Le métier d'artisan est en voie de disparition à Oran, où les membres de cette corporation mènent une lutte implacable pour survivre et transmettre tant bien que mal leur savoir-faire. Oran, destination touristique par excellence, n'a pas su tirer profit de cette vocation pour réhabiliter et développer son artisanat, un créneau nécessitant selon les spécialistes un accompagnement et des mesures incitatives multiformes. Plusieurs spécialités de l'artisanat local ont disparu. C'est le cas par exemple du tapis de Tafraoui, une localité située à 25 km au Sud du chef-lieu de la wilaya. Dans le passé, ses habitants se sont fait connaitre par la qualité et la beauté des tapis qu'ils fabriquaient. Ces produits, très demandés, faisaient le bonheur des touristes tant nationaux qu'étrangers. Aujourd'hui, le tapis de Tafraoui a complètement disparu du marché. Les artisans qui s'attelaient à sa fabrication ont renoncé à cette activité et se sont carrément reconvertis à d'autres créneaux. C'est le cas de Belakhel, qui a renoncé, à partir des années 90, au travail de tissage pour devenir marchand de fruits et légumes ambulant, en utilisant son vieux véhicule utilitaire. "La tapisserie traditionnelle ne fait plus vivre l'artisan", affirme-t-il avec une touche de regret. "Pour moi, je ne vois l'intérêt de fabriquer des tapis traditionnels si je n'ai pas la possibilité de les vendre, de tirer profit des recettes et couvrir les frais de leur confection", ajoute-t-il, en soulignant qu'il avait appris les rudiments de ce métier, dès son jeune âge et aux côtés de son défunt père. --- Des métiers en voie de disparition "Dans notre famille, ce métier est transmis de père en fils. Mes enfants n'ont jamais voulu apprendre les secrets du tissage et de la tapisserie", a encore déploré ce quinquagénaire, qui estime que la disparition de cette activité est la conséquence des tragiques évènements vécus dix années durant par le pays et la baisse drastique du nombre des touristes. Pour lui, la normalisation de la situation et le retour à la paix et à stabilité n'ont pas influé positivement sur le vécu des artisans. "Aujourd'hui, on se sent abandonnés", dit-il avec amertume. Jusqu'au début des années 90, la localité de Tafraoui connaissait un certain dynamisme. Des artisans, par centaines, activaient dans de petits ateliers ou sous leur propre toit pour "donner naissance" à des tapis d'une beauté incomparable et aux motifs attrayants. Les guides touristiques incluaient dans leurs circuits une virée à cette localité pour permettre aux touristes de découvrir ces produits artisanaux et pourquoi en acquérir quelques uns. Les tapis de Tafraoui étaient également très demandés par les hôtels, les restaurants et autres complexes. Les temps ont changé, tout comme les hommes. Fethi fabrique des bijoux. Il se plaint, quant à lui, du manque d'espaces lui permettant de vendre ses produits. Pour lui, ce problème constitue une entrave au développement de ce secteur, soulignant la réticent des hôteliers et gérants de complexes touristiques à réserver des vitrines pour exposer et proposer à la vente des produits d'artisanat. "Cela se faisait dans le passé mais plus maintenant", souligne-t-il. Ce même problème d'absence voire d'inexistence d'espaces de vente est soulevés par les artisans spécialisés dans la production d'objets en alfa. Les membres de cette corporation ont soit changé de métier ou se sont retrouvés au chômage. Certaines localités de Bir El Djir et d'Es Sénia avaient la réputation d'être de hauts-lieux de la poterie. Ce créneau est actuellement fortement concurrencé par les produits chinois de très mauvaise facture mais cédés à des prix dérisoires, d'où leur "succès" auprès des ménagères qui tournent le dos aux produits du terroir. ---- Réhabiliter le patrimoine artisanal Face à cette situation, les responsables de la Chambre de l'artisanat et des métiers (CAM) d'Oran veulent prendre le taureau par les cornes pour réhabiliter tous ces métiers ancestraux qui faisaient la réputation de nombreuses régions de la wilaya. Le directeur de la CAM, Khalid Tahraoui, souligné, à l'APS, que la relance des métiers d'artisanat disparus ou en voie de l'être constitue un axe principal du programme d'actions de cette institution qui £uvre à intégrer les jeunes artisans et leur orientation vers le marché de l'emploi. Le même responsable a ajouté que la CAM s'attèle à mettre en oeuvre un plan de relance des métiers d'artisanat et leur mise à niveau par le biais de la formation, des échanges, de l'accompagnement des membres de la corporation et de la coopération avec la contribution des experts et spécialistes internationaux. Dans ce cadre, Khalid Tahraoui a précisé que la CAM a programmé cette année des sessions de formation au profit de plus de 120 jeunes artisans dans divers domaines comme la ferronnerie artistique, le verre, le gypse. Il est prévu également l'achèvement de la formation des jeunes en construction traditionnelle, en coordination avec le mouvement associatif du mythique quartier d'Oran, Sidi El Houari. D'autre part, une formation en broderie traditionnelle sera organisée, au mois de mai prochain, au bénéfice des femmes artisanes et ce, dans le but de leur accompagnement au titre d'un projet-pilote pour relancer ce créneau. Ces sessions de formation visent à donner une qualification à des jeunes dans des créneaux nécessaires au développement de la wilaya et à l'accompagnement des projets de réfection et de restauration du vieux bâti. Dans ce domaine, Oran est devenue un chantier à ciel ouvert. De même source, on apprend qu'une semaine des métiers et de l'artisanat de la wilaya de Béchar sera bientôt organisé à Oran. Le choix de cette région a été fait en raison de la similitude de ses activités avec les métiers d'artisanat d'Oran. Par ailleurs, la wilaya d'Oran abritera, en juillet prochain, une exposition d'artisanat et d'ameublement. L'objectif est de créer des opportunités et des espaces pour promouvoir des métiers traditionnels et l'artisanat. Cette manifestation coïncidera avec la période estivale avec ses traditionnels afflux de touristes venus de toutes les régions du pays et de l'étranger. En outre, le directeur de la CAM a insisté sur le rôle de la recherche scientifique et académique à Oran pour relancer ce secteur, nécessitant plus que jamais la contribution pluridisciplinaire des scientifiques et chercheurs. Dans ce contexte, il a rappelé l'accord de coopération, signé le5 mars dernier, entre la CAM et le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d'Oran, en présence de la ministre déléguée chargée de l'artisanat, Aicha Tagabou. La wilaya d'Oran compte 1.100 artisans. Ce chiffre est appelé à atteindre les 1.500 à la fin de l'année en cours.