux, a été marqué par la négation, la réécriture de l'histoire, l'apologie sans précédent depuis 1962, de la période coloniale que ce soit en Algérie, mais aussi ailleurs", a-t-il relevé. Selon le spécialiste de l'histoire coloniale et des questions de citoyenneté, la déclaration du président Hollande reconnaissant "avec lucidité" les faits, constitue un "tournant significatif" et un "premier pas". "Pour part, je constate que, lorsqu'il s'agit d'autres crimes commis par la France, ces crimes ont un nom qui sont clairement désignés comme des crimes contre l'humanité, comme (crimes)de guerre dans d'autres cas et comme crimes d'Etat, enfin", a-t-il dit. Aux yeux de l'historien Jean-Luc Einaudi, cette reconnaissance est plus qu'un premier pas, c'est "une étape très importante"." Je pense qu'il ne faut pas trop tergiverser. C'est plus qu'un premier pas, c'est une étape très importante pour le peuple algérien qui par cette déclaration du président français, voit enfin l'ensemble des victimes de ces massacres enfin reconnus ", a estimé l'auteur de Scènes de Paris. Pour le président de l'Association Au nom de la Mémoire, Mehdi Lallaloui, cette reconnaissance est en soi "une victoire de tous ceux qui militent depuis des années pour la réhabilitation de cette mémoire". "C'est l'aboutissement d'un travail de longue haleine mené tant par les historiens, le mouvement associatif, que par les médias. A travers cette reconnaissance, on peut enfin rendre un vibrant hommage à toutes les victimes de ces massacres et de tous ceux qui ont milité pour en arriver là et qui ne sont plus malheureusement de ce monde", a-t-il dit. Le militant anticolonialiste Henri Pouillot a, de son côté, estimé que le "combat n'est pas terminé". "Il faut encore lutter pour empêcher toute velléité de réhabilitation du colonialisme en France, en s'apprêtant, d'ores et déjà, à faire barrage à l'initiative d'accueillir prochainement à Fréjus les cendres du général Bigeard ", a-t-il affirmé. La réalisatrice Yasmina Addi n'a pu, elle, cacher son émotion." C'est un moment très fort. On a attendu toute la journée, on n'y croyait pas malgré toutes les demandes d'audience (auprès des autorités françaises). On pensait vraiment que ça n'allait pas aboutir", a-t-elle dit, les larmes aux yeux. "Cette déclaration de reconnaissance est vraiment un grand premier pas (à) le deuxième c'est d'aller encore plus loin en faisant toute la lumière sur ce crime d'Etat pour les victimes, les Français et les Algériens", a indiqué la réalisatrice du film Ici On noie des Algériens (2011). Dans un élan d'ensemble, des historiens, des intellectuels, des responsables associatifs et des représentants de la société civile ont lancé des gerbes de fleurs par-dessus le pont Saint Michel, duquel, il y a 51 ans, des centaines d'Algériens ont été jeté dans les eaux glaciales de la Seine pour avoir manifesté pacifiquement pour leur indépendance. Le président français François Hollande avait affirmé, dans un communiqué, que la " République reconnaît avec lucidité" les massacres d'Algériens le 17 octobre 1961, rendant hommage à la mémoire des victimes de la sanglante répression policière. "Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits", a-t-il déclaré. Selon le président de l'Association des moudjahidine de la Fédération du FLN en France 1954-1962, Akli Benyounes, la chasse à l'homme sanglante déclenchée contre les Algériens le 17 octobre 1961 à Paris a été accompagnée de 12 000 à 15 000 interpellations dont 3 000 envoyés en prison, tandis que 1500 ont été refoulés vers leurs douars d'origine. Des chiffres corroborés par des historiens, qui parlent de 300 à 400 morts par balles, par coups de crosse ou par noyade dans la Seine, de 2400 blessés et de 400 disparus suite à la répression policière de ce mardi pluvieux d'octobre 1961.