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Médéa : Une jeunesse livrée à elle-même
Publié dans El Watan le 25 - 08 - 2008

Tenter, en cette période de canicule, une enquête sur la jeunesse dans la wilaya de Médéa, c'est, à son corps défendant, aller à la rencontre d'un océan de désillusions et de désespoir. On aura beau crier au pessimisme, les faits sont là, plus têtus que jamais.
Si, ailleurs, l'été peut être synonyme de loisirs et de détente, ici, en revanche, il n'est question, le plus souvent, que de lassitude et de désœuvrement. La majorité des moins de trente ans – plus de 50% de la population - y traîne, comme un boulet à ses pieds, une existence terne et sans but qui se nourrit de chimères et se meurt de trop attendre... Godot ou un improbable événement qui ferait fondre la torpeur ambiante. Les plages sont si lointaines pour ceux qui ne peuvent se les offrir ; il y a malheureusement quelquefois d'autres solutions... entre autres, le petit joint pour voyager gratis.
Il n'y a là rien d'insurmontable , mais ne dit-on pas que l'oisiveté est la mère de tous les vices, notamment la délinquance qui se fait fortement sentir dans les grandes agglomérations telles que Médéa, Ksar El Boukhari, Berrouaghia et Tablat. Une économie en panne. Elle aurait pu débloquer la situation, mais il se trouve que celle-ci est en panne sèche. L'investissement est nul, la création d'emplois est donc au point mort et le chômage est endémique. D'autres facteurs ont contribué à cette crise : ce sont les fermetures des petites unités économiques étatiques ou privées. Les fabriques de chaussures du chef-lieu de wilaya qui étaient créatrices d'emplois ont été mises à mort par l'importation anarchique des produits asiatiques. Comme circonstance aggravante, la wilaya, qui est à vocation agropastorale, ne cesse de connaître un incroyable exode rural qui saigne à blanc ses campagnes. Une vingtaine de communes rurales ont vu, au cours de ces dernières années, leur population diminuer de 50%, d'où les terres agricoles laissées en jachère.
Il est navrant de constater, chaque matin, le spectacle de ces bus bondés de jeunes sans qualification qui viennent des bourgs agricoles et déferlent sur les cités. Ils seront vite happés par les rets de la ville ou ce qui en reste... Les uns dans le commerce informel, les autres dans le lot des désœuvrés ou des délinquants. L'emploi est le sésame qui ouvre les portes de l'avenir, mais le chômage frappe de plein fouet la jeunesse de la wilaya. Pour remédier à cette situation, il y a eu, comme palliatif, la prime d'insertion des jeunes diplômés. Au niveau de la Direction de l'action sociale, 5822 universitaires ont formulé leur demande. Il a pu être dégagé une offre de 1591 postes de travail pour l'ensemble des 64 communes de la wilaya et 700 contrats de travail ont été finalisés à ce jour. Cette offre, néanmoins, ne représente même pas 30% de la demande. Quant aux jeunes sans qualification, ils sont 35 000 demandeurs à postuler un emploi.
Au cours du premier semestre 2008, 7099 emplois ont été créés. Il s'agit d'emplois initiés dans le cadre du projet Blanche Algérie ou pour les besoins des collectivités locales dans des créneaux touchant aux travaux de réfection des routes, du désherbage des forêts et des chantiers hydrauliques. A défaut de réponse à leurs attentes, les demandeurs d'emploi, en plein désarroi, devraient mériter plus d'attention. Au siège de l'Agence de l'emploi, sise au quartier Aïn El Kébir de Médéa, les jeunes filles et garçons étaient entassés dans une étroite salle, servant de couloir, à la recherche du sésame. Au cours de la discussion, ils nous ont confié qu'ils étaient obligés à un lassant va-et-vient du fait du refrain qu'on leur serinait : « Revenez la prochaine fois... peut-être qu'on trouvera une solution. » Ayant voulu en savoir plus, nous nous sommes rapprochés du directeur de l'agence. Celui-ci nous a accueillis gentiment, mais quand il s'est agi de nous fournir des statistiques, il s'est refusé sous prétexte qu'il lui fallait une autorisation de sa tutelle. Le parcours du combattant des jeunes chômeurs transite aussi par les agences chargées de l'octroi de micro-crédits telles que l'Angem, l'Ansej ou la CNAC.
En plus de la garantie, exigée à des jeunes démunis de tout, afin d'accéder au crédit bancaire, qui est un sérieux obstacle, il faut relever, contrairement à ce qui est prétendu, les grincements des mécanismes les liant aux banques. A défaut d'accompagnement, du manque d'expérience, de la concurrence déloyale, du foisonnement de produits contrefaits, un nombre important d'unités ont cessé leurs activités au bout de la troisième année. Contraint, dans ce cas, à rembourser la dette bancaire et à restituer la TVA, le jeune est plongé dans une spirale infernale aux conséquences catastrophiques. Cette situation explique l'appel récent du Premier ministre à l'amélioration du système bancaire de financement des projets initiés par des jeunes. Il faut dire, aussi, quand l'offre d'emploi existe, que les employeurs privés, souvent, ne jouent pas le jeu. Il est plus profitable pour eux de recruter au noir, même s'il faut passer outre les règles de l'Agence de l'emploi. Le tableau semble trop obscur, nous aurions souhaité le contraire, mais les faits sont obstinés. La DAS prise d'assaut par des milliers de sans-emploi, les statistiques effarantes, les nuées de jeunes adossés à des murs, les centaines d'universitaires broyant du noir sont un témoin à charge implacable.
Un langage contraire est cependant tenu par les autorités locales qui déplorent un manque flagrant de main-d'œuvre sur les chantiers de la wilaya. Selon eux, les jeunes, en refusant des postes temporaires, seraient responsables de cette situation. Les jeunes rejettent cette accusation. Ceux de Ksar El Boukhari, mus par l'énergie du désespoir, sont sortis dans la rue pour dire basta ! S'il ne faut pas occulter le risque de récupération ni légitimer les dégradations sous aucun prétexte, les raisons de la colère sont fondées. Il aurait suffi de plus d'anticipation, de tact et de présence pour désamorcer le conflit. Les horizons de la jeunesse sont obstrués. Il urge pour les pouvoirs publics de réagir. Certes, des efforts louables sont entrepris par des responsables dont la bonne volonté ne saurait être mise en cause, mais insuffisants, ils ne peuvent remédier à une situation qui n'est pas l'apanage de la wilaya. Le président de la République, lui-même, dans son discours consacré à la jeunesse, lors de la réunion gouvernement-walis, en 2006, a confirmé l'insuffisance, voire l'échec des actions en faveur de la jeunesse, particulièrement au niveau des institutions en charge de leurs problèmes. Le premier magistrat, dans son allocution du 5 juillet 2008, quant à la gestion du dossier de la jeunesse, a encore rappelé que « les acquis en matière de réalisation sont en deçà des objectifs et des investissements ». Il est vrai que les programmes allant du pré-emploi à l'allocation chômage en passant par le micro-crédit et la formule des 100 locaux commerciaux par commune n'ont concerné, en fait, qu'une infime partie de la jeunesse.


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