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Berlin veut regarder vers Sud
L'Allemagne, L'Algérie et le Maghreb
Publié dans El Watan le 19 - 12 - 2004

Autant le dire tout de suite : en Allemagne, on ignore beaucoup de choses sur ce qui se passe en Algérie. Au point de s'interroger sur le rôle réel de « la structure » qui fait office d'ambassade d'Algérie à Berlin. Si certains sont « bloqués » au début des années 1990, d'autres ne savent pratiquement rien sur l'évolution de la situation dans le pays.
Une employée du sénat nous a demandé s'il est « possible » d'aller dans le Sahara sans être tué. La curieuse affaire des touristes allemands kidnappés puis délivrés dans le désert algérien a laissé des traces dans les esprits. Et les esprits sont bien embrouillés. Matthias Katzer, étudiant en philosophie et bénévole à Amnesty International, s'interroge si les groupes armés barrent toujours les routes et assassinent les personnes en Algérie. Matthias autant que des responsables de l'Auswaertiges Amt, ministère des Affaires étrangères, ignorent « le sens » de la réconciliation nationale défendue par les autorités algériennes. Ils n'ont pas encore entendu parler de « l'amnistie générale » qui à Alger demeure au stade de l'idée-projet. Les réformes économiques ? On n'en sait rien. La presse allemande ne s'intéresse que peu à l'Algérie. Et quand elle le fait, les écrits sont parfois truffés de stupidités comme cet article du correspondant du magazine Focus à Paris sur l'affaire des touristes-pillards allemands de Djanet actuellement en détention. Hans Christian Rössler, journaliste au Frankfurter Allgemeine, influent quotidien basé à Francfort, reconnaît ce peu d'intérêt accordé à l'Algérie et à la région du Maghreb. Hans Christian est parmi les rares journalistes allemands à visiter de temps à autre l'Algérie pour des reportages. Cela dit, ses voyages sont plus réguliers vers l'Irak et Israël. « Mes confrères ont pris l'habitude de rapporter ou d'analyser l'actualité algérienne à travers les médias français », explique Clemens Altmann, journaliste à la chaîne de télévision publique ZDF. Clemens a exercé pendant dix ans en Algérie et sait de quoi il parle. Il a eu, lui et son épouse, journaliste aussi, à assister à la folie meurtrière qui s'est emparée du pays durant ces années. A ses yeux, il n'existe aucune raison pour que ses confrères ne se déplacent pas en Algérie même si Alger commence à avoir la réputation d'être « difficile » en matière de délivrance de visas. Pour l'ensemble du monde arabe et musulman, Frankfurter Allgemeine possède un seul bureau à... Istanbul. Un seul bureau pour l'Afrique également, à Johannesburg. « Le Maghreb n'a jamais été au centre des intérêts de l'Allemagne. Notre pays s'est intéressé à l'élargissement de l'UE vert l'Est. La France était plutôt réticente et avait plutôt un regard vers le Sud. Il n'y a pas de conscience stratégique en Allemagne de l'importance du Maghreb pour notre politique étrangère », soutient Martin Koopmann de l'Institut de recherche de la société allemande de politique étrangère (DGAP). Il rappelle que la Commission européenne a proposé l'élaboration d'« une politique cohérente » sur le voisinage avec l'Est et le Sud. L'Allemagne fait de bonnes affaires avec l'Europe de l'Est. Ses échanges avec cette région sont en augmentation constante puisqu'ils dépassent les 10% de l'ensemble du commerce extérieur. Des pays comme l'Albanie, la Moldavie, la Hongrie, la Pologne bénéficient d'aides importantes de Berlin. La stabilité de ces contrées est une priorité pour le gouvernement fédéral autant que pour l'Union européenne. Selon Bernd Möwes, chef de la division coopération internationale au ministère délégué chargé de la Culture et des Médias, des programmes spéciaux sont développés et orientés vers les minorités germanophones en Roumanie, en Bulgarie et ailleurs.
