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Souffles...
Mémoricide ou autodafé à Alger ! (2/2)
Publié dans Liberté le 14 - 06 - 2012

Nous étions un peuple de "livres", une société de "lecture". Quelqu'un des leurs témoigne : “À notre arrivée (en 1830) (les civilisateurs !), il y avait plus de cent écoles à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen. Alger et Constantine avaient chacune 6 à 7 collèges secondaires et l'Algérie était dotée de 10 zaouias (universités). Le 7 juin 1962, des mains criminelles posèrent des bombes à l'intérieur de la Bibliothèque universitaire d'Alger. Au bout de quelques heures, le plus beau fleuron de la "mission civilisatrice" n'est qu'un amas de cendres ! Le quotidien France-Soir écrit : “Les flammes dévorent la Bibliothèque universitaire où brûlent 600 000 volumes”. Le Figaro mentionne : “500 000 volumes de la BU ont été détruits par le feu.” Le Monde souligne : “Près de 600 000 volumes et documents ont été la proie des flammes.” Pour décrire la catastrophe qui a frappé la BU d'Alger, nous empruntons la langue et le témoignage d'un certain Kamel Bakarsic, conservateur de la bibliothèque du Musée national de Bosnie-Herzégovine, commentant l'incendie de la Bibliothèque nationale et universitaire de la Bosnie commis par les forces racistes de Milosevic : “Livres en flammes ; des pages calcinées flottaient et retombaient comme de la neige noire dans toute la ville. Si on attrapait une page, on pouvait sentir sa chaleur et, pendant un instant, lire un bout de texte présentant l'étrange aspect d'un négatif en noir et gris. Puis, la chaleur dissipée, la page tombait en poussière entre nos doigts.” Brûler la Bibliothèque universitaire d'Alger, pour l'OAS, c'était priver tout un pays d'une partie de sa mémoire. 19 décembre 1962, à 18 heures, au siège de la Bibliothèque nationale, le Bureau du Comité international pour la reconstitution de la Bibliothèque universitaire d'Alger (Cirbua) fut constitué. Il se compose de M. Mahmoud Bouayad (président), M. Nour-eddine Skander (vice-président), M. Jean Sénac (secrétaire général), Mlle Jeanne-Marie Frances (secrétaire adjoint), Mme Salah-Bey (trésorière), M. Saâd-Edine Bencheneb (chargé des relations extérieures), M. Mustapha Hartrati (chargé des relations intérieures avec l'Ugema). Les Algériens des années 60 pensaient que l'Algérie rêvée (libre, plurielle et savante) ne peut voir le grand jour, le jour de l'indépendance, en l'absence des livres et des bibliothèques. Le 20 décembre 1962, M. Mahmoud Bouayad, en sa qualité de président du Cirbua, lance un appel aux intellectuels et aux étudiants, un appel très symbolique, culturellement historique : “...Vous allez vous rendre dans vos familles pour ces prochains congés scolaires. Expliquez à vos amis, à vos connaissances, surtout dans les milieux intellectuels, le sens de cette campagne, la nécessité de la reconstruction de cette bibliothèque, outil indispensable pour l'enseignement supérieur et la formation de nos cadres. Essayez d'organiser dans chaque région des comités locaux qui prendront toutes les initiatives... pour venir en aide au Cirbua, récupérez le plus d'adhésions possibles au comité (membre actif 50 NF, membre bienfaiteur 250 NF, étudiants et lycéens 5 NF)... C'est pour vous, c'est pour nous, pour nos enfants que cette bibliothèque doit être reconstruite.” Juin 1963, au premier anniversaire de l'acte culturel criminel, l'incendie de la BU d'Alger, des cours, des conférences sur les bibliothèques et sur le rôle du livre dans l'Algérie nouvelle furent donnés dans les établissements scolaires, et un colloque télévisé fut organisé autour de la lecture. Ce qui est drôle, inimaginable et fou, c'est qu'à la date de 31/12/1984, un quart de siècle après l'incendie de la Bibliothèque universitaire d'Alger, la somme d'argent réunie par le Cirbua durant sa campagne dort encore, et jusqu'à nos jours, dans un compte bancaire !!! Allah yarham Mahmoud Bouayed, Jean Sénac et les autres. Bon courage à toute l'équipe de la BU d'Alger, à leur tête son directeur M. Abdallah Abdi et ses collaborateurs, qui continuent leur noble combat pour le livre et pour la mémoire de cette institution mémoriale. Jadis, les Algériens aimaient le livre et respectaient les bibliothèques ! Peut-être parce qu'ils avaient la force de rêver et l'amour de construire. Ils rêvaient d'une Algérie forte, belle et prometteuse.
A. Z.
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