par Abdel-Nasser Cherigui * «Quand il est urgent, c'est déjà trop tard» (Talleyrand 1754-1838) Pour les esprits conscients, il est clair que la contribution des pays riches aux aspects les plus inquiétants du devenir de la planète est étroitement liée à l'idée qu'ils se font de leur suprématie. Qu'il s'agisse du changement climatique et de ses effets néfastes ou de l'épuisement des ressources naturelles, les pays occidentaux se classent largement en tête de classement mondial. Le contexte mondial se trouve marqué sur la scène énergétique par une prise de conscience de la nécessité d'intégrer plus fortement que jamais dans toute politique des considérations liées à l'augmentation rapide de la demande planétaire et à la sécurité d'approvisionnement. Les prévisions de croissance de la demande énergétique font état, pour les plus modestes d'entre elles, d'un doublement de la consommation mondiale à l'horizon 2050 (22 Gtep 'Giga tonnes équivalent pétrole”), pour une population avoisinant 9 milliards d'habitants. Il n'est nul besoin de rappeler qu'un tiers de la population mondiale ne dispose pas encore d'accès à un système énergétique et que la consommation d'énergie est concentrée à plus de 80% dans les pays industrialisés : croissance rapide des grands pays émergents, notamment la Chine et l'Inde qui à elles seules regroupent plus de 60% de la population de la planète. La tension persistante sur le marché mondial des hydrocarbures fossiles, la difficulté à faire évoluer les habitudes de la consommation surtout en Occident sont autant de raison pour mettre en œuvre toutes les sources d'énergie. Les énergies alternatives font partie des solutions actuelles, et sont d'autant plus intéressantes qu'elles ne produisent pas de gaz à effet de serre et qu'elles disposent d'un large potentiel de développement. En 2009, plus de 148 milliards de $ ont été investis dans les actifs de production, la fabrication, la recherche et le développement liés aux énergies renouvelables. La capacité de production d'électricité renouvelable aurait atteint environ 240 gigawatts (GW) dans le monde, soit une augmentation de 53% par rapport à 2004. Les énergies renouvelables représentent 5% de la puissance énergétique mondiale et 3,4% de la production électrique mondiale. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l'énergie hydraulique à grande échelle, qui représentait à elle seule 15% de la production électrique mondiale. La part des énergies renouvelables dans la production mondiale d'électricité devrait atteindre plus de 60% en 2050. En Algérie, la part des énergies renouvelables dans la production globale d'électricité est quasi inexistante, elle atteint difficilement 0,2%, soit à peine 300 heures. Ces résultats qui apparaissent complètement dérisoires sont particulièrement dus à une absence de politique énergétique de l'Algérie. L'eau, le soleil, le vent : autant de sources d'énergie inépuisables et pourtant peu exploitées par l'homme. Quel poids prendront-elles dans la politique énergétique algérienne ? Face aux risques de changements climatiques et des réserves de pétrole au bord de l'épuisement et malgré les chiffres avancés par certains pays producteurs de pétrole, beaucoup de spécialistes estiment qu'il faut diviser par deux les chiffres publiés si on applique les méthodes d'évaluations et méthodologies officielles. Dans certains pays producteurs de pétrole, les réserves pétrolières sont considérées comme relevant du secret d'Etat. En 2004, Vladimir Poutine a promulgué un décret sur la confidentialité des réserves pétrolières. Dans ce contexte, les énergies renouvelables confortent leur position de source d'énergie propre, sûre et respectueuse de l'environnement. Pour un développement harmonieux des énergies renouvelables en Algérie, la nécessité de la création d'un Commissariat aux énergies renouvelables (CER) en tant qu'établissement de recherche à caractère scientifique, technique et industriel relevant de la classification d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), devient une revendication tout à fait légitime. Le CER pourra être placé sous la tutelle conjointe de quatre grands ministères, à savoir : ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, ministère de l'Energie et des Mines, ministère de l'Economie et de l'Industrie, ministère du Développement durable. L'état devra mettre en place entre les mains du CER les moyens humains et financiers très significatifs pour inciter les communautés scientifiques et économiques qui se désintéressent aujourd'hui des énergies renouvelables à évoluer et afin de pouvoir bénéficier d'une forte insertion régionale et de solide partenariat. A long terme, le CER pourra devenir un acteur majeur en matière de développement et d'innovation dans le secteur des énergies renouvelables. Un accord inter-industriel devra consolider des engagements et