Par Par Ammar Khelifa // Tous les Algériens connaissent parfaitement P'tit Omar de la Casbah d'Alger et son héroïsme exemplaire, mais combien ont entendu parler des hommes de l'ombre de la Révolution, ces hommes qui avaient réussi à semer le doute dans les rangs de l'ennemi et de ses services de renseignement, ces hommes qui constituaient l'ossature du fameux MALG, mis sur pied par le redoutable Abdelhafid Boussouf ? Leurs anciens camarades encore en vie, des historiens, des intellectuels, des journalistes et des personnalités politiques, connaissent l'importance stratégique de leur mission. Hormis les actions d'envergure et des hauts faits d'armes qui ont changé le cours des événements et participé grandement au triomphe de la Révolution, l'opinion ne connaît pas grand-chose des actions des officiers du MALG. Cependant, dans le grand travail accompli dans l'ombre, réside l'un des secrets de la victoire de l'ALN sur l'une des armées les plus puissantes du monde. Ce que Boussouf a pu réaliser dans des conditions peu favorables et parfois hostiles est exceptionnel. Et pour cause : il a tout simplement construit les fondements qui assurent aujourd'hui la pérennité de l'Etat algérien. Et Dieu sait qu'à l'époque, le danger était permanent et tout mouvement était extrêmement risqué. Les responsables du renseignement de la Révolution évoluaient sur un terrain où la moindre action s'apparentait à un saut dans le vide sans filet de sauvetage. De toute évidence, il n'est nullement dans nos intentions de minimiser le martyre du P'tit Omar de la Casbah et des autres P'tit Omar de l'Algérie, mais au-delà de leur sacrifice, du reste immense, nous voudrions évoquer ici l'exceptionnel travail de renseignement préventif et opérationnel effectué par des hommes de l'ombre sans qui la révolution armée n'aurait pas connu de succès. Ces hommes à la discrétion légendaire ont réussi l'exploit de tenir tête aux services spéciaux français et même à les infiltrer avec succès. Ce que rapporte Dahou Ould Kablia, président de l'Association des anciens du MALG et actuel ministre de l'Intérieur, est édifiant à plus d'un titre : « La France n'a jamais réussi à pénétrer le MALG. Le Mossad lui-même avait avoué que c'était l'un des services les plus hermétiques. » Le MALG, en tant que structure de renseignements, de transmission et d'autres missions, « avait réussi à se procurer le P.-V. d'un conseil des ministres du temps du Président de Gaulle », confiera-t-il lors d'une rencontre avec la presse. Un exemple qu'il citera pour signaler que contrairement aux pratiques connues, le MALG n'a jamais acheté des renseignements. Mieux, ajoutera Ould Kablia, « le MALG a été le seul service qui a pu avoir l'identité du colonel Mercier, connu comme tête chercheuse pour traquer les membres du FLN ». Ce que rapportent certains historiens concernant les actions menées par Abdelhafid Boussouf, l'inspirateur et le concepteur du fameux ministère de l'Armement et des Liaisons générales, et ses plus proches collaborateurs – que nous sommes d'ailleurs dans l'incapacité de citer tous – est tout simplement phénoménal ; une réalité qui dépasse la fiction. Pour mieux apprécier l'action de ces moudjahidine, il faut d'abord s'imprégner de la situation en Algérie, durant la Guerre de libération nationale ; une armée coloniale qui quadrillait villes et villages, des services spéciaux autorisés à torturer et à tuer pour un oui ou un non et un réseau de mouchards qui s'étaient ralliés aux colonisateurs, par lâcheté ou sous la pression. Le moindre faux-pas pouvait mener tout de suite au traquenard, dans un milieu où le régime colonial avait des yeux partout. Le mérite de ces hommes est d'être arrivés à neutraliser les spécialistes du renseignement et de la propagande et à les ridiculiser chez eux à Paris ! C'étaient pour la plupart des intellectuels à qui la vie aurait souri, pour peu qu'ils eussent dit oui aux tentations d'une existence tranquille, une carrière prometteuse dans le giron de la cinquième République française. Les promesses qu'ils eurent ne relevaient pas d'un chant de sirène, mais de réelles perspectives de promotion. Certains étaient même promis à de grands postes de responsabilité en contrepartie, bien sûr, de quelques concessions. Dans une attitude moins détestable, ils auraient pu rester neutres comme des « types sans problèmes » aux yeux de l'administration coloniale. Mais, l'appel de l'indépendance était déjà ancré dans leurs esprits. La révolution avait fait son œuvre. Ils étaient jeunes, instruits et intelligents ; autant d'atouts qu'ils avaient mis au service de la révolution de Novembre. Ils ont prêté serment de la protéger contre toute tentative de noyautage, et ils ont tenu leur promesse. Pour preuve, le travail du MALG a été d'une précieuse aide lors des négociations d'Evian. Ses hommes ont fait basculer le rapport de force en faveur de la délégation algérienne. Après l'indépendance, ils ont donné corps aux services de renseignements de la République algérienne indépendante qui étaient redoutés par les ennemis de l'Algérie. Ils ont continué à travailler dans l'ombre pour que le pays vive dans la clarté du jour. Ils ont forcé l'admiration ici en Algérie et à l'étranger. Ils ont joué un rôle prépondérant et déterminant dans le contre-espionnage. Leur grande expérience a été d'un apport certain dans la lutte antiterroriste en neutralisant des réseaux de soutien et leurs ramifications internationales. Leur travail a permis à l'Algérie de revenir de très loin. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces héros ont été dénigrés par ceux-là mêmes qui ont été vaincus sur le terrain du renseignement. Mais ces hommes de l'ombre ne se sont jamais rabaissés et n'ont pas répondu aux provocations, préférant se consacrer à leur noble mission, celle de protéger les acquis de l'indépendance. Et là encore, ils se sont distingués de façon magistrale. Ils ont juré fidélité à l'Algérie sans négocier leur avenir. Ils ont prêté serment de défendre l'intégrité territoriale et de déjouer tous les plans concoctés par les spécialistes du sabotage politico-économique, tout en restant eux-mêmes : des hommes discrets qui travaillent sans faire de bruit ■