Contemporain et frère d'armes de Nazim Hikmet, Walye-Eddine Iken (1) est peu connu en Occident. Seuls les Soviétiques de l'URSS des années 1930 et les intellectuels arabes communistes ont fait publier (dans les années 1960) ses œuvres. A l'origine de cet « oubli », les positions ambiguës et très « discutables » des communistes européens qui voyaient dans ses écrits une tare que ne peut admettre « le progressisme de l'époque » : Walye-Eddine Iken est un écrivain turc qui s'exprime en arabe ! Pour ces « communistes particuliers, très spéciaux »(2), qui ont applaudi la décision de Kemal Ataturk, de faire transcrire la langue turque avec l'alphabet latin, n'est progressiste que l'écrivain, le poète ou l'essayiste qui « transcrit » ses écrits en lettres latines ou russes. Le poète berbérophone Si M'hand u M'hand et son concitoyen arabophone Moufdi Zakaria, par exemple, ne portaient pas « le germe du progrès ». Et puis Messali Hadj n'a-t-il pas été radié du parti communiste français, parce qu'il parlait « arabe » et demandait « l'indépendance » de l'Algérie ? La politique des deux poids, deux mesures a fait fermer les yeux de ces pseudo-intellectuels progressistes sur les ravages du colonialisme en Afrique, en Amérique, en Asie et en Océanie, sur l'itinéraire fasciste d'Attaturk et… sur les positions de leurs frères d'armes qui n'écrivaient pas avec l'alphabet latin, dussent-ils être les meilleurs écrivains, les plus grands militants communistes, les martyrs des causes justes et les plus grands défenseurs du progrès dans le monde ! Malgré ses 15 ans passés dans les effroyables prisons turques, malgré ses positions progressistes, anti-fascistes, communistes, Walye-Eddine Iken a été « oublié » et pourtant, ses poèmes, ses écrits et son militantisme n'ont rien à envier à ceux de Nazim Hikmet : « Les fers chauffés à blanc nous grillent les poitrines, Les pointes des couteaux lacèrent nos aisselles, L'eau glaciale emplit nos narines, Les charges électriques déchiquettent nos sexes… Les flammes de l'enfer Sont une forge pour l'homme Sa volonté durcit, Brille de l'éclat de l'or. » Ces vers ne sont qu'une goutte de douleur tombée de la plume de Walye-Eddine Iken dans ses Feuillets noirs publiés à Beyrouth en 1964. Ce gros recueil de ses écrits poétiques et prosaïques est un monument littéraire qui n'a rien à envier aux créations des grands écrivains universels. Dialogue incessant entre lui-même, l'histoire, la société, la religion, la politique, témoignage vivant sur la Turquie, et le Moyen-Orient, état du monde colonisé et images crues des oppressés, Les Feuillets noirs de Walye-Eddine Iken sont des chefs-d'œuvre dans la ligne de la grande tradition littéraire qui a donné à la Turquie et au monde Nazim Hikmet, Séchar Kémal, Bulent Yilmaz. 1) Né en 1904 à Izmir, décédé dans des circonstances « obscures » en 1959, W.E. Iken faisait partie des communistes que le gouvernement turc a emprisonnés, dans les anneés 1930, 1940 et 1950. 2) Expression attribuée à Messali Hadj par certains et à Moufdi Zakaria par d'autres.