fixera le cadre des accords juridiques plus détaillés permettant à des partenaires nationaux et internationaux de participer aux travaux de développement des énergies renouvelables. Il est évident que le développement des énergies renouvelables en Algérie exige une nouvelle stratégie cadre dans la politique énergétique du pays à long terme. Géopolitiquement, l'Algérie pourra se positionner en leadership du pourtour méditerranéen dans le secteur des énergies renouvelables et particulièrement dans la production d'électricité à partir de l'énergie solaire et sa possible exportation vers l'Europe. Elle le pourra, si et seulement si un certain consensus politique sur l'intérêt des énergies renouvelables sera obtenu à un niveau supérieur de l'Etat. Le Commissariat aux énergies renouvelables devra développer des installations expérimentales nécessaire à la R&D des énergies renouvelables tant sur les systèmes actuels que sur les systèmes du futur et permettant une complémentarité des centres de recherche qui sont des Etablissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST). Il paraît, aujourd'hui, qu'un débat sur la politique énergétique est indispensable. Les experts et les spécialistes auront impérativement à y prendre une part centrale dans ce débat. La transparence et le dialogue doivent devenir des priorités par l'instauration d'une culture de l'évaluation et de la gestion des risques, fondée sur la raison. La planification des choix est urgente. Quelle politique énergétique allons-nous choisir au moment où la raréfaction du pétrole et du gaz est inévitable dans les prochaines décennies. Il est certain, qu'à l'heure actuelle, nous ne pourrons nous passer des combustibles fossiles sans avoir deux conditions : d'abord préserver nos ressources fossiles avec une exploitation rigoureuse, ensuite l'utilisation des sources alternatives et renouvelables d'énergie, afin que nous disposons d'un pack énergétique diversifié. Il s'agit en quelque sorte de profiter du temps de répit que nous offrent le pétrole et le gaz pour notre développement économique et social pour préparer un avenir énergétique qui ne soit pas de la pénurie ou celui de l'importation, avec toutes les conséquences dramatiques que cela suppose. Cette politique devra parallèlement conduire au développement d'un mix énergétique faisant une large part des énergies renouvelables, diversifiées selon les régions, les conditions climatiques et les ressources locales. Il est surprenant que des énergies disponibles, propres et inépuisables comme celles du soleil, du vent, de la biomasse, etc. soient quasiment ignorées. Leur potentiel est loin d'être négligeable, d'autant que notre pays possède tous les atouts pour sortir cette filière de son isolement. Nous aurons besoin du soleil, de l'éolien, de la biomasse et de la géothermie au fur et à mesure que le pétrole et le gaz déclineront. A titre d'exemple, 1KWh de pétrole jaillissant du désert algérien coûte environ 0,44 centimes d'euros contre dix fois plus pour l'éolien, alors que le vent est gracieux. Pour développer les énergies renouvelables, c'est dans la régulation économique, et elle seule, qui peut venir à notre secours : il faut que, dans un premier temps, l'Etat subventionne les énergies propres. Une politique nationale s'impose plus que jamais afin de développer les différentes branches de ce secteur. Elle pourra prendre de nombreuses formes : renforcement de la recherche dans certains secteurs, développement de certaines filières pour l'export (solaire à concentration), aides financières aux producteurs d'énergie renouvelable, etc. A l'opposé, on constate que certains pays se dirigent vers le 'tout” nucléaire. Une accélération du rythme de construction de centrales nucléaires est à prévoir dans certains pays (USA, Chine, Inde), ce qui pourrait entraîner probablement dans le futur des tensions sur les ressources en uranium, d'autant que ces ressources s'avéreront limitées et non renouvelables. Malgré le développement des solutions en progrès continu, le problème de stockage des déchets radioactifs reste toujours posé pour les générations futures. En fait, on jette les bases d'un crime contre l'humanité. En plus de ça, il faut aussi offrir une meilleure résistance face aux risques en matière de sécurité, de prolifération ou de terrorisme. Les pays qui ne possèdent pas toutes les compétences technologiques requises et nécessaires pour développer la fission nucléaire dans leurs pays, que ce soit sur le plan R&D ou sur le plan industriel, et particulièrement dans l'enrichissement de l'uranium, resteront toujours tributaires de ' l'autre '. L'avarice, le pouvoir, la boulimie dictent la politique énergétique mondiale. Le monde actuellement est gouverné par un hybride de capitalisme corporatif qui est en train de désintégrer notre planète. * Dr. Professeur, Université de Grenoble, France