7 juin 1962, 12H40 : trois bombes au phosphore secouent la Faculté d'Alger et détruisent dans un panache de feu et de fumée noire la Bibliothèque Universitaire, qui comptait jusqu'à 600.000 ouvrages, dont des manuscrits, des incunables. L'attentat terroriste portait la signature d'un ''mémoricide''. Depuis, cet acte criminel, un ''mémoricide'' selon des Conservateurs, contre le peuple algérien qui sortait vainqueur d'une des plus grandes guerres de libération nationale, hante la communauté universitaire algérienne. Pour autant, le fait est que la France coloniale, et les tenants de ‘‘l'Algérie française'', avaient ouvertement applaudi cet attentat terroriste, prolongement de la politique de la ‘‘terre brûlée'', prônée par les nostalgiques de ‘‘l'Algérie française'. Les grands titres de la presse française, dont certains ayant soutenu la colonisation de l'Algérie, avaient même minimisé sinon approuvé, non sans une certaine désinvolture, cet attentat terroriste contre la Bibliothèque universitaire de la Faculté d'Alger. Celle-ci, à cette époque, regroupait trois grands départements : Lettres et sciences humaines, Médecine et Sciences, ainsi que des laboratoires, et, son fleuron, la BU et des dépendances, dont des appartements. L'Attentat Le 7 juin 1962, moins d'un moins avant la proclamation de l'Indépendance nationale, trois puissantes explosions secouaient vers 12H40, le centre d'Alger, plus exactement entre la place Audin, le tunnel des facultés et la rue Hamani (ex-Rue Charras). ‘‘Trois bombes au phosphore venaient d'exploser dans l'enceinte des Facultés provoquant un incendie monstre, d'épais nuages de fumée noire s'élevaient au-dessus des bâtiments en flammes, obscurcissant le ciel, barrant l'horizon'', écrivait dans ‘‘les feux du désespoir'' Yves Courrière. Celui-ci, proche des ultras, écrira dans l'édition du lendemain de l'attentat dans le journal de la droite, le Figaro : ‘‘ le 7 juin 1962, un panache de fumée couronna Alger. La bibliothèque universitaire venait de sauter. 600.000 livres brûlaient... On n'allait quand même pas leur laisser -notre- culture et notre science''. Le Monde du 9 juin 1962 écrit :''Un incendie criminel ravage l'université... trois grenades au phosphore ont explosées dans la bibliothèque ainsi que prés de la salle des professeurs, des amphi. de Chimie et des Sciences et au laboratoire de Pathologie, les auteurs de l'attentat avaient utilisés en sus des engins incendiaires des bidons d'essence''. De son côté, ‘‘ France-Soir'' rapporte: ‘‘Les bourgeois cossus de la rue Michelet (actuelle Didouche Mourad) ! contemplent l'énorme fumée des flammes qui dévorent la bibliothèque universitaire ou brûlent 600.000 volumes, deux amphi., les laboratoires de la Faculté des Sciences''. Il ajoute:''dans le bar d'en face, une foule joyeuse d'étudiants commente l'événement au milieu du bruit des anis''. ‘‘Paris le Jour'' revient sur les dégâts de l'incendie de la BU: ‘‘500.000 volumes ont été détruits, ainsi que le premier étage de l'immeuble, la salle des professeurs, les amphi. de Chimie et des Sciences et le laboratoire de pathologie''. Robert Buron, un des représentants du gouvernement français aux négociations des accords d'Evian, commente le triste événement par ‘‘ceux qui l'ont brûlé, voulurent fermer l'accès de la culture française aux élites algériennes, par la même, sans doute, avouaient la considérer à eux seuls réservés''. Bref, l'acte criminel étant consommé, fallait-il encore que les pompiers en rajoutent, selon des témoignages, qui rapportent qu'ils (les pompiers) ‘‘dirigeaient les lances vers les parties non atteinte par le feu, noyant les livres'', ‘‘car une grande partie des collections que le feu épargna, fut détruite par l'eau, même si le prétexte avancé était d'empêcher le feu de se propager''. La France savait En fait, il a été vite établi par les autorités algériennes que l'incendie de la Bibliothèque universitaire de la Faculté d'Alger a été programmé et planifié par l'OAS, avec la complicité des autorités coloniales. Après un premier attentat terroriste dans la nuit du 7 au 8 avril 1962 qui a suivi les accords d'Evian et le Cessez le feu en Algérie, la faculté d'Alger a été fermée. ‘‘ Un autre attentat au mois de mai (1962), détruisit les bureaux donnant sur la cour d'honneur, et sur ce qu'ils contenaient, en particulier les registres d'inventaires'', rapporte dans son édition du 8 juin 1962 ‘‘Paris le jour''. Et, la veille du 7 juin 1962, le Conservateur de la BU, qui occupait un appartement au sein même du bâtiment, était invité à partir en urgence. Quant au personnel de la Bibliothèque de la ‘‘Fac'' d'Alger, il a été rapatrié en mai 1962 sous la forme d'un stage à Paris sur ‘‘l'application aux bibliothèques universitaires de la classification décimale universelle''. Dans la foulée, ‘‘les archives de l'université d'Alger ont été transférées vers l'université d'Aix'', rapporte dans son édition du 8 juin 1962 Le Figaro. Le 7 juin 1962 vers midi, la Bibliothèque Universitaire d'Alger que d'aucuns pensent être le plus beau fleuron de la ‘‘mission civilisatrice'' fut ‘‘détruite par ceux là même qui se vantaient d'avoir apporté la civilisation à un pays inculte'', déplore dans une longue étude l'actuel Conservateur de la BU, M. Abdi Abd-Allah. Un peu plus tard, au mois de décembre 1962 a été créé et installé le Comité International pour la Reconstitution de la Bibliothèque Universitaire d'Alger (CIRBUA), qu'avaient présidé et co-présidé respectivement Mohamed Bouayab et Noureddine Skander, alors attaché de cabinet auprès du ministre de l'éducation nationale, l'écrivain Jean Senac, ayant été le secrétaire général du comité. Enfin, un dernier regret, ou un reproche: dans son ''Mémoire du Monde: Mémoire perdue, Bibliothèques et archives détruites au XXeme siècle'', l'organisation des Nations-Unies pour la culture, la science et l'éducation (UNESCO), n'a, à ce jour, jamais classé l'incendie criminel de la Bibliothèque de la Faculté d'Alger dans son inventaire.