Le mieux, dit-on, est l'ennemi du bien. Il arrive aussi que le bien devienne l'ami du mal. Qu'on en juge. Au début du mois d'août, le comité d'organisation du Salon international du livre d'Alger a informé les exposants qu'ils ne pourront disposer que de 100 exemplaires par titre. Cette mesure figurerait d'ailleurs dans le règlement du SILA depuis plusieurs années, sauf que jusqu'à présent, on s'était gardé de l'appliquer en tenant compte de la fragilité du secteur. Depuis longtemps, de nombreux acteurs ou observateurs (et nous en sommes) plaident pour que le SILA devienne un salon professionnel, à l'instar de ceux existant dans le monde, soit un lieu destiné aux opérateurs du livre afin qu'ils puissent assurer le développement de leur activité. Ces événements constituent des laboratoires périodiques d'impulsion de l'édition et de la distribution. On y échange des idées, on y signe des contrats, on y discute des programmes, etc. pour le plus grand bonheur des lecteurs car, en fin de course, tout cela se répercute, de manière plutôt positive, sur la vie du livre. Opter pour un salon de type professionnel, c'est s'assurer d'une bonne diffusion au quotidien à travers les bibliothèques et librairies, véritables interfaces de proximité. C'est donc rejeter la concurrence énorme que peut représenter une foire de vente annuelle à l'encontre de ces réseaux. Bien, très bien même, sauf que dans la précipitation, on risque d'aboutir brutalement à des résultats catastrophiques. Le SILA qui, avec ses 600 000 visiteurs l'an dernier, est sans conteste le plus grand événement culturel du pays, sa plus grande fête de l'esprit et une de ses vitrines les plus honorables, risque d'être déserté par le public qui en a fait l'âme et le succès. Tout cela sans que la démarche ne puisse vraiment profiter aux lecteurs algériens qui ne disposent que de réseaux chétifs, bien éloignés de leurs besoins. Avec près de 300 bibliothèques pour 1541 communes (quand certaines, surpeuplées, auraient besoin chacune de cinq), avec au mieux 50 librairies dignes de ce nom, et en dépit des progrès indéniables de ces dernières années, le no book's land algérien est sans doute proportionnellement plus vaste que notre Sahara par rapport au territoire national. De plus, pourquoi attendre quasiment la veille pour prendre pareille mesure, sans débat public et sans associer les professionnels à une reconversion justement professionnelle ? Pourquoi ne pas différer au diapason d'un développement plus conséquent des réseaux et d'abord en adoptant la loi sur le livre pour initier une véritable stratégie ? L'intention est sans doute louable mais la méthode contestable, voire dangereuse. Quand on nettoie son fusil à la va-vite, grand est le risque d'une balle dans le pied ou celui du vis-à-vis, soit, ici, le lecteur, l'enseignant, le chercheur, l'étudiant, l'écolier…