« Contacts étroits »
Récemment, le Bundestag (Parlement) a organisé « les jours du monde arabe » pour se rapprocher plus de cette région. « Nous voulons dialoguer avec le monde islamique et arabe. Nous voulons trouver les moyens d'agir ensemble pour éviter l'extrémisme », nous dit-on au ministère des Affaires étrangères. Ici, on souligne, comme pour atténuer les critiques, que Berlin entretient depuis un certain temps « des contacts assez étroits ». « Nous maintenons un dialogue permanent sur des sujets différents », nous précise-t-on. Sujets différents ? « Coordonner la lutte contre le terrorisme et la coopération économique », est-il indiqué. La visite en octobre du bundeskanzler, chancelier, Gerhard Schröder à Alger est vue comme « un bon signe ». « L'Allemagne découvre maintenant qu'il y a d'autres horizons. Il y a des intérêts économiques et énergétiques qui sont en jeu », explique Martin Koopmann. A Alger, Schröder a laissé entendre que l'Allemagne projette de « monter davantage en puissance » dans le secteur algérien de l'énergie. A Berlin, on se dit conscient de la forte concurrence dans la région. La France, l'Italie et l'Espagne, parmi les principaux fournisseurs et clients de l'Algérie, dépendent en grande partie des livraisons gazières algériennes. Une délégation d'hommes d'affaires et de chefs d'entreprise représentant, entre autres, Wintershall, Siemens, Bilfinger Berger, MAN-Ferrostaal, et Linde a effectué une visite en Algérie après celle de Schröder. Il existe un intérêt pour des projets aéroportuaires, autoroutiers et hydrauliques. L'Allemagne arrive à la 13e position des pays acheteurs de produits algériens et au 4e rang des fournisseurs. En 2003, les importations de l'Allemagne ont atteint en valeur les 882,6 millions d'euros alors que ses exportations vers l'Algérie se sont chiffrées à 688,8 millions d'euros. Le 13 décembre 2004, le bureau du coordinateur des relations économiques algéro-allemandes à Alger a été officiellement ouvert. Il est dirigé par Andreas Hergenröther. Le bureau est installé au niveau du Forum des chefs d'entreprise (FCE). La mission du coordinateur consiste en la promotion et le développement des relations entre les entreprises algériennes et allemandes. Il sera l'intermédiaire auprès des administrations des deux pays pour la réalisation des projets d'investissement et des opérations commerciales. Le ministère fédéral de l'Economie et du Travail appuie fortement les entreprises allemandes désireuses de participer à l'annuelle Foire internationale d'Alger. « Le potentiel des relations économiques algéro-allemandes reste largement sous-exploité. Chez les opérateurs allemands, l'Algérie est toujours trop peu connue comme partenaire commercial et en matière d'investissement », a reconnu, à la faveur de l'inauguration de ce bureau, l'ambassadeur d'Allemagne à Alger, Wolf Kischlat. L'Algérie représente, à ses yeux, un marché particulièrement intéressant. « Peut-être le marché le plus intéressant de la région », a-t-il appuyé. « Les produits sur lesquels repose largement la bonne réputation des fournisseurs allemands comme par exemple les équipements industriels répondent d'une manière idéale aux besoins actuels de l'économie algérienne. Ensuite, les Allemands sont prêts à investir hors du secteur des hydrocarbures », a ajouté le diplomate. Il a cité l'exemple le partenariat entre la SNVI et ZF pour la production des boîtes de vitesses, et celui entre la SNTF et Siemens pour la production des installations des signalisations ainsi que l'achat par Henkel de trois unités de l'ENAD pour la production des détergents. Alger et Berlin ont signé un accord de protection des investissements.
« Quelque chose à offrir »
Le Forum algéro-allemand des affaires (F3A) se réunit régulièrement pour l'état des lieux des relations. Berlin se dit prêt à « aider » la mise à niveau des entreprises algériennes avant la mise en pratique de l'accord d'association signé avec l'Union européenne et avant l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). « L'Algérie a quelque chose à offrir », soutient-on à Berlin. « Nous sommes disposés à apporter notre expertise en matière de réformes économiques », déclare-t-on au ministère des Affaires étrangères. Des contacts sont maintenus avec la compagnie aérienne Lufthansa pour un éventuel retour en Algérie. Encouragée probablement par le retour d'Alitalia, de Turkish Airlines et d'Air France, Lufthansa, qui fait partie de l'Alliance Star, étudie la faisabilité commerciale d'une desserte sur Alger. Surtout qu'Air Algérie est la seule à assurer une liaison aérienne bi-hebdomadaire avec l'Allemagne. Mais le fait que la compagnie algérienne se contente d'une escale à Francfort semble ne pas plaire. Des hommes d'affaires ou touristes désireux de se rendre en Algérie doivent prendre au moins deux vols, à partir de Berlin, Düsseldorf ou Hambourg pour y parvenir. « Je préfère parfois prendre le vol Berlin-Paris avant de m'envoler sur Alger que de passer par Francfort », nous dit un journaliste. La qualité de service d'Air Algérie est critiquée. Il est vrai, et nous avons eu à le constater, que les hôtesses et les stewards de cette compagnie manquent de sourire et d'amabilité. Dommage. Si Berlin considère l'Algérie comme un « pouvoir régional en Afrique et dans le monde arabe », Martin Koopmann demeure prudent. « A part l'objectif d'être un peu plus présente dans le monde, l'Allemagne n'a pas encore défini comment l'être, pourquoi, avec quels partenaires », dit-il.